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Remontrances absurdes à Canal+ : le CSA contaminé par le mal français
©Thomas SAMSON / AFP

Rabat-joie

Le groupe Canal + s'est fait réprimander par le CSA, après sa décision de basculer sa grille en clair lors du confinement.

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Gaël Nofri

Gaël Nofri

Gaël Nofri est historien et essayiste, ainsi que conseiller municipal et métropolitain de la Ville de Nice.  Son dernier ouvrage paru est "Une histoire des révolutions en France" (éditions du Cerf, juin 2018).

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Atlantico : Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a indiqué que Canal + doit cesser le 31 mars son passage intégral en clair, décidé alors que les Français sont confinés chez eux. Cet arrêt total de la gratuité du groupe Canal + est-il justifié alors que l’on peut d’avance prévoir un report de la fin du confinement ? Pourquoi le CSA a-t-il pris cette décision ?

Gaël Nofri : Le CSA s’est en effet étonné de cette décision prise par Canal + sans concertation. Il estime que cela revient à enfreindre les règles qui garantissent l’équilibre entre chaînes payantes et chaînes privées. Si sur le fond nous pouvons comprendre les réflexions de l’autorité régulatrice, il n’en demeure pas moins que cette décision parait en effet précipitée, le confinement de la population induit une période de trouble, des circonstances exceptionnelles et, de fait, un déséquilibre général dans bien des domaines économiques, commerciaux, industriels qui je le dis me parait bien plus préoccupant et important que de savoir si le groupe TF1 ou M6 s’estiment bien ou mal traités. Dans la période que nous vivons, alors que tant et tant de petits entrepreneurs, de commerçants, de restaurateurs, d’hôtelier s’inquiètent pour leur sort et pour la survie de leur entreprise, voir ces grands groupes se dresser contre une décision qui, même si son aspect promotionnel et commercial est évident, participe quelque part de l’image de la solidarité et de l’accompagnement me parait un rien indécent. Je crois que chacun gagnerait à admettre que cette disposition peut demeurer en l’état jusqu’à la fin du confinement, quel que soit la date finalement retenue par l’Etat au regard des critères et des enjeux médicaux.

Régis de Castelnau : Cette affaire est complètement consternante. Canal+ a pris une initiative qui certes ne lui coûtait pas cher et pouvait constituer un argument commercial et une incitation, pour ceux qui y auraient pris goût, à s’abonner dans le monde d’après. Mais qu’on le veuille ou non, il s’agissait d’un geste de solidarité avec les confinés, au moment où justement les gens ont besoin de se sentir impliqué. Si un groupe comme Canal faisait cet effort, cela ne pouvait être que positif. Et pensons à ceux qui sont enfermés.

L’intervention autoritaire du CSA est de ce point de vue calamiteuse. Il s’est agi de faire plaisir aux grandes chaînes hertziennes qui disposent d’un monopole et sont contrariés par l’initiative de Canal présentée comme une « atteinte à la concurrence et à la réglementation ». Au moment où l’ensemble du pays est confronté à une épreuve considérable, où l’on demande aux citoyens un engagement rigoureux, voilà que les mastodontes ergotent, pleurnichent et se battent pour leurs petits sous. « Vous comprenez cela va fausser la concurrence et la chronologie de diffusion des films ». En ces temps où l’union européenne fait la démonstration de son inutilité par son incapacité à organiser la solidarité, au moment où tous les gouvernements renoncent à l’application des traités concernant les règles budgétaires, les interdictions d’intervention économique et les nationalisations, voilà que TF1 et la bande qui le suit invoque le principe de « concurrence libre et non faussée » ! Alors même que tous les gouvernements sont en train de le balancer par-dessus les moulins.

Le choix par le CSA de la date du 31 mars est d’une hypocrisie totale. Cette façon de s’aligner sur la première date de fin du confinement, alors que l’on sait parfaitement que celui-ci sera prolongé témoigne bien du refus de prendre en compte la période que vit notre pays. Alors pendant qu’on demande des efforts au personnel soignant d’abnégation admirable, à tous les autres qui font tourner la machine France et aux citoyens de s’incarcérer chez eux, les grandes sociétés capitalistes rappellent que leur premier impératif à elles, c’est de préserver leurs profits. Est-il possible de mieux témoigner de sa cupidité de son égoïsme ?

Que risquait Canal+ en prolongeant la gratuité de toutes ses chaînes jusqu'au 15 avril ? 

Régis de Castelnau : Le CSA est ce que l’on appelle une autorité administrative indépendante. C’est-à-dire qu’il a des pouvoirs réglementaires que lui a confiés l’État. Il contrôle le fonctionnement du secteur audiovisuel, dispose de compétences d’injonctions mais également de sanctions financières. Si Canal+ ne respectait pas la jonction de cesser sa diffusion en clair après le 31 mars, il serait alors susceptible de se voir infliger de lourdes amendes.

Mais il faut rappeler que toutes les décisions rendues par le CSA, sont sous le contrôle de la juridiction administrative. Le Conseil d’État aurait donc le pouvoir d’annuler à la fois cette injonction et les amendes infligées pour le son non- respect. Nous vivons une période exceptionnelle, où il serait tout à fait possible de considérer que juridiquement pendant le temps du confinement, ces normes du droit de la concurrence peuvent être écartées.

Je crois que Canal+ (auquel je suis personnellement abonné…) serait bien inspiré de refuser cette injonction, de saisir le conseil d’État en référé pour en obtenir la suspension puis l’annulation.

Comment peut-on demander tous ces efforts à tous les citoyens et en dispenser le monde de l’argent aux commandes de ces chaînes ?

Le CSA, rappelons-le, régule le secteur audiovisuel au nom de l’Etat mais sans dépendre du Gouvernement. Pensez-vous que le Conseil ait tout de même pu recevoir des consignes ? Le CSA est-il finalement un bon représentant de ce que veulent les Français ?

Gaël Nofri : Je ne sais pas qui a fait pression, ou qui a obtenu cette position, qui, je le répète, en soit n’a rien de choquant, si ce n’est qu’elle ne tient pas compte des circonstances exceptionnelles. Vous vous interrogez sur le rôle qu’aurait pu jouer l’Etat… je ne sais pas quel a été ce rôle, et c’est un peu cela que l’on peut trouver dommage, et même grave. C’est le problème de fond de toutes ces structures dites autonomes, mais autonomes par rapport à qui si ce n’est l’Etat, c’est-à-dire de la puissance publique, c’est-à-dire de l’arbitre démocratiquement reconnu et politiquement responsable entre les différents intérêts privés. Le problème n’est pas que l’Etat puisse apprécier les circonstances exceptionnelles, puissent juger de l’équilibre économique du secteur de l’audiovisuel, puisse arbitrer entre les différents enjeux en présence au regard du bien, puisse et entendre ou non la volonté exprimée par un certains nombres de Français à travers le hashtag « #BoycottTF1». Le problème c’est que cela revienne à quelqu’un d’autre de le faire, en fonction de critères, d’enjeux et de motivations qui lui sont propres. Nous sommes dans un pays où, à force de se méfier de la notion même de pouvoir -quel qu’en soit le détenteur-, on fait le choix de systématiquement démanteler le pouvoir, de l’éparpiller, de le diluer… aussi, lorsque l’on interroge la légitimité de ceux qui décident, on se trouve face à un mur ; lorsque l’on veut mettre de la cohérence dans les choix arrêtés, on y parvient plus ; lorsque l’on cherche un responsable capable d’assumer, il n’y en a plus.

Régis de Castelnau : Il faut être sérieux, il est évident que la décision émane directement du pouvoir. L’indépendance de cette « haute autorité » pourtant organisée par la loi est un leurre. Les gens qui la dirigent appartiennent à la caste de la haute fonction publique qui est également actuellement aux commandes de l’État, et c’est comme cela depuis longtemps. L’énarque Roch-Olivier Maistre, l’actuel président choisi en février 2019 par Emmanuel Macron est un proche de celui-ci et non seulement n’a rien à lui refuser mais chacun sait qu’il est essentiellement une courroie de transmission du nouveau pouvoir. Son prédécesseur était un autre énarque haut fonctionnaire et socialiste bon teint, Olivier Schrameck choisi par François Hollande et dont la longue carrière précédente s’était essentiellement déroulée dans la sphère publique dès lors qu’elle était dirigée par le PS.

Alors l’intervention du CSA a bien évidemment une origine directement politique, prétendre le contraire surtout en cette période ne serait pas sérieux. Dans le conflit qui opposait Vincent Bolloré et Martin Bouygues, Emmanuel Macron a arbitré contre Bolloré. Mais surtout contre l’intérêt des citoyens confinés, il a choisi l’argent. Cela jette un éclairage particulier sur les discours qui nous disent que le « jour d’après » ne sera pas un retour au « jour d’avant ».

Le choix du CSA a provoqué la colère de nombreux internautes, contents d’avoir accès gratuitement aux programmes -films et séries- proposés par la chaîne habituellement cryptée. Un hashtag, « #BoycottTF1 », a été lancé sur Twitter suite à cette annonce et est arrivé dans le top 3 des sujets les plus discutés sur le réseau social.  Qu’en pensez-vous ? Le CSA est-il finalement un bon représentant de ce que souhaitent véritablement les Français ? 

Régis de Castelnau : Je pense que c’est une preuve de plus du fait que les notions d’intérêt général, d’intérêt des citoyens, d’intérêt du pays n’entrent guère dans les décisions de ce type. L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, nous a bien montré l’importance de cette connivence avec les grands intérêts.

Pour répondre à votre question, le CSA ne prend pas ses décisions en fonction de ce que souhaitent véritablement les Français. Il est là pour être le gendarme du secteur audiovisuel, et il effectue cette mission en liaison étroite avec le pouvoir exécutif.

Il faudrait clairement que les téléspectateurs tiennent compte de ce qui vient de se passer et fasse supporter aux chaînes hertziennes qui ont voulu qu’on les prive de la ressource Canal+ en ces temps difficiles. Mais malheureusement, changer les habitudes n’est pas facile.

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