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Remaniement : ce dont Macron aurait bien besoin
©LUDOVIC MARIN / AFP

Choix cornélien

A quelques heures de l'annonce du remaniement, les options pour Emmanuel Macron et son gouvernement semblent de plus en plus délicates. Daniel Cohn-Bendit a d'ailleurs refusé la proposition.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Benjamin Griveaux a annoncé que l'équipe d'Edouard Philippe sera "au complet" ce mardi. Le remaniement sera donc annoncé d'ici là après la démission de Nicolas Hulot du gouvernement qui a pris de court Emmanuel Macron. Mais concrètement au vu des dissensions en interne et les enjeux à venir, de quoi aurait grandement besoin le président pour ce remaniement ? Quelles sont ses options ?

Christophe Bouillaud : Le vrai apport dont on aurait bien besoin le gouvernement Philippe serait celui de personnalités ayant une profondeur politique et surtout ayant eu à affronter le suffrage universel, autrement dit des politiciens sachant sentir les mouvements de l’opinion publique et sachant s’exprimer librement selon leur inspiration du moment sans avoir recours à ces éléments de langage. Le côté « armée des clones » de la communication gouvernementale actuelle offre certes une cohérence sans faille, mais il donne aussi l’impression d’avoir affaire à des personnalités sans profondeur intellectuelle aucune, voire sans opinions politique bien arrêtées. LREM n’a certes pas beaucoup de personnalités de ce genre en réserve. Si l’allié du Modem en  dispose, dont bien sûr le chef du Modem lui-même, F. Bayrou,  ces dernières ont été grillées par les affaires les concernant l’année dernière qui les ont menées à la démission. Il resterait à débaucher des personnalités au PS ou chez les Républicains. Au PS, il ne reste pas beaucoup de personnalités de premier plan à débaucher, en dehors de l’hypothèse évoquée ces jours-ci de Ségolène Royal. Cela donnerait d’ailleurs un côté vaudeville à l’affaire, puisque l’ex-compagnon de cette dernière, le père de ses enfants, F. Hollande, ne désespère pas de ses chances de retour en politique. Chez les Républicains, des personnalités pourraient peut-être se laisser tenter par l’expérience ministérielle, mais cela supposerait vraiment un virage à droite encore plus marqué qu’actuellement. De fait, en dehors de cette hypothèse de séduire des personnalités issus de l’un des deux anciens partis de gouvernement, il ne reste guère d’option. Il vaut mieux trouver quelque personnalité de la société civile à promouvoir, et ne pas trop attendre de ce remaniement en termes de popularité pour l’exécutif. 

Daniel Cohn-Bendit a refusé la proposition faite par Emmanuel Macron. Quel message et quelles conséquences cela pourrait-il avoir ?

C’est assez logique qu’un Daniel Cohn-Bendit ne puisse pas entrer dans un gouvernement Philippe. Il ne l’aurait fait qu’au prix de choix en matière d’environnement que ne peut pas avaliser un ancien responsable des affaires publiques chez Areva. La contradiction aurait été trop grande. D. Cohn-Bendit, l’un des leaders historiques du Parti vert européen (dont EELV est la version française), n’allait pas se vendre,  en plus à son âge, pour rien de tangible tout de même, et son prix était sans doute bien trop élevé en matière de politiques publiques pour qu’E. Macron puisse le payer sans se couper des intérêts qui le soutiennent. Cela veut dire que le prochain Ministre de l’environnement sera nécessairement tout aussi impuissant que N. Hulot – ou tout aussi dans les « tous petits pas ». La meilleure option désormais pour E. Macron est de « prendre sa perte », c’est-à-dire d’admettre aux yeux du monde qu’il n’est qu’un dirigeant très peu préoccupé de l’avenir écologique du monde. Après le départ d’Hulot et le refus de D. Cohn-Bendit, il devrait admettre qu’il ne fera plus jamais croire aux Français qu’il veut mener une politique écologique forte. De toute façon, d’un côté, personne de vraiment intéressé à ce sujet dans le public ne le croira plus, et, de l’autre côté, est-ce que l’écologie et la sauvegarde de l’environnement et de la biodiversité intéressent vraiment le cœur de l’électorat macroniste : les retraités aisés, les entrepreneurs et les cadres supérieurs du secteur privé ? Je ne le crois pas. Un quelconque ministre spécialiste en « greenwasching »  leur suffira. 
En réalité, ce choix d’abandonner les prétentions écologiques de LREM n’aura pas grandes conséquences : il faut en effet se souvenir que l’environnement n’est pas une préoccupation majeure des Français et que les partis écologistes (EELV, CAP 21, etc.) stagnent électoralement depuis  des décennies. Ce n’est pas un hasard si l’on ne fait que des « petits pas » depuis quarante ans. 

Au final est-ce que le problème ne serait pas tant une question d'hommes, mais plutôt de politique menée ?

Oui, sur le plan plus général de la popularité déclinante d’Emmanuel Macron et du gouvernement Philippe, il s’agit avant tout de l’effet qui commence à se faire sentir de politiques publiques qui ne correspondent pas à ce que voudraient les Français. La hausse du pouvoir d’achat par exemple n’est pas au rendez-vous – pour des raisons d’ailleurs qui ne dépendent bien sûr pas toutes de l’action du pouvoir depuis mai 2017, comme avec la remontée des prix de l’énergie fossile. 
On se doit de noter que ce n’est pas du tout l’inaction, ou les « petits pas », en matière de transition écologique qui chagrinent l’immense majorité des électeurs, mais des préoccupations fort matérialistes de court terme (salaires, marché de l’emploi) ou de moyen terme (retraites). Si demain le gouvernement Philippe pouvait doubler le SMIC et permettre ainsi à chaque salarié ainsi augmenté de s’acheter à crédit un rutilant SUV diesel bien polluant lors de son usage et bien gourmant en matières premières pour sa production, je parie fort qu’il serait tout d’un coup fort populaire. Nos concitoyens  les moins favorisés veulent que « la fête commence » pour eux aussi. Et puis, si l’on s’éloigne de ces rêves consuméristes, comme dirait N. Sarkozy, il y a plus important que le climat : l’immigration. Factuellement, du point de vue des préoccupations exprimées dans les sondages, et dans les urnes, il a entièrement raison. La planète se meurt peut-être, mais il reste plus important pour la plupart des gens de savoir qui forme leur voisinage immédiat. 
Bref, ce n’est pas l’inaction face à la menace d’un bouleversement irréversible du climat qui peut faire échouer ce quinquennat aux yeux des Français, mais l’incapacité à répondre à des demandes bien plus banales. On peut le regretter, mais notre démocratie est court-termiste.

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