Relaxe des policiers dans la mort de Zyed et Bouna : comment une certaine gauche joue avec le feu en dénonçant un "apartheid juridique"<!-- --> | Atlantico.fr
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Les policiers accusés dans la mort de Zyed et Bouna ont été relaxés.
Les policiers accusés dans la mort de Zyed et Bouna ont été relaxés.
©Reuters

Le choix des mots

Suite à la relaxe hier lundi 18 mai des deux policiers poursuivis pour la mort en 2005 de Zyed Benna et Bouna Traoré, Jean-Pierre Mignard, l'avocat des familles, a parlé "d'apartheid juridique".

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico. Que pensez-vous de cette affaire qui dure depuis dix ans ?

Philippe Bilger. Depuis le début, j'ai toujours été frappé par cette volonté d'installer dans l'esprit public le fait que les policiers étaient coupables et que ces jeunes gens avaient été victimes de l'abstention délictuelle des policiers. Au fond, depuis le début j'ai eu cette impression, en tant que citoyen, que l'on voulait à toutes forces que ces policiers soient coupables. Avec l'immense talent physique et judiciaire de Me Jean-Pierre Mignard et évidemment les connections politiques qu'il a, l'idée de la culpabilité des policiers et de la non-implication des deux victimes est devenue presque parole d'évangile. J'analyse comme ça l'indignation totalement invraisemblable à gauche de la part d'une certaine gauche devant la relaxe des deux policiers. C'est comme si les fantasmes étaient dissipés et qu'un tribunal, après avoir vu le détail de la procédure, décrétait que les policiers méritaient d'être relaxés parce qu'ils n'avaient rien fait. Alors, je dis "une certaine gauche" parce que j'ai lu des déclarations. Fleur Pellerin, notamment, a fait une déclaration normale, tout à fait acceptable et qui respecte l'état de droit, qui ne met pas en cause une décision de justice. 

Il est évident, après tant d'années, après qu'on ait monté en épingle cette affaire comme empblématique de l'innocence de certains jeunes gens de banlieue, la décision d'un tribunal correctionnel qui relaxe deux policiers n'a pu qu'avoir un effet dévastateur dans la conscience de gauche.

Que pensez-vous du terme "apartheid juridique" employé par Me Mignard ?

Je trouve que Jean-Philippe Mignard a un talent considérable. Il a l'appui de beaucoup de médias, a des connexions politiques de haut niveau, il sait choisir le langage qui va frapper, mais c'est une formule, rien de plus. Le fait de trouver cette formule, "apartheid juridique", ça ne démontre pas la validité de ce qu'il y a dedans. C'est le mot acerbe et qui va demeurer demain dans les journaux d'un avocat qui considère que sa cause a été injustement déniée, mais rien de plus. On a un tribunal correctionnel devant les faits et le dossier qu'il avait examiné a considéré que les policiers devaient être relâchés un point c'est tout. Ce n'est pas un "apartheid juridique", mais au contraire, c'est un état de droit qui fonctionne bien ou du moins j'ose dire qu'il n'y a pas plus de preuves de son côté que du mien. Je ne vois pas de raison de discuter d'une relaxe de policiers alors que tout démontre que le procès correctionnel s'est déroulé selon les règles d'état de droit ou alors faut-il considérer qu'il y a apartheid juridique à une certaine position de gauche. La plupart du temps, il y a une présomption de culpabilité contre les policiers et la police, je suis heureux de constater qu'après un examen lucide de ce dossier dont a beaucoup parlé, les magistrats aient relaxé, j'en conclus qu'ils n'avaient rien à se reprocher en l'occurence.

Est-ce que cette expression est digne au regard du fonctionnement de la justice dans ce cas et de manière générale ?

Elle n'est pas scandaleuse parce que Jean-Pierre Mignard a trop d'intelligence pour tomber dans une outrance scandaleuse, elle est limite. Elle laisse penser que la justice à discriminer selon des critères choquants. Elle est très habile, mais n'est pas exacte. Elle reste dans la mesure, même si elle laisse passer un message tout à fait dangereux par rapport à l'état de droit. C'est ce qu'a très justement rappelé la ministre Fleur Pellerin parce que "apartheid juridique" voudrait signifier qu'un tribunal ne s'est pas décidé au nom de la justice mais au regard de la race, ou de la classe socialeet c'est extrêmement grave de laisser penser cela pour notre démocratie

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