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Relance conditionnée : l’Europe du sud (et la France...) sous surveillance
©Francois Mori / POOL / AFP

Œil de Moscou

En mettant sur la table l'idée d'une mutualisation des dettes au sein de l'Union européenne, la France et l'Allemagne ont fait sauter un verrou idéologique.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Quelles sont les différentes fractures qui peuvent (ré)apparaitre au sein de l'Union européenne maintenant que le verrou de la mutualisation des dettes a sauté avec le plan de relance initié par la France et l'Allemagne ?

Christophe Bouillaud : Faisons attention : pour l’instant, il ne s’agit que d’une proposition partagée par la France et l’Allemagne. Il reste à la faire approuver par les 25 autres pays de l’Union européenne, et surtout à entrer dans les détails, en particulier dans toutes les conditionnalités possibles liées à cette éventuelle nouvelle manne européanisée dont les Etats membres pourraient disposer. Rien n’est fait encore.

Par contre, il me semble qu’il faut enregistrer pour l’histoire la déclaration d’Angela Merkel de cette semaine selon laquelle les Etats-Nations, dont l’Allemagne bien sûr, sont trop petits pour les défis du futur qui nous attend. Cette réaffirmation du credo européen, classique en fait depuis des décennies, par A. Merkel, et le ton grave sur laquelle elle a été faite, semble témoigner d’un choix fait par la Chancelière : le temps est venu d’avancer. Il reste à voir si cette décision sera suivie par les autres dirigeants conservateurs allemands, sous pression d’un parti d’extrême-droite, l’AfD, qui retrouve ainsi sa raison d’être à sa création en 2013, à savoir refuser toute « union de transfert » entre Européens .

Il faut aussi noter une asymétrie inquiétante : en Allemagne dans l’espace public, l’annonce de ce plan de 500 milliards d’euros a été perçue comme une vraie avancée, avec ses avantages et ses inconvénients, et cela correspond à une partie de la réponse au jugement de la Cour constitutionnelle allemande sur l’action de la BCE rendu il y a quelques jours. Le débat sur l’avenir de l’Union européenne est donc ouvert outre-Rhin. En France, il ne me semble pas que les médias français aient rendu compte vraiment de l’enjeu à sa hauteur réelle. On est en effet en train de peut-être mettre le doigt dans l’engrenage qui devrait mener à terme à une réforme institutionnelle de l’Union européenne. En sommes-nous suffisamment averti ? Y sommes-nous prêts collectivement comme peuple ? Cette asymétrie me parait d’autant plus gênante que les sondages montrent dans le même temps une confiance bien faible des Français envers l’Union européenne.

D’autres opinions publiques ont mieux compris ce qui pourrait se passer. Il suffit de voir la réaction immédiate et hostile des dirigeants des « pays frugaux » : la Suède, le Danemark, l’Autriche, et les Pays-Bas. Ce sont quatre pays riches, qui sont depuis des décennies des contributeurs nets au budget européen. L’hostilité de ces pays se comprend très bien pour les deux pays nordiques, pour lesquels il est hors de question de participer à quelque fédération européenne que ce soit, car, de toute façon, ils ne sont déjà pas dans la zone Euro – soit parce qu’ils ont négocié cet écart à la norme lors du Traité de Maastricht (Danemark), soit parce que leur peuple a voté contre l’adhésion à la zone Euro (Suède, en 2003). Elle s’explique moins bien pour les Pays-Bas et pour l’Autriche, qui ont adhéré tous deux à la monnaie commune, or cette dernière implique à terme une fédération, sauf à croire comme on dit au Père Noël.

L’hostilité de ces deux pays tient sans doute au fait que, par bien des côtés, ils sont des paradis fiscaux internes à l’Union européenne. Les Pays-Bas en particulier ont attiré de très nombreux sièges de multinationales opérant en Europe en leur offrant des conditions fiscales particulièrement attractives. Or, si l’on commence à bâtir un vrai budget commun entre Etats européen, qui dépasse les 1% du PIB européen géré par la Commission européenne actuellement, il va être difficile de ne pas parler rapidement de fiscalité commune. Il faudra bien en effet trouver des ressources fiscales pour garantir ces émissions de dette par l’Union européenne. Or les seules vraies ressources fiscales politiquement acceptables aujourd’hui se trouvent du côté de l’évasion, ou de l’optimisation, fiscales des multinationales. On ne peut pas taxer plus les ménages, ni les entreprises ordinaires, il ne reste donc que les multinationales qui ont eu la fâcheuse habitude depuis un bon quart de siècle de multiplier les méthodes, toutes plus ingénieuses les unes que les autres, pour payer le minimum d’impôts, et ce avec l’aide d’une pléthore d’Etats devenus des paradis fiscaux et vivant ainsi aux dépens d’autrui. La situation est devenue tellement absurde du point de vue d’une fiscalité juste qu’une discussion est en cours à l’OCDE sur ce point depuis quelques années.

La question de la fiscalité va donc devenir centrale dans la gestion des rapports entre pays membres, quels compromis peuvent-être trouvés et quels en seront les coûts pour la relance européenne ?

Le compromis majeur serait déjà de faire payer aux multinationales ce qu’elles devraient payer comme impôts aux Etats si elles ne faisaient pas cet immense « jeu de bonneteau ». Certes, les Etats qui leur offrent leurs services perdraient des ressources fiscales, mais ils retrouveraient une partie de cette perte via l’apport du budget européen.

Le second compromis serait de se décider à avoir une taxation carbone aux frontières de l’Union européenne. Il est en effet absurde de demander aux entreprises et consommateurs européens de faire des efforts de réduction de CO2 si, dans le même temps, nous importons des biens ou des services qui ont utilisé beaucoup de CO2 pour être produits ailleurs. Cela nous amènera sans doute des rétorsions commerciales de la part de certains pays, mais cela permettra à l’Union européenne de prendre de l’avance sur les technologies et les pratiques peu émettrices de C02.

Le coût de ces deux mesures ne serait sans pas très grand pour l’Union européenne. Les multinationales en effet ne savent plus quoi faire de leur argent, qu’elles utilisent souvent pour doper leur cours boursier en rachetant leurs propres actions. Est-il vraiment utile par ailleurs que les Européens se cotisent de fait pour accroître le trésor de guerre d’une firme américaine comme Apple ou Google ? La taxation CO2 aux frontières ferait augmenter les prix pour le consommateur final, mais inciterait des producteurs en interne à trouver des solutions alternatives moins chères.

Des pays comme l'Italie ont besoin de cette mutualisation mais observent un fort rejet dans l'opinion vis-à-vis l'UE. Ces compromis risquent-ils de créer des ressentiments au sein des nations ?

Oui, c’est sûr que depuis le Traité de Maastricht, les vicissitudes de la vie économique et politique européenne ont détourné une bonne part des Européens du projet européen. Le cas des Italiens est emblématique : à coup de crises économiques successives et de mauvais choix pris au nom de l’Union européenne, ils se déclarent désormais très peu confiants dans cette dernière, mais, en même temps, ils ne demanderaient pas mieux que de recevoir une aide massive de l’Europe à laquelle ils pensent avoir fondamentalement droit après tant de sacrifices au nom de l’Europe.

De fait, c’est là le paradoxe : aucun peuple ne semble vraiment prêt à ce saut fédéral, au sens fort du terme, tout en en espérant en même temps les avantages déjà là ou à venir de ce même fédéralisme. Les Néerlandais ne veulent pas dans leur majorité payer pour ces « fainéants de sudistes », mais, en même temps, je doute qu’ils veulent la fin du « Marché unique » qui les fait vivre depuis les années 1950. Même remarque sans doute pour les trois autres peuples des « quatre frugaux » qui vivent eux aussi dans des économies complètement ouvertes. Il est d’ailleurs assez ironique de trouver l’Autriche parmi les pays réticents au fédéralisme budgétaire, alors même que l’idée européenne au XXème siècle se trouve être largement inspirée par des intellectuels autrichiens qui voulaient reconstituer un large marché unifié entre nationalités après le choc de l’éclatement de l’Autriche-Hongrie en 1918 en des petits Etats successeurs peu viables économiquement.

A réécrire l’histoire, il aurait mieux valu d’abord s’assurer d’abord de la volonté populaire de faire une fédération et ensuite de créer une monnaie commune, plutôt que de se lancer dans cette aventure de la monnaie commune, qui finit par obliger tout le monde à entrer dans cette fédération ou à tout perdre. Ce qui bien sûr ne peut porter qu’à ressentiment.

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