Réindustrialiser la France, c’est possible. Mais qui aura le courage d’assumer la politique que ça suppose ?<!-- --> | Atlantico.fr
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A Chalampé sur le site d'Alsachimie (groupe BASF), le 17 janvier 2022, le président Macron avait une nouvelle fois évoqué la nécessaire réindustrialisation de la France.
A Chalampé sur le site d'Alsachimie (groupe BASF), le 17 janvier 2022, le président Macron avait une nouvelle fois évoqué la nécessaire réindustrialisation de la France.
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Défi

Depuis la crise du Covid, l'inquiétude est de mise pour l’industrie, partout en Europe, mais surtout en France.

Olivier  Lluansi

Olivier Lluansi

Olivier Lluansi est chargé par le Gouvernement d'une réflexion sur l'avenir de nos politiques industrielles

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Atlantico : Quel est votre diagnostic sur la situation actuelle ?

Olivier Lluansi : En 2020, après le Covid, tout le monde a eu très peur pour l’industrie, partout en Europe, mais surtout en France dont le tissu industriel est déjà faible. Les inquiétudes étaient fortes mais la famille de l’industrie s’est mobilisée. La France a mis en place le plan France Relance, 100 milliards d’euros dont un tiers pour l’industrie. Cela a rassuré et même amorcé un début de réindustrialisation. Les ouvertures d’usines actuelles ont quasiment toutes bénéficié de France Relance. Aujourd’hui, il y a environ la même somme sur la table, 110 milliards, mais seulement 10 milliards dédiés à l’économie, aux entreprises, et 100 milliards pour les ménages. Cette fois-ci, la famille de l’industrie s’est insuffisamment mobilisée. Face à cela, trois types d’entreprises vont être particulièrement touchées. D’abord, celles qui consomment beaucoup d’énergie (Aluminium Dunkerque, Arc, la chimie de manière générale), celles qui ont du mal à passer des hausses de prix (notamment la filière agroalimentaires) et enfin toutes les TPE qui n’ont pas beaucoup de trésorerie. Que ce soit Michelin ou un PMI du bassin de Béthune, elles vont voir leur facture d’énergie multipliée par 5 ou 6, progressivement. On estime qu'un cinquième de notre tissu est menacé d’arrêt temporaire ou définitif.

Que faut-il faire à court terme pour sauver l’industrie ?

La première chose à faire, si c’est encore possible, c’est rééquilibrer la répartition des 110 milliards entre les entreprises et les ménages. Les Allemands vont mettre 200 milliards, répartis 50-50. Ce rééquilibrage est plus important que la masse globale. Le gouvernement doit se préparer à mettre 10 ou 20 milliards supplémentaires sur la table pour sauver l’industrie, d’où que vienne cet argent.

Le deuxième point urgent, c’est d’arrêter le couplage entre l’électricité et le gaz. L’Espagne et le Portugal ont réussi à le faire car ils sont une forme de péninsule énergétique. Le faire au niveau français et européen est plus compliqué car à cause des problèmes de notre nucléaire nous sommes demandeurs. Mais on peut le faire sous le radar, EDF nationalisé pourrait proposer des contrats de gré à gré aux entreprises, puisque son obligation ne serait plus le profit à tout prix. EDF pourrait proposer des contrats de long terme, compétitifs.

Ensuite, il faut une solidarité européenne. Il faut continuer de faire vivre les fournisseurs actuels basés en France ou en Europe. Si on se tourne vers les Etats-Unis ou la Chine où l’énergie est moins chère, on se tire une balle dans le pied. Il faut une vraie mobilisation générale. On sait que, à cause des règles européennes, on ne peut pas dire qu’on souhaite acheter du made in France, mais tous les acheteurs publics vous disent qu’en utilisant les critères de RSE, on peut arriver au même résultat. En utilisant intelligemment les textes on peut faire de l’achat « localisé ».

On pourrait imaginer que les grandes entreprises, notamment celles dont l’Etat est au capital, fassent preuve de solidarité pour consolider leur écosystème. Il faut mobiliser la demande pour maintenir notre outil productif.

Enfin, dans une période d’incertitude comme nous la connaissons, il faut essayer d’avoir une communication plus constante et régulière, moins inconstante, notamment sur le redémarrage du parc électronucléaire pour donner des indications fiables et rassurer les investisseurs .

Et à plus long terme, que faudrait-il faire ?

Prenons l’actualité européenne. La taxe carbone qui a été décidée protège les industries de base mais expose les produits transformés. Nous aurions donc fait un choix en ce sens. Or nos industries de base sont souvent les plus consommatrices d’énergie : le verre, la chimie, le ciment, l’acier, etc. Et dans le même temps, on laisse divaguer les marchés de l’énergie. C’est contradictoire. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas de vision. Il faut savoir ce qu’on veut. Peut être que la réponse sera : on doute être une zone pour l’aluminium car c’est très énergivore et nous n’aurons pas l’énergie à bas coût pour le produire. Cela demanderait un fort courage politique. Et je prends évidemment un cas caricatural. Mais il faut une vision de notre industrie pour éviter de donner des signaux contradictoires aux investisseurs. Une usine c’est un engagement sur 10 ou 20 ans.

Autre point, nous avons France 2030, mais il faut aller de l’avant. Le président de la République avait évoqué des commandos il y a un an. Mais aujourd’hui la gouvernance de France 2030 c’est 14 comités ministériels au sein desquels les personnalités qualifiées sont dénommées « ambassadeurs ». Il y a un certain écart entre les deux terminologies. La gouvernance peut être allégée, mais l’outil est là, il est très utile pour l’innovation fondamentale et doit servir.

En revanche, un outil qui nous manque, c’est de capitaliser sur nos territoires. Les chefs d’entreprises dans les territoires ont plein de projets qu’ils n’ont jamais mené à bien. Si on va les voir, qu’on les accompagne et qu’on leur donne des éléments de confiance, ils pourront le faire. A Béthune, lors de la fermeture de Bridgestone, ils ont consulté les industriels locaux pour chercher les projets dormants. France Relance est venu se greffer à cela. Aujourd’hui, l’agglomération de Béthune-Bruay regroupe un tiers des projets de France Relance des Hauts de France.  A mon sens, ces projets dormants représentent un potentiel presque équivalent à celui de France 2030. Si l’on cumule les deux on pourrait recoller à la moyenne européenne.

Enfin il faut s’attaquer aux six freins, 4F2A : la disponibilité du Foncier, les Formalités – la durée des procédures, le Financement – nous avons encore une fébrilité à investir -, la Formation, mais aussi l’Attractivité des métiers de l’industrie et des territoires et l’Acceptabilité des projets par les populations. Hormis les formalités et le financement, tout se travaille sur le terrain. Mais les moyens que possède la puissance publique sont mal répartis selon les échelles où se situent les besoins, ils sont beaucoup trop centralisés. Il faut aussi changer cela.

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