Régulation du Bitcoin : les dures illusions de la Commission européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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Les institutions financières mondiales s'inquiètent du succès des cryptomonnaies.
Les institutions financières mondiales s'inquiètent du succès des cryptomonnaies.
©Ozan KOSE / AFP

Volonté de régulation

Les institutions financières mondiales s’inquiètent du succès des cryptomonnaies. Leur utilisation est de plus en plus importante et pour les banques centrales leur régulation devient un enjeu urgent. Ainsi, la Banque de France, par la voix de son gouverneur François Villeroy de Galhau, a annoncé qu’il ne restait plus qu’un ou deux ans pour établir un cadre réglementaire pour les cryptomonnaies sous peine d’un affaiblissement de l’euro et de la souveraineté nationale.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Qu’envisage la BCE pour réguler le Bitcoin ? Le calendrier des mesures permettra-t-il à cette régulation d’avoir un impact sur ce marché en pleine expansion ?

Michel Ruimy : La répression tendrait-elle à avancer plus vite que l’innovation ? C’est la conclusion à laquelle parviendront sans doute nombre de personnes à la suite des déclarations des autorités monétaires. C’est une lecture biaisée car il semble impossible, aux plans intellectuel et juridique, de réguler tous les cryptoactifs de la même manière en se fondant uniquement sur leur nature numérique. Un grand nombre d’usages, d’objectifs, de modes d’émission, de possibilités d’échanges et éventuellement de droits sont, en fait, associés aux cryptoactifs.

Les problèmes posés aujourd’hui concernent essentiellement les supports à visée monétaire (currency tokens), comme le bitcoin, car certains envisagent un avenir de remplacement des monnaies nationales par une multitude de cryptomonnaies, créées par des individus en dehors de tout cadre démocratique et national, qui peuvent se concurrencer entre elles et dont le volume et les limites d’émission sont souvent fixés à l’avance et de manière définitive, sans prêteur en dernier ressort et sans autre légitimité qu’une légitimité technique. Ces caractéristiques rappellent les errements des périodes de concurrence des monnaies (cf. free banking aux États-Unis dans la seconde moitié du XIXème siècle), qui impliquaient des coûts de transaction élevés, une absence de prêteur en dernier ressort, la tenue de comptabilités multiples et une fragmentation des échanges. Les monnaies nationales modernes, unifiées sous l’autorité d’une banque centrale, malgré tous leurs défauts, ont constitué un progrès majeur par rapport au règne des monnaies privées. Sans cette unification de la monnaie, le développement économique aurait été plus lent.

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Par ailleurs, de nombreux acteurs du milieu des cryptoactifs, conscients des limites de cet objectif, regardent plutôt en direction d’une « monnaie digitale banque centrale », dont le taux de conversion par rapport à la monnaie officielle serait fixe et l’émission légitime et garantie, à l’instar de ce qui se pratique pour les monnaies locales ou pour la monnaie électronique. L’aléa suscité par la variabilité des cours s’en trouverait ainsi fortement réduit, et l’usage de la blockchain pourrait en être amélioré dans de nombreux domaines.

Le principe qui paraît devoir être concrètement retenu en termes de régulation est de partir des usages et d’un principe « même risque, même régulation ». On distinguerait alors trois usages principaux : les « securities tokens » (assimilables à des titres financiers classiques), les « utility tokens » (conférant un statut / droit d’utilisation sans être nécessairement cédés et qui peuvent être utilisés comme moyen d’échange) et les « currency tokens » (cryptoactifs ayant pour but affiché de pouvoir servir de moyens de paiement).

Combattre les excès de la finance d’aujourd’hui ne doit pas nous ramener tout droit en plein XIXème siècle. On ne peut pas plaider la liberté et la non-régulation d’un côté et en appeler de l’autre à la garantie sociale sur des activités lucratives privées. C’est davantage dans cette optique qu’il convient de voir les choses.

N’y-a-t-il pas une forme d’hypocrisie à déclarer que les cryptomonnaies sont une bulle voire un non-sujet et en même temps tout faire pour les encadrer ?

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Depuis Aristote, la monnaie se définit, de manière traditionnelle, à travers trois fonctions : unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur. Les cryptoactifs n’en remplissent correctement aucune. Leur volatilité, leur nature quasi-exclusivement spéculative et leur complexité dans la conduite des transactions leur interdisent de représenter des unités de compte stables, de servir d’intermédiaire dans les échanges ou de constituer une réserve de valeur à long terme. Pour autant, une monnaie ne peut se résumer seulement à ces fonctions économiques. Elle est aussi un instrument de cohésion sociale et de souveraineté puisqu’elle garantit l’intégrité du système des paiements et assure leur finalité au sein d’une société.

Or, le bitcoin, qui a porté avec lui, dès son origine, des valeurs (revendication d’une devise pure et apatride, promotion des libertés individuelles, défense du marché libre, anonymat…) souvent associées à une idéologie libertarienne, est un actif hautement spéculatif. C’est pourquoi il semble nécessaire d’appeler à la plus grande prudence, comme l’ont déjà fait plusieurs institutions (Banque des règlements internationaux, Autorité européenne des marchés financiers, Banque de France…).

Je ne pense pas qu’il y ait une forme d’hypocrisie dans les propos des autorités. Il faut bien faire la distinction entre la technologie blockchain et les cryptoactifs qui utilisent fréquemment, mais pas obligatoirement, cette technologie, dont ils ont, en revanche, incontestablement favorisé l’essor. Les objectifs ne sont pas les mêmes : on peut favoriser légalement la blockchain et condamner, en même temps, la mise en circulation de cryptoactifs qui visent délibérément à maintenir l’anonymat de leurs détenteurs et ainsi à servir de « cache » à des trafics illicites en tout genre.

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Que faut-il donc réguler ? Certains cryptoactifs ont pour objet avéré de développer des caractéristiques proches de celles des monnaies (coins) tandis que d’autres ont un objet plus précis et plus limité, par exemple sur un marché / activité particulière (tokens). Certains visent à promouvoir un système d’échange parallèle pour les transactions sur l’internet (Bitcoin), d’autres servent à garantir l’exécution de « smart contracts » (Ethereum) et d’autres encore servent de pont pour faciliter les transactions internationales (Ripple).

Pour nombre d’acteurs de cet écosystème en pleine ascension, l’émission et l’utilisation de cryptoactifs représentent une source de financement simple, efficace et puissante d’autant plus qu’elle n’est pas encore très régulée. Ils ont donc un rôle non négligeable dans le financement de l’innovation.

Pourtant, ces réflexions de fond doivent également s’accompagner d’une réflexion sur les défis immédiats posés par les cryptoactifs. Il faut avoir conscience des problèmes que ces supports peuvent poser en matière de fraude ou d’évasion fiscale, de blanchiment de capitaux, d’escroquerie ou encore de consommation énergétique.

Au plan historique, la Finance a toujours su intégrer les dernières innovations technologiques aux formes de la monnaie (puce électronique avec les cartes bancaires, monnaie électronique…). L’euro numérique, s’appuyant sur une blockchain, devrait être une nouvelle illustration de cette tendance en étant une forme supplémentaire de paiement sécurisée.

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