Usage de l'arme
Refus d'obtempérer : Nanterre ou le prix de 40 ans de renoncements politiques
Mardi matin, après un refus d'obtempérer, un automobiliste âgé de 17 ans a été tué à Nanterre par un policier qui a fait usage de son arme.
Gérald Pandelon
Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020).
Vincent Tournier
Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.
À Lire Aussi
- d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre jusqu’à un an ;
- une amende pouvant grimper jusqu’à 7 500 € ;
- une perte de 6 points sur leur permis de conduire.
Des peines complémentaires pourront également être prononcées contre ces usagers, comme :
- une suspension pour une durée maximum de trois ans du permis de conduire (avec possibilité d'aménagement pour que l’usager puisse continuer à conduire dans le cadre de sa profession) ;
- une peine de travail d’intérêt général ;
- des peines de jours-amende ;
- une annulation du permis de conduire, assortie d’une interdiction de repasser l’examen pendant trois ans ;
- la confiscation du ou des véhicules du conducteur incriminé ;
- l’obligation de suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière.
Des peines nettement plus lourdes pourront être retenues contre les conducteurs dont le comportement aura mis en danger la vie des autres usagers de la route. Ainsi, la peine de prison pourra être ramenée à 5 ans, assortie d’une amende pouvant atteindre jusqu’à 75 000 € et d’une suspension totale du permis de conduire (sans aménagements liés à l’activité professionnelle de l’usager condamné).
Gérald Pandelon : Il y a une crise globale du politique et une crise de l'Etat et de sa légitimité, ce n'est pas un secret. Je me souviens que ce thème constituait déjà la tarte à la crème à la fin des années 80 et au début des années 90 au cours de mes études de sciences po, il y a plus d'une trentaine d’années déjà. Mais c’est la défiance institutionnelle qui est l’alliée objective de la délinquance. Une défiance qui fait que les banques ne prêtent que difficilement de l'argent. Du coup le milieu criminel trouve une sorte de raison d'être en devenant une banque occulte ou parallèle dans un monde où les banques ne prêtent qu’avec parcimonie. Avez-vous entendu parler des critères prudentiels d’encadrement du crédit ? Ces mêmes critères créés par la commission européenne qui imposent des critères de prêts particulièrement drastiques. Tous ces facteurs nourrissent une économie informelle. D'une certaine manière, nous avons les criminels que nous méritons. Un monde sans crime ni pègre n'existe pas et ne peut pas exister à partir du moment où personne n’a intérêt à le juguler, au-delà des mots. Mais un monde où la pègre occupe une telle importance n'est pas concevable non plus. Or l'Etat en France n'est plus le plus fort et une société où l'Etat ne fait plus la loi face à des groupes mafieux dont la puissance occulte est en réalité devenue une super puissance, n'en est plus une. Aujourd'hui, nos édiles font mine de penser que les voyous vivent et s'exterminent entre eux pour des affaires marginales alors que les sommes d'argent colossales du trafic de drogue s'investissent partout dans la ville jusqu'à corrompre les hommes politiques.
Après la mort d’un jeune homme de 17 ans suite à un refus d'obtempérer des émeutes et échauffourées ont eu lieu dans plusieurs villes de France entre la police et les habitants. Avant cela, de très nombreuses réactions politiques se sont fait entendre, comme celle de Jean Luc Mélenchon qui a tweeté “Cette police incontrôlée par le pouvoir discrédite l'autorité de l'Etat. Elle doit être entièrement refondée. Condoléances affligées à la famille.” Qu’est-ce que cela nous dit de la situation du pays et de son état de division ?
Vincent Tournier : Les circonstances exactes de cette affaire, de même que les responsabilités, doivent naturellement être établies, mais on peut d’ores et déjà relever qu’on est face ici à un scénario archi-classique, vu et revu un nombre incalculable de fois depuis le début des années 1980 : d’abord la police tente d’arrêter un jeune, généralement issu de l’immigration ; l’interpellation se passe mal et se termine soit par un accident, soit par l’usage d’une arme ; finalement s’ensuivent des émeutes urbaines, avec parfois une extension à d’autres communes, ce qui est d’ailleurs la grande crainte des pouvoirs publics.
Les réactions politiques qui s’ensuivent empruntent alors deux narratifs : soit celui, plutôt de gauche, qui consiste à prendre la défense des jeunes et à dénoncer la violence des institutions publiques ; soit celui, plutôt de droite, qui prend le parti des policiers et dénonce un ensauvagement de la société.
Ces deux narratifs sont devenus instinctifs et irréconciliables. Il n’y a aucun espoir de les voir se convaincre mutuellement. Même si les enquêtes ultérieures permettent d’établir assez précisément les faits et leur enchaînement, les désaccords sur l’interprétation vont demeurer. Cette incompréhension mutuelle est problématique parce qu’elle signifie qu’il n’est plus possible de faire émerger un consensus politique. La fracture idéologique est trop profonde. La question importante est de savoir quel narratif va suivre le pouvoir en place. Les premières réactions du président et de sa majorité semblent s'orienter vers celui de gauche, mais il est possible qu'il soit conduit à alterner les deux : d'abord le narratif de la gauche pour éviter un embrasement dans les banlieues, puis celui de la droite pour éviter une révolte des policiers.
Qui est cette France des refus d'obtempérer ainsi que celle qui remet en cause la légitimité de la police, celle de l’Etat, etc. ? Comment est-elle née ?
Vincent Tournier : Le refus d’obtempérer est un élément essentiel du problème : d’abord parce que c’est le point de départ dans cette affaire, comme dans toutes celles qui lui ressemblent, ensuite parce que c’est le seul élément que personne ne remet en cause : tout le monde admet que le jeune en question n’a pas obéi aux policiers. La question est donc de savoir pourquoi un jeune refuse d’obtempérer quand il reçoit l’ordre formel de s’arrêter, avec en face de lui un policier qui le menace directement avec une arme. Dans ce genre de cas, aucun individu rationnel ne prend le risque d’être tué, sauf si on est un criminel qui encourt des peines lourdes, mais ce n’est manifestement pas le cas ici. Toute personne de bonne foi, même parmi les gens qui n’aiment pas la police, admettra qu’il s’agit là d’une réaction totalement absurde, surtout en sachant que le jeune est un mineur, donc qu’il aurait pu s’en sortir avec des sanctions légères.
Bref, pour expliquer ce type de réaction, on a deux options : soit on considère qu’il s’agit d’un acte de pure folie, soit il faut considérer que l’on a affaire à une autre rationalité que celle des gens ordinaires, fondée sur un autre système de valeurs. Comme ce genre de réactions n’est pas isolée, l’hypothèse de la folie semble peu pertinente. Il faut donc chercher les raisons d’une réaction aussi stupide, et ces raisons ne peuvent être que les suivantes : premièrement le refus d’accorder la moindre légitimité aux policiers, deuxièmement un sentiment de toute-puissance, et troisièmement un sens aigu de l’honneur, ce qui pourrait être le cas ici puisque le conducteur était visiblement accompagné de deux autres jeunes, ce qui autorise à penser qu’il a pu vouloir briller devant eux ou simplement éviter de perdre la face.
Tout l’enjeu est alors de comprendre pourquoi et comment ce type de valeurs parvient à se développer car il est clair que l’on a affaire ici à des valeurs qui sont difficilement compatibles avec les valeurs de la société moderne. S’ajoute à cela le problème des émeutiers : pourquoi des gens qui ne connaissent pas le détail de cette affaire se prennent spontanément de solidarité pour ce jeune au point d’aller caillasser la police et détruire des équipements urbains ? Quel citoyen ordinaire pourrait avoir ce type de réaction ?
Une certaine gauche qui déteste la police et caresse le rêve d’une nouvelle révolution peut être tentée de voir dans ces actions l’expression d’une forme de résistance face aux institutions, mais ce serait une erreur car on voit mal quel projet de société peut émerger d’un tel système de valeurs. Ces valeurs peuvent-elles vraiment participer à la construction d’une société plus écologique, plus solidaire, plus égalitaire et moins patriarcale ?
Comment en sommes-nous arrivés à de telles fractures dans la société française ? Nanterre est-il un cas particulier ?
Vincent Tournier : Une multitude de facteurs ont certainement joué, qui se sont accumulés au cours des dernières décennies. Mais il faut insister sur le rôle des facteurs locaux car la situation de Nanterre n’est pas sans intérêt. Plusieurs événements se sont en effet produits dans cette commune, donnant à voir un contexte particulier où une sorte de contre-culture semble prospérer.
Rappelons pour commencer qu’à l’automne dernier, des échauffourées ont eu lieu au lycée Joliot-Curie. La cause de ces violences était manifestement la volonté d’imposer le port des signes religieux, alors que la nouvelle direction voulaient mettre un terme à la tolérance qui prévalait jusque-là. Par ailleurs, la ville de Nanterre, dirigée par un maire communiste, s’est vu refuser par la préfecture la décision de céder un bâtiment dans le but d’agrandir la mosquée Ibn Badis. La préfecture a estimé que le prix de vente était trop faible, et la justice a approuvé cet argument.
Il faut en outre s’arrêter sur l’université de Nanterre. Sans mettre en cause naturellement l’ensemble des enseignants et des étudiants de cette université, on doit constater que l’extrême-gauche y est bien implantée et que plusieurs enseignants-chercheurs mènent un jeu trouble sur la question de l’islamophobie ou de la lutte contre l’islamisme. Un reportage de Charlie Hebdo a révélé que certains étudiants ne manifestaient guère d’empathie pour Samuel Paty, le professeur décapité en octobre 2019. Curieusement, le Parti des indigènes de la République a organisé une conférence contre « l’impérialisme gay » et des militants décoloniaux ont dénoncé ce qu’ils appellent la « gauche blanche ».
La religion est manifestement très présente dans l’université puisque celle-ci a accepté d’accorder pendant trois ans des créneaux spécifiques de sa piscine à des femmes musulmanes, qui venaient se baigner intégralement voilées. Quand on se souvient que l’université de Nanterre a été le point de départ de Mai-68 avec le Mouvement du 22-Mars, et que la piscine de l’université a même donné lieu, lors de son inauguration en janvier 1968, à un échange mémorable entre Daniel Cohn-Bendit et le ministre des sports François Missoffe au sujet de la libération sexuelle, on se dit que la roue a vraiment beaucoup tourné. On est d’autant plus étonné que l’université abrite un centre de recherche qui se targue de travailler sur l’égalité entre les sexes.
Tous ces éléments ne sont pas directement reliés au drame qui s’est déroulé hier matin, mais ils donnent des indications sur l’écosystème qui a pu se développer localement, et qui peut éventuellement aider à comprendre les attitudes des protagonistes.
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !