Réformes structurelles et sacrifices individuels : quels efforts les Européens sont-ils prêts à consentir pour sortir de la crise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour tous les participants de l'étude, la sauvegarde de l’emploi constitue la priorité numéro 1.
Pour tous les participants de l'étude, la sauvegarde de l’emploi constitue la priorité numéro 1.
©Reuters

Série "Les Européens face à la crise"

Quatrième et dernier volet de notre série "Les Européens face à la Crise" : quels efforts fournir et quels sacrifices faire pour sortir de la crise ? Comment les Européens imaginent-ils s’en sortir et à quoi sont-ils prêts pour cela ?

Véronique  Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier ont créé en mars 2007 FreeThinking, laboratoire de recherche consommateur 2.0 de Publicis Groupe.

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Pour les Britanniques interrogés par Ipsos en parallèle de l’étude FreeThinking, l’immigration est le problème numéro un à résoudre pour sortir rapidement de la crise (à 55%), pour les Italiens c’est le niveau excessif des impôts (à 54%), pour les Français et les Allemands les exigences excessives des actionnaires et des patrons (à 37% et  53%)… Ce que nous montrent les chiffres de l’enquête Ipsos, c’est qu’il n’y pas forcément de consensus sur les problèmes à résoudre en priorité au sein des populations européennes. Et sur les solutions à mettre en œuvre, notamment en ce qui concerne les réformes de structure en débat aujourd’hui au Sud du continent ?

En fait, là aussi : à la question « que faire pour sortir de la crise », les réponses apportées divergent nettement au niveau collectif, convergent sur le principe mais divergent sur les modalités de mise en œuvre au niveau des individus. Avec en définitive un constat : les Européens interrogés dans ces communautés donnent le sentiment d’avancer en ordre dispersé vers une sortie de crise qui demeure très hypothétique au Sud.

Des solutions divergentes au niveau des nations

Pour tous les participants, quel que soit le pays, quel que soit le rapport à la crise, quelle que soit la situation du pays face à la crise, la sauvegarde de l’emploi constitue la priorité. Mais les stratégies mises en avant par les Européens pour l’assurer diffèrent de façon radicale.

Pour l’Allemagne, le salut est à l’extérieur et « il y a une vie à côté de l’Europe ».  C’est toujours de la préservation de la capacité à exporter, et souvent vers cet ailleurs que représente le monde hors de la vieille Europe, qu’ils considèrent que le salut, la prospérité et l’emploi viendront. Concentrer les efforts sur l’exportation de la qualité allemande dans les pays émergents tout en gérant au mieux les exportations en Europe, c’est la solution évidente. Elle implique au niveau des priorités nationales un effort particulier à fournir pour maintenir la qualité de la main d’œuvre allemande (formation des jeunes, régulation de l’immigration).

« Nos entreprises sont en fait la force économique de l'Allemagne. (…) Les produits allemands sont connus et appréciés dans le monde entier pour leur qualité, nous ne devons pas le remettre en jeu par des productions bon marché à l'étranger. L'exportation est la principale branche économique mais elle ne le restera que si nous ne livrons que des produits de qualité » - Allemagne

« A mon avis, les entreprises allemandes se sont plutôt bien sorties de la crise jusqu'à maintenant. Ceci provient du fait qu'elles exportent dans de nombreux pays, et surtout dans des pays riches (comme la Chine et les pays arabes) dont la demande n'est pas tellement influencée par la crise européenne » - Allemagne

Pour la Grande-Bretagne, le raisonnement est proche : c’est résolument hors zone euro et hors Union Européenne, au sein du monde anglo-saxon que l’on situe les efforts de développement utiles, ceux qui pragmatiquement peuvent porter leurs fruits en termes de croissance et donc d’emploi. Avec une idée forte, que l’on retrouve en fait en Allemagne même si son application est différente : ce qui a toujours marché (exporter de la qualité pour les Allemands, se tourner vers le « Grand Large » pour les Britanniques) doit continuer à marcher. Il n’y a pas de raison, dans la mondialisation, que cette façon de faire ne fonctionne plus. Persévérer, oui ; se remettre en question, peut-être ; se réinventer, pourquoi ?

« The UK still retains a global brand, and provided firms open their eyes further than Europe and the US, they will find a growing middle class that is hungry for the things we find at home » - UK

En Europe du Sud et en France, la solution la plus citée est foncièrement différente, même si la nécessité de conquérir des marchés ou de promouvoir la qualité est aussi évoquée : c’est la dimension de repli pour mieux se développer qui prédomine. Protéger le made in France / Spain / Italy, cela signifie d’abord protéger l’économie nationale, l’emploi local, la demande locale, le tissu économique local. Proposer un nouveau futur commun aux entreprises en favorisant les liens entre grandes entreprises et PME locales. Avec un enjeu totalement absent en Allemagne et en Grande-Bretagne : reconstruire aux jeunes un avenir ici.  Et un stress beaucoup plus important qu’au Nord, puisque ce dont il s’agit ici c’est bien de réinventer de fond en comble un modèle économique et social qui ne marche plus. Avec une question très lourde, perceptible dans le ton et le vocabulaire employés en France, en Italie, en Espagne : sortir de la crise, alors que la tâche à accomplir est gigantesque, et sans « mode d’emploi », est-ce possible à horizon d’une génération ? Puisqu’il ne s’agit pas, comme en Allemagne, de creuser son sillon en procédant à des ajustements et en anticipant les risques identifiés (demande européenne, creusement des inégalités, immigration incontrôlée), ou comme en Grande-Bretagne de se tourner à nouveau vers son destin « naturel », mais bien de réinitialiser entièrement un pays en commençant par ses élites dirigeantes.

« Ce que j’attends des grandes entreprises en temps de crise c’est une attitude plus responsable. Elles ont les reins solides pour assurer le maintien des emplois, elle peuvent agir pour le développement durable : privilégier les filières courtes avec un approvisionnement local auprès les PME françaises pour les soutenir, promouvoir le savoir-faire français plutôt que de délocaliser » - France

« J’attends qu’elles sachent s’impliquer au maximum pour lutter contre la crise, en essayant de créer de l’emploi dans la mesure de leurs possibilités et qu’elles investissent sur le territoire national, en reléguant les investissements hors de l’Espagne à un second plan » - Espagne

« Les PME doivent se mettre en réseau, avoir des stratégies communes, (je reprends l'exemple des 12 entreprises de Modène que j'ai citées dans mon post précédent) chercher de nouveaux marchés, soutenues par des organismes gouvernementaux efficaces » - Italie

Des convergences réelles mais fragiles au niveau des individus

Dernier enseignement de cette recherche collaborative : en réponse à la question « que seriez-vous prêt à faire personnellement »,  trois constats apparaissent avec force, qui disent à quel point, même quand des convergences semblent se dessiner entre Européens, elles sont parfois fragiles.   

D’abord, sur le degré d’ouverture à la notion d’effort individuel pour sortir de crise.

Une 1ère lecture donne à voir de façon très claire que tous les participants, quel que soit leur pays d’origine, sont prêts à fournir des efforts pour sortir de la crise, c’est une vraie convergence. Mais le « degré d’ouverture » peut être fort différent :

Relativement faible en Espagne, de loin la communauté la moins disposée à consentir des efforts, à la fois parce que les efforts déjà consentis sont décrits comme énormes, et parce que la question de la juste répartition de ceux qu’il resterait à fournir est brûlante et en un sens bloquante (« aux autres de faire l’effort maintenant ! ») ; sur cette échelle du « degré d’ouverture » aux efforts, l’Allemagne est au contraire de loin le pays le plus haut, parce que pour l’instant il est relativement épargné par la crise mais surtout parce que les efforts déjà consentis il y a dix ans (avec l’évocation fréquente des lois Hartz) sont encore en mémoire… Et qu’ils avaient été couronnés de succès. Comme pour les solutions collectives, la Grande-Bretagne se situe plutôt du côté de l’Allemagne sur cette question de l’effort individuel, la France et l’Italie, bien que plus ouvertes, plutôt du côté de l’Espagne.

« Le désenchantement est généralisé et si nous attendons que ceux qui sont corrompus trouvent une solution à nos problèmes, on n’a pas fini d’attendre. Nous devons, nous citoyens, prendre le problème à la racine et nous débarrasser des hommes politiques qui sont à l’origine de cette situation. Il faut faire entrer un vent de nouveauté et de propreté pour retrouver nos illusions » - Espagne

« Les gens seraient prêts à faire des sacrifices s’il y avait un résultat au bout : mais on nous impose de plus en plus d’efforts et la situation empire chaque année… Enfin pour certains car la situation des décideurs ne fait que s’améliorer : politiques, grands patrons… Efforts d’accord mais pour tout le monde et surtout pour ceux qui veulent les appliquer aux autres » - France

« Pour moi, en principe, tous les points sont acceptables mais pas tout en même temps  » - Allemagne


Ensuite, sur la question  du nécessaire ROI.

Si les Allemands qui s’expriment sur ce blog se déclarent plus volontiers prêts à un certain nombre d’efforts, c’est en effet que pour eux, la question du ROI de ces efforts se pose comme pour tous les Européens interrogés,  mais là aussi sous une forme différente. Car, si l’idée que l’effort est possible, souhaitable, voire inévitable, rassemble les communautés quelle que soit leur vision de la crise et de la sortie de crise, l’acceptation d’en fournir est de façon évidente liée à la vision de l’avenir du pays, de sa capacité de réaction. On pourrait parler d’élasticité positive ou négative à l’effort : la vision d’un avenir bouché et d’un pays fracturé, aux élites corrompues et/ou incompétentes, dans les trois pays d’Europe du Sud, renforce l’idée d’une élasticité négative à l’effort (« mes efforts n’ont ou n’auront aucun effet, si ce n’est négatif »). Et rend plus difficile (en France, en Italie) voire insupportable (en Espagne) l’idée d’en produire davantage. A l’inverse, en Allemagne, la vision d’un passé rassurant donne à penser qu’il y aurait demain une élasticité positive à l’effort s’il fallait en faire d’autres (« mes efforts ont déjà eu un ROI supérieur au sacrifice consenti une fois, cela se reproduirait sans doute »). Et incite donc à répondre plus positivement.

« Il faudra d’abord savoir si ces mesures vont vraiment nous faire sortir de la crise, parce que dans leur grande majorité elles ont déjà été prises et leur efficacité reste encore à voir. En revanche nous en avons rapidement ressenti les effets négatifs » - Espagne

« Depuis que nous subissons la crise, j’ai répondu présent à tout ce qu’a demandé le gouvernement et j’ai changé de rythme de vie sans rien recevoir des instances gouvernantes. (…) C’est insupportable de penser à tout l’argent qui a été détourné des caisses de l’État et qui a été dépensé en choses inutiles et luxueuses destinées à leurs amis et à eux-mêmes. Ils doivent rendre tout cet argent et être sanctionnés pour abus de pouvoir (…). Et ce qui nous fait le plus mal à nous, les citoyens, c’est qu’ils se sont mis ensemble pour nous voler et que c’est à nous à présent de payer et eux ne sont coupables de rien parce qu’ils sont protégés par des lois faites par et pour eux. ÇA SUFFIT » - Espagne

« Pour nous, en Allemagne, la crise n'a pas eu de conséquences car nous allons plutôt mieux. Tout le monde y a contribué (employés, employeurs, syndicats, etc.). On reconnaît ici aussi les différentes mentalités, celles entre les pays du nord et du sud. Nos gouvernements (à commencer par Schröder) ont bien manœuvré » - Allemagne

« Je trouve qu'en Allemagne, on s'en sort bien. Même le chômage des jeunes est relativement faible chez nous. C'est sûr qu'on a besoin d'autres réformes pour rester compétitifs et assurer nos emplois » - Allemagne


Enfin, sur la question centrale pour tous : être acteur vs subir.

C’est le 3ère constat majeur : être, demeurer ou redevenir acteur de son destin est en définitive pour les participants la question centrale des années à venir ; mais les voies pour y parvenir ne convergent pas toujours, là non plus.

Dans la totalité des pays étudiés, (y compris l’Allemagne), être acteur de son destin c’est rester sujet de l’action, être associé aux décisions que les élites politiques prennent plutôt que de se les voir imposer. Deux mesures, parmi le « panier » de mesures possibles qui leur étaient partout proposées, sont à ce titre massivement rejetées partout – emblématiques de ce refus de se soumettre à des politiques controversées (France), dénoncées (Espagne, Italie), ou de subir une perte directe et injustifiée, automatique, sans discussion, de pouvoir d’achat (Allemagne, Grande-Bretagne) :

  • accepter une augmentation de 10% de vos impôts : c’est à une « overdose fiscale » que l’on a le sentiment d’être confronté, partout mais particulièrement en France et en Italie ;
  • accepter une baisse de 10% de vos revenus : non seulement là où ils sont déjà objectivement baissé (en Espagne notamment) mais aussi en France.

« Je refuse une augmentation des impôts, nous sommes déjà taxés sur tout. Je n’admettrai pas non plus une baisse de salaires, nos salaires n’augmentant pas autant que l’inflation, je subis déjà une baisse de salaire » - France

A contrario, les mesures évoquant une plus grande capacité d’anticipation et de maîtrise du parcours de vie sont jugées plus acceptables.

  • La formation pour améliorer sa mobilité professionnelle est largement plébiscitée, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne où elle apparaît comme une condition de professionnalisme ou une nécessité business » ; mais en France, Italie, Espagne aussi ;

« Ceux qui veulent faire correctement leur travail, doivent toujours apprendre et participer à des formations en permanence. Vivre, c'est apprendre » - Allemagne

« I have also retrained twice in my working life and have never claimed unemployment » - UK

« Enfin, la flexibilité et la formation du travailleur sont pour moi la clé. Un travailleur doit être capable aujourd’hui de se remettre en question, de changer de métier au cours de sa carrière, éventuellement de bouger sur le plan géographique, bref d’accompagner les changements de notre économie et de notre société » - France

« Suivre une formation pour changer de travail, s’il s’agit d’un travail intéressant financièrement parlant pourquoi pas… » - Italie

« Me former pour changer de métier. C’est fondamental. Se renouveler ou mourir. » - Espagne

  • dans les trois pays d’Europe du Sud, le recul de l’âge de la retraite est vécu comme déjà acté. « Partir un ou deux ans plus tard à la retraite » ne correspond donc pas / plus à un effort à consentir mais bel et bien à une réalité avec laquelle il faut maintenant vivre en Espagne et en Italie, à une perspective peu réjouissante mais claire en France. A la différence de l’Allemagne et de l’Angleterre où les gens ne sont pas prêts à consentir à nouveau des efforts déjà fournis ;

« Why would I retire later? I save money, I live within my means. Why penalise me for the incompetence of others? » - UK

« Prendre sa retraite deux ou trois ans plus tard ?
Le marché du travail pour les débutants serait encore plus bouché ! » - Allemagne

« Partir 1 ou 2 ans plus tard à la retraite: il ne faut pas se leurrer, on ne va pas y couper, je m’y prépare, et franchement si ce n’est que 1 ou 2 ans de plus, ce sera un moindre mal… si la retraite existe encore… » - France

« Malheureusement et parce que je n’ai pas le choix, je vais devoir partir à la retraite un ou deux ans plus tard » - Espagne

-

« Partir à la retraite un ou deux ans plus tard ?
Si on a encore droit à une retraite, par les temps qui courent il sera presque impossible pour nous de partir à la retraite (le montant de la retraite continue de baisser, le nombre d’années requis pour y avoir droit augmente, les impôts continuent d’augmenter) » - Italie

  • Enfin, l’idée de se constituer une retraite complémentaire pour se construire une vieillesse « digne » (la peur de ne pas vieillir dignement étant forte et partagée) est elle aussi plébiscitée : il s’agit là aussi d’être « entrepreneur de sa vie» de « prendre en main » son avenir.

« En tant qu'indépendant, c'est à moi d'organiser ma retraite. Notre père l'Etat ne m'aide pas » - Allemagne

« Pour vivre un peu mieux à la retraite, j'ai fait plusieurs placements et j'ai acheté une propriété pour ne pas trop tomber dans la pauvreté (j'espère !) » - Allemagne

« I expect to have to save for my retirement, I would hate to be financially dependent on anyone at any time in the future » - UK

« L’épargne individuelle est une nécessité pour prévoir sa retraite mais aussi tous les aléas de la vie (baisse de revenus à la retraite ou en période de chômage, dépendance, maladie, de moins en moins de remboursement de santé, durée des études des enfants…) » - France

« Je pense que, quand ce sera à nous de partir à la retraite (moi, j’ai 35 ans), les caisses seront vides et il n’y aura plus d’argent pour personne, c’est pour cela que j’investis un peu dans un fonds de pension, pour pouvoir m’assurer une vieillesse convenable » - Italie

« En 32 ans de carrière, j'ai toujours fait des économies pendant les périodes de crise, mais si on n’a plus de travail comment est-ce qu’on peut économiser (ou dépenser) ? » - Espagne



Être acteur, c’est donc pour tous être peu ou prou associés aux décisions, même quand elles sont difficiles à prendre. C’est aussi jouer collectif. Mais là encore pas du tout de la même façon suivant que l’on est en Europe du Sud, ou du Nord. Car, là où la solution va mélanger plus ou moins harmonieusement (en Allemagne) ou rationnellement (en Grande-Bretagne) la responsabilité individuelle et la volonté de construire ensemble un avenir commun, elle va être essentiellement individualiste en Italie, en Espagne, et en France. Dans le premier cas, l’efficacité est la condition de l’équité ; dans l’autre, le désir proclamé de justice (voire de sanctions à l’encontre des élites, de « nettoyage », en Italie et en Espagne) est la condition de l’action.

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