Réformes à l’érable : les bonnes recettes que François Hollande peut rapporter du Canada<!-- --> | Atlantico.fr
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Les bonnes recettes que François Hollande peut rapporter du Canada.
Les bonnes recettes que François Hollande peut rapporter du Canada.
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Souvenirs de vacances

François Hollande aborde ce mardi 4 octobre son dernier jour de déplacement officiel au Canada. Un pays qui s'est relevé depuis 1995 d'une crise sans précédent. La révolution "Klein" est aujourd'hui unanimement reconnue pour son efficacité en termes d'équilibre budgétaire. Et si dans le privé la concurrence force au changement, dans le public, il s'agit surtout de volonté politique.

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : Cela faisait 27 ans qu'un président français n'avait pas foulé le sol canadien, le dernier en date étant François Mitterrand. Dans quelle mesure pourrait-on s'inspirer de la dynamique réformiste canadienne pour se donner les moyens d'atteindre une baisse significative des dépenses publiques ? Plutôt que de réformes et mesures qui touchent successivement des cibles données (et dont les plus défavorisées finissent souvent par payer le lourd tribut), faut-il comme au Canada toucher tout le monde en même temps, (classes moyennes, aisées, entreprises etc.) ?

Gérard Thoris : Plutôt que de voyager dans l’espace, on peut aussi rester en France et voyager dans le temps. C’est ainsi que, de 1938 à 1940, nous avons eu un Comité de réorganisation administrative dit "Comité de la Hache". Que peut-on y lire ? "Notre organisation administrative française remonte dans ses principes au début du dix-neuvième siècle. Depuis lors, des services se sont ajoutés, d’autres ont été supprimés […]. Mais il faut remarquer qu’à aucun moment le cadre administratif de la nation n’a été reconstruit d’une façon logique. Des réformes ont été entreprises, mais, sans exception, elles ont toujours été partielles et, par là, insuffisantes. La valeur des fonctionnaires n’est pas en cause. La compétence, le dévouement des agents de la République sont hors de pair. Mais leurs efforts se heurtent à une organisation vieillie" (1). Un bilan aussi pragmatique ne devrait trouver devant lui aucun barrage idéologique. Une mise en cale sèche de l’organisation des services de l’Etat est d’autant plus justifiée aujourd’hui que la révolution Internet a bouleversé l’économie des services, privés ou publics, que la décentralisation a été à l’origine de changements profonds dans l’organigramme des services publics et sociaux, etc.

Ce qui est certain, c’est qu’on ne se met pas à changer un modèle qui marche pour le plaisir. Il y faut une forme ou l’autre de contrainte. Dans le secteur privé, c’est la concurrence ; dans le secteur public, ce ne peut être qu’une volonté politique. La question devient : comment mettre sous pression l’ensemble des services publics et sociaux pour que le ratio qualité du service-prix s’améliore. Comme l’information nécessaire sur l’action à mener dans tel ou tel service n’est pas disponible, une solution consiste à mettre l’ensemble du système sous la pression d’une coupe aveugle et brutale exprimée en pourcentage des dépenses. Après, il y a ce que l’on dit et ce que l’on fait. Des arbitrages ultimes peuvent avoir lieu qui épargnent tel service au détriment de tel autre.

Nicolas Sarkozy s’y était essayé avec la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP). Il y avait une forte dose de volontarisme et une réelle volonté de partager les bénéfices attendus de l’opération avec les agents. Bref un système de carotte et de bâton qui n’est pas ce qu’on a fait de moins bien dans la gestion des hommes ! François Hollande s’est appuyé sur un rapport de l’Inspection générale des finances pour la transformer en "Modernisation de l’action publique" (MAP). Certainement, le reproche principal était que « la RGPP a été mal vécue par de nombreux agents de l’État » (2). Mais comment pourrait-il en être autrement ?

Prenons un exemple simple. Si les compétences des collectivités territoriales sont désormais bien spécifiées, il est évident qu’un agent qui dépendait d’une commune devra dépendre, par exemple, du Conseil général. Il n’est pas impossible que son bureau soit déplacé et que ses charges de transport augmentent. Mais est-ce une raison pour renoncer à sortir de la compétence générale des collectivités territoriales ?

Jean Chrétien, Premier ministre symbolique de cette série de réformes utilisa moins l'impôt pour combler les déficits que les coupes budgétaires. En quelques mois, le nombre de ministères était alors passé de 32 à 22, et le nombre de fonctionnaire diminuait de 20%. Deux années plus tard, ce sont près de 20 à 25% de réduction des dépenses que chaque ministère dû supporter, concrétisées par de forts départs à la retraite. Ainsi et jusqu'en 2008, le budget fédéral canadien connut des excédants budgétaires qui permirent de ramener la dette à 29% du PIB (contre 68% en 1994). Ces coupes budgétaires ne sont-elles pas l'alternative la moins explosive pour la France, dans un contexte de rejet de l'augmentation des impôts ?

Un ministre, cela sert à administrer. Or, le nombre de ministres dépend moins des besoins en services publics et sociaux que du besoin d’équilibrer la composition politique d’un Gouvernement. Ne voit-on pas régulièrement d’éminentes personnalités politiques renoncer à figurer au Gouvernement en simple Secrétaire d’État. On ne voit aucun Conseil d’administration de 30, voire 40 personnes mais on entend régulièrement les Présidents et autres Premiers Ministres envisager un cabinet restreint. Il est alors plus facile d’obtenir un consensus effectif lors des Conseils des ministres et on évite la cacophonie dans la communication ordinaire avec les médias. Or, un cabinet restreint, c’est un nombre de mesures restreint. Cela n’entraîne pas nécessairement une diminution des dépenses ; cela conduit à coup sûr à un arrêt de l’empilement réglementaire. Mais si les hauts fonctionnaires restent en place d’un cabinet à l’autre, leurs propositions de lois sont fin prêtes et ils peuvent être patients jusqu’à la signature de leur ministre de tutelle. Le changement de personnel administratif lors de changements de majorité politique permettrait peut-être aux ministres de travailler avec des compétences choisies et assurerait l’homogénéité du gouvernement et de la haute administration.

Pour revenir à l’alternative entre la hausse des impôts et la baisse des dépenses, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a essayé un compromis subtil entre les deux. S’il a échoué, c’est d’abord parce que les hausses d’impôts ont été ciblées. Il s’agissait d’une sorte de bombe à fragmentation dont les éclats étaient soigneusement dirigés vers les cibles nommément désignées par le pouvoir politique. Personne n’aurait dû être surpris puisque tout était noté d’avance dans le programme du PS. Le dernier éclat bien prévisible vient de tomber sur les dividendes de SAS. Le coup était dans la lignée de l’imposition au régime social des indépendants (RSI) des dividendes versés aux gérants majoritaires de SARL, effectif depuis le 1er janvier 2013.

Mais, pour mémoire, le mouvement était lancé depuis le moment où les cotisations sociales ont commencé à porter sur les revenus du capital. Quoiqu’il en soit, l’actualité montre que le Gouvernement n’est plus en mesure d’accroître les impôts. Comme il s’est volontairement privé d’un instrument perfectible de réduction des dépenses, on ne voit pas bien quelles sont ses marges de manœuvre.

Le premier poste de dépense du budget de l'Etat est dominé par les fonctionnaires, dont les effectifs dans les collectivités territoriales continuent d'augmenter sensiblement. Selon un sondage réalisé en avril, 71% des Français sont favorables à une diminution de leur nombre pour réduire les déficits. Rationnelles, politiques ou idéologiques, quelles sont les raisons de la retenue de l'éxécutif ?

Les Français sont d’accord avec tout ce qui ne les concerne pas. L’idée qu’il existe aujourd’hui un consensus sur un programme global cohérent, qui comporte nécessairement des compromis, est une idée fausse. Ici, ils sont d’accord avec une diminution du nombre des fonctionnaires, là ils souhaitent que leurs enfants le deviennent. La question, on l’a déjà vu, est celle de l’optimisation des services publics et sociaux car ce sont d’abord des prestations humaines et relationnelles.

Par contre, le périmètre des missions réservées à la fonction publique peut être modifié. C’est ainsi que, par exemple, Pôle emploi a été autorisé à faire appel à des opérateurs privés pour remplir certaines de ses missions. La Cour des comptes estime que "les évaluations font apparaître des résultats inférieurs à ceux obtenus par l’opérateur public". Mais les attendus de ce jugement méritent d’être lus dans leur entièreté. Tentons un exemple : "la sélection des attributaires des marchés s’est faite en grande partie sur des prix fortement orientés à la baisse, dans des conditions qui n’ont pas permis de s’assurer de garanties suffisantes quant à la capacité opérationnelle et technique des opérateurs à délivrer des prestations de qualité" (3).

En tout cas, certains pays dont la Suède ont réduit le statut des fonctionnaires aux seules fonctions régaliennes. En même temps, les services publics ont été confiés à des Agences qui ont fonctionné, osons le terme, comme des unités opérationnelles. Leur dirigeant avait la liberté de gestion, et du travail et du capital, mais il était lui-même révocable ad nutum. En France, nous avons entamé le travail avec la LOLF. Qui en parle encore ?

Augmentation de la TVA, déremboursement de plusieurs prestations de santé... de nombreuses mesures contre les déficits touchent in fine les plus démunis. En quoi une réforme de l'administration publique et une baisse du nombre de fonctionnaires pourrait-il être compatible avec notre "contrat social" ?

Notre Contrat social n’est plus respecté. Ainsi, le système de retraite repose sur le fait que les générations montantes prennent en charge la retraite de leurs aînés. Mais lorsque ceux qui sont aujourd’hui les aînés n’ont pas voulu faire d’enfants, le système par répartition ne fonctionne plus. Pour essayer de le faire vivre, la génération des aînés repousse l’âge de la retraite des puînés.

En attendant que cette politique donne ses fruits, elle fait appel à l’endettement. Il est donc largement temps de refondre notre système de retraite pour le rendre cohérent avec les faits de la dénatalité et du chômage des jeunes. Or, François Hollande et ses Premiers ministres ont clairement décidé de ne pas y toucher. Mieux, pour le passé, ils ont organisé le retour de la retraite à 60 ans pour un nombre significatif de salariés qui avaient connu des travaux pénibles. Pour le futur, ils ont inventé un "compte pénibilité" que personne ne sait gérer et dont personne ne connaît les conséquences en termes de coût dans un avenir prévisible.

Notre Contrat social n’est plus financé. Le régime de l’assurance maladie est déficitaire et aucune réforme de structure d’envergure n’a été entreprise depuis… qu’il aurait fallu le faire. Les projets ne manquent pas, mais ils sont rarement mis sur la table de manière convaincante. De toutes façons, ils auraient nécessairement un coût que, logiquement, toute la population devrait porter.

Ce qui touche le plus les démunis qui ont un travail, c’est l’absence d’augmentation de salaire, liée à une conjoncture très mal gérée au niveau de l’Union européenne comme au niveau de la France. Ce qui touche les plus démunis, ce sont les difficultés de trouver un travail, même aidé, puisque cela fait d’eux des ‘exclus’ de notre société d’abondance. Il faut reconnaître que les pouvoirs publics tentent de protéger ces populations en inventant, après la prime à la cuve, le chèque énergie… Cela ne relève pas de notre Contrat social puisque nous repassons ainsi de l’assurance à l’assistance. Souvenons-nous de ce mot de C. Chauveau : "l’assistance ne peut apporter souvent que des secours insuffisants et parfois lourds à la dignité humaine" (4). Reste que quand la situation des gens devient dramatique, on n’a plus le temps de philosopher avant de leur venir en aide.

(1) "Rapport relatif à la réorganisation générale, la délimitation et le regroupement des principaux services de l’État", AN F60 968, p. 9, cité par Marc Olivier Baruch, Servir l’État français : L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, 1997.

(4) "Loi sur les assurances sociales", Commentaire juridique, financier et administratif, Pars LGDG, 1928, p. 10-11

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