Réforme de la carte scolaire : un outil malheureusement inefficace contre les inégalités sociales<!-- --> | Atlantico.fr
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La réforme de la carte scolaire est inefficace.
La réforme de la carte scolaire est inefficace.
©Reuters

Obstination dans l'erreur

Une dizaine de départements vont expérimenter une modification de la carte scolaire dans l'objectif de réintroduire de la mixité sociale dans les collèges. Une intention louable mais, hélas, qui ne risque pas d'être couronnée d'un franc succès.

Lionel Devic

Lionel Devic

Lionel Devic est avocat fiscaliste, spécialiste des organisations non lucratives, à Paris. Il a participé à la création d'une école indépendante dans la banlieue de Lyon. Pour insuffler un renouveau éducatif en France, il co-fonde la Fondation pour l'école en 2007 et en devient le Président en 2010. 

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Camille Bedin

Camille Bedin est conseillère départementale des Hauts-de-Seine, canton Nanterre-Suresnes, et secrétaire nationale, membre du bureau exécutif des Républicains.

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Atlantico : La méthode utilisée par cette réforme consiste à inciter les départements à changer leur façon de découper la carte : un secteur élargi qui comprendrait plusieurs collèges et qui permettrait à l'Etat d'affecter les élèves dans tel ou tel établissement en fonction de leur origine sociale. Quels sont les points forts et les points faibles de cette méthode selon vous ?

Camille Bedin : D’abord, il ne s’agit malheureusement pas d’une réforme, simplement d’une expérimentation (une de plus) dans moins de 10 départements, qui va donc concerner un pourcentage très faible (et à ce stade inconnu) de familles.

En outre, elle serait a priori réalisée l’an prochain : autant dire que, le temps d’évaluer et d’engager la généralisation de cette expérimentation, au sein d’une administration qui a des difficultés à généraliser un dispositif expérimental, cela repousse à très loin une véritable réforme de la carte scolaire. Les élèves et leurs familles n’ont pas le temps d’attendre !

Ensuite, il s’agit de concentrer, encore et toujours, le pouvoir de choisir l’établissement dans les mains de l’Etat, au lieu de le déléguer légitimement aux familles : c’est l’Etat qui continuera sa répartition arbitraire des destinées des élèves en les répartissant dans tel ou tel collège d’un même secteur.

Enfin, il s’agit d’une expérimentation très limitée dans ses possibilités : faire entrer plusieurs collèges dans un secteur pourrait être une bonne idée, sauf que cela suppose d’avoir plusieurs collèges à la fois proches en terme de distance et variés en terme de catégories socio-professionnelles. Comme le dit déjà le président du département de Seine-Saint-Denis, comment faire lorsque des territoires entiers sont totalement dépourvus de mixité sociale ? Répartir les mêmes populations dans un collège ou un autre ne changera rien !

Pourtant, tout le monde sait que notre carte scolaire est obsolète. Elle irrite les familles. Elle est une des plus grandes hypocrisies de notre système républicain. Les seuls défenseurs de la carte scolaire sont les mêmes qui, dans les milieux intellectuels ou politiques, la contournent eux-mêmes à la moindre difficulté en choisissant une langue rare, en optant pour l’adresse d’un ami ou en faisant marcher leurs relations.

C’est dommage : la gauche aurait pu se permettre d’aller loin sur ce sujet. Mais elle manque de courage politique, elle est perdue dans son idéologie et elle est bien trop éloignée des réalités quotidiennes.

Lionel Devic : Cette méthode montre un important point faible selon moi car elle relève d'une décision arbitraire de l'Etat : c'est l'Etat qui va décider si l'on affecte tel ou tel quota de personnes dans un établissement. Je trouve que cette manière d’appréhender la question est trop centralisée.

Je crois beaucoup plus à une liberté laissée aux parents – qui sont les mieux placés pour faire ce choix - de décider dans quel établissement ils vont inscrire leurs enfants, quitte à aider certaines familles à faire ce choix. C’est ce qu’il se passe dans d’autres pays d’ailleurs, avec des systèmes d’aide à l’inscription d’un enfant dans un établissement - même éloigné.

L’assouplissement de la carte scolaire devrait se faire surtout pour faciliter le choix de la part des parents. Dans ce cas, il faudrait aussi nécessairement mettre en place un système d’évaluation - tant par les familles que par une agence indépendante de l’Etat - de la qualité de l’enseignement dans les établissements.

Est-ce que des mesures similaires existent à l'étranger ? Quels résultats observe-t-on ?

Camille Bedin : A l’étranger, il existe peu de « cartes scolaires ». Ces modèles sont progressivement abandonnés. La Suède, par exemple, l’a abandonnée il y a longtemps, au profit d’un chèque éducation qui accorde à toutes les familles la liberté de choix. Les modèles anglo-saxons font co-exister des écoles très indépendantes avec le système public mais aussi avec des écoles publiques à charte (charter schools), qui sont gérées librement tant qu’elles atteignent des objectifs fixés avec l’Etat. Les modèles nordiques sont administrés de façon beaucoup moins centralisés.

Tous ont en tout cas un point commun : ni la liberté de choix des familles, ni la concurrence entre établissements n’est tabou dans le débat public. D’ailleurs, il n’y a qu’en France où on trouve cette peur de parler de ces sujets parmi les élites, alors que les familles plébisciteraient de telles évolutions. Il suffit de regarder le développement majeur des écoles hors contrat sur notre territoire pour constater que les parents recherchent d’autres modèles éducatifs que celui qui leur est imposé par l’Etat, depuis la Rue de Grenelle.

Lionel Devic : Outre Atlantique, des systèmes qui fonctionnent ont été mis en place : pour des élèves qui sont situés dans des zones difficiles, l’Etat permet qu’un financement puisse être apporté pour que ces élèves puissent être inscrits dans un établissement réputé, choisi par les parents. Cette aide financière qui permet aux familles de faire ce choix constitue une réelle solution pour davantage de mixité sociale puisqu’elle leur donne la capacité d’aller choisir un établissement en qui ils ont réellement confiance plutôt que tel établissement qui se trouve sur telle commune. Ces élèves peuvent alors être accueillis dans des Ecoles à Chartes, des Free Schools. 

De nombreux établissements de ce type se créent aujourd’hui en Grande-Bretagne. Il s’agit de structures totalement privées, construites autour d’un projet – contrairement aux établissements publics qui sont défaillants sur ce point et ne remplissent donc plus leurs missions. L’Etat préfère aider des projets qui ont du sens à démarrer - et fermer un établissement qui ne marche pas – plutôt que de perfuser des établissements qui n’ont pas la liberté de se réformer.

Quand on évoque ce sujet en France en particulier, on s’aperçoit que la grande majorité des français considère que la question éducative appartient par principe à l’Etat. Mais lorsque l’on compare le droit des différents pays, il apparaît que la France fait exception sur ce sujet : il y a un très fort paradigme sur la légitimité de l’Etat à gérer des établissements scolaires. Partout ailleurs, c’est un sujet décomplexé avec un Etat qui arrive à fermer des établissements défaillants. En France, on ne ferme jamais ce type d’établissements, on les garde sous perfusion. C’est un des rares domaines de la vie économique où la création et la fermeture de structures soient aussi rares.

Quelles autres solutions préconiseriez-vous pour réintroduire de la mixité sociale dans les collèges ? 

Camille Bedin : Ce sujet est majeur. Il est important de redonner aux familles la possibilité de choisir leur établissement, par exemple en mettant en place le chèque éducation (on donnerait aux familles un montant par élève qui correspond à son cout dans le système public, afin qu’elles puissent l’utiliser pour payer l’établissement de son choix).

Cette liberté doit être organisée : les établissements publics en difficulté doivent être dotés de davantage de moyens encore ; les projets d’établissement différents et innovants doivent être encouragés ; mais surtout, la transparence doit être faite grâce à des examens nationaux réguliers, par la publication des résultats et par l’indépendance de l’instance de contrôle qui ne relèverait plus de l’administration de l’Education Nationale (actuels Inspecteurs de l’Education nationale).

Cette liberté aurait l’avantage de réimpliquer les parents dans les écoles, de développer des projets d’établissement différents et attractifs (traditionnels, modernes, Montessori, Freinet, laïcs,…), de recruter des enseignants en fonction du type de pédagogie proposée,…

Mais la mixité sociale implique bien d’autres éléments que la seule réforme de l’Education nationale : en tant qu’élue départementale, je constate tous les jours que même si cette réforme était faite, elle ne suffirait pas à dé-ghettoïser certains quartiers où l’enjeu est de déconcentrer des populations défavorisées installées plus ou moins volontairement dans des quartiers entiers, voire dans des territoires entiers. Il y a un plancher par la loi SRU, il faudrait donc aussi proposer un plafond de logements sociaux à 35% d’une ville, par exemple.

Lionel Devic : Je pense que le système éducatif français est celui qui produit le plus d’inégalités dans la formation des élèves.

Il faudrait produire davantage de liberté et d’autonomie dans les établissements - publics comme privés - sur le choix de leurs équipes. Un directeur pourrait ainsi constituer une équipe autour d’un projet et cette équipe ne subirait pas sa situation dans l’établissement. Les professeurs doivent être unis sur l’essentiel et avoir une vision commune.

Il faudrait aussi donner de la liberté aux familles de choisir et tenter dans les banlieues de soutenir des projets nés de la société civile. A titre d’exemple, la Fondation « Espérance banlieue » - l’une des fondations abritées par la Fondation pour l’Ecole - accompagne la création d’établissements dans les banlieues difficiles sur un modèle très particulier qui parvient à réinsérer, à apprendre à lire, à écrire, à compter, à des populations de banlieue qui étaient très éloignées du parcours scolaire. On trouve ces établissements à Montfermeil, à Asnières, à Roubaix et un certain nombre de maires sollicitent cette fondation pour créer le même type d’école. Ces initiatives sont observées avec intérêt par le Ministère de l’Education nationale et par de nombreux politiques. Elles sont aujourd’hui financées sur fonds privés, mais elles pourraient aussi être soutenues par l’Etat. Il s’agit de petites unités avec un nombre d’élèves modestes, mais avec une réelle unité pédagogique et un vrai projet qui s’adresse à des élèves de primaire et de collège.

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