« Rééducation nationale » de Patrice Jean : une exploration brillante des thèmes de la bêtise, de la bien-pensance et des idéologies dominantes au sein de l’Education nationale<!-- --> | Atlantico.fr
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Patrice Jean publie « Rééducation nationale » aux éditions Rue Fromentin.
Patrice Jean publie « Rééducation nationale » aux éditions Rue Fromentin.
©JEFF PACHOUD / AFP

Culture

Avec « Rééducation nationale » publié aux éditions Rue Fromentin, Patrice Jean livre une satire mordante et fine des idéologies et des théories pédagogiques ayant cours au sein de l'Education Nationale.

Lisa Kamen

Lisa Kamen

Lisa Kamen est professeur des écoles et chroniqueuse radio.

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« On ne se rend pas compte du mal causé par un simple nom… Ce serait tellement plus beau d’être prof au lycée Nelson Mandela ou au lycée Stéphane Hessel ! Comment peut-on prétendre parler de littérature ou de justice sociale quand on se place sous l’autorité d’un pilleur de tombeaux et d’un ministre de droite ! » Voilà ce que l’on peut entendre autour de la machine à café du lycée André Malraux de Nantes qui sert de décor au savoureux dernier roman de Patrice Jean, Rééducation Nationale.

C’est là que se trouve affecté le jeune Bruno Giboire lorsqu’il décide de quitter son poste d’employé de mairie pour « rallier la légion » des professeurs. Partisan de la pédagogie en séquences et du travail en groupes, tout à fait instruit – grâce à un stage estival - sur « l’herméneutique de la didactique", scandalisé par la survivance de pratiques telles que le cours magistral, il s’exalte à la lecture des instructions officielles qui prônent la poésie engagée et le roman coup de poing. « Il espérait, sans oser le dire, qu’un président, de nouveau, cracherait sur un roman ou un poète, n’importe lequel pourvu qu’il y eût crachat. Lui aussi avait droit à son combat : l’héroïsme ne devrait pas être réservé à quelques-uns mais à tous les hommes bons et généreux ». Bruno se voudrait idéaliste, il est candide ; son engagement est d’un conformisme absolu. « Il aimait le travail en équipe, comme si, dans une vie antérieure, il avait grandi dans un kolkhose. Penser seul, l’attristait ; et d’ailleurs, dans la solitude, il ne pensait pas, ou peu. » 

A peine débarqué, notre señorito satifecho se trouve pris dans les tirs croisés des pédagogistes sauce Meirieu et des professeurs à l’ancienne, ironiquement qualifiés de cryptofascistes, tous galvanisés par le projet de vente d’une statuette khmère, volée par Malraux lui-même, vente destinée à financer un « atelier-citoyen », évidemment...N’écoutant que son courage (et son souci de plaire à la belle Nadège), il n’hésite pas une seconde et rejoint le parti des vrais progressistes, dévoués à l’enrichissement culturel de leurs élèves et convaincus que « conserver cette statuette, c’est faire le jeu de la droite et de l’extrême droite » et des « esthètes décadents ».

Grand lecteur de Flaubert, de Philip Roth et de Philippe Muray, Patrice Jean explore brillamment dans leurs lignées les thèmes de la bêtise, de la bien-pensance et des idéologies dominantes. Professeur de lettres lui-même, il dresse une galerie de portraits plus vrais que nature et entraîne ses personnages dans une aventure burlesque et farfelue qui lui permet de dévoiler les dérives du gauchisme envahissant le milieu scolaire français. Provocateur – pour notre plus grand bonheur ! – il émaille un texte de haut vol rédigé dans une langue irréprochable de termes subtilement empruntés au jargon jargonneux de l’Education nationale : l’effet comique est irrésistible et, en fait de rééducation, c’est bien lui qui inflige une correction méritée aux pédagogistes de tout poil. 

Il en profite aussi pour rappeler l’importance de la littérature par la voix de Monsieur Renoir, professeur de français narquois et coupable d’élitisme aux yeux de ses jeunes collègues car il se montre exigeant en plus de défendre des auteurs morts: « elle nous soustrait à la mélasse du jour, elle nous oblige à voir les choses autrement, ne serait-ce que par son éloignement dans les siècles : lire Montaigne ou Chateaubriand, c’est se confronter à un mode de perception étranger au nôtre, et dès lors c’est perdre de notre superbe, c’est-à-dire de notre connerie. Les livres qui confortent l’esprit du temps sont de l’anti-littérature ». Avec Rééducation nationale Patrice Jean fait assurément œuvre de littérature.

Lisa Kamen-Hirsig. Enseignante. Chroniqueuse (RTL, Le Point, Marianne, Contrepoints)

RÉEDUCATION NATIONALE, Patrice Jean. Editions Rue Fromentin. 17 euros

Liens vers la boutique : cliqueez ICI et ICI

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