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Recul gouvernemental ou bon "vieux" conflit frontal : ce que les blocages passés nous apprennent sur les enjeux de ce choix stratégique
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Pile ou face

Raffineries à l'arrêt, blocage des transports, appels à la grève... Alors que le mouvement social s'intensifie entre certains syndicats et le gouvernement autour de la loi El Khomri, la bonne attitude à adopter n'est pas forcément évidente à trouver pour un pouvoir en place critiqué dans la rue.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : Alors que le conflit entre plusieurs syndicats et le gouvernement s'intensifie autour de la loi El Khomri, Manuel Valls a déclaré récemment "un conflit frontal, c'est vieux, c'est conservateur". Cette stratégie de la confrontation peut-elle être payante pour le Premier ministre ? A quelles conditions ?

Hubert Landier : Le front syndical contre le projet de loi El Khomri est loin d’être unanime. D’un côté, on trouve le "front du refus" avec à sa tête la CGT ; mais de l’autre, il y a les organisations qui ont négocié le texte du projet qui a été présenté à l’Assemblée nationale, avec à sa tête la CFDT. Et dans cet ensemble, le front du refus est probablement minoritaire. L’unanimité dont la CGT cherche à se prévaloir est une illusion, même dans ses rangs. Si on considère les appels à la grève à la SNCF ou à la RATP, ils sont très peu suivis et les dernières manifestations ont été assez squelettiques, compte tenu du fait que la CGT aura "mis le paquet". Le gouvernement a donc raison d’être confiant : sauf maladresse de sa part, toujours possible, la loi passera et la CGT risque de perdre la face.

Pour l’exécutif, c’est essentiel parce que derrière le conflit social, il faut bien voir qu’il y a une manoeuvre politique. Ce qui s’exprime à travers l’action de la CGT, ce sont les opposants de gauche : Parti de gauche, trotskistes et socialistes opposés à la politique de Manuel Valls. Les uns et les autres exercent une influence sensible au sein de la CGT. La déconfiture du PCF a laissé la place libre, en effet, aux trotskistes. Leur influence était déjà sensible au congrès de Toulouse, il y a trois ans, et elle s’est encore renforcée au récent congrès de Marseille. Leur champion est Philippe Martinez, dont il ne faut pas oublier qu’il vient de la CGT Renault, un syndicat extrêmement dur, archaïque et qui a aujourd’hui perdu une grande partie de son influence.

Le gouvernement n’a donc pas d’autre choix que de maintenir sa position. S’il retirait le projet de loi, il donnerait une grande victoire à ses opposants de gauche et François Hollande perdrait tout espoir de s’imposer comme candidat à la prochaine élection présidentielle. Quant au Premier ministre, il y joue son autorité. Mais il faut qu’il le fasse en évitant toute provocation qui redonnerait du souffle au mouvement social.

Historiquement, quelles ont été les postures les plus efficaces pour un gouvernement : se montrer ferme jusqu'au bout ou lâcher un peu de lest face au mouvement ? Quels exemples précis peut-on citer ?

Le lest a déjà été largement lâché à la CFDT. Pour le gouvernement, céder à la CGT, ce serait lâcher la CFDT, et cela, il ne le peut pas. Il lui reste à laisser le mouvement s’essouffler de lui-même. Et cet essoufflement est déjà visible : les lycéens et les étudiants ont décroché, les cheminots en grève sont minoritaires ; il reste les raffineries, mais ça ne devrait pas durer très longtemps. La CGT, en réalité, n’a pas réussi à paralyser le pays. S’il s’agissait pour elle de reproduire mai 1936, mai 1947 ou mai 1968, c’est raté. Les gens n’ont pas suivi, et si l’approvisionnement en carburant cessait vraiment d’être assuré, cela provoquerait un vent de mécontentement qui se retournerait contre les grévistes. C’est ce qu'il s’était produit sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec le mouvement contre la réforme des retraites.

Quels sont les obstacles majeurs qu'un gouvernement doit éviter pour faire passer une loi contestée dans la rue ?

Au congrès de Toulouse de la CGT, il y a trois ans, un président de séance, face au tumulte dans la salle, avait déclaré : "à la CGT, les décisions se prennent au nombre de voix, pas au nombre de décibels". C’était très bien dit, et cela vaut pour la période actuelle. Les lois se font dans l’hémicycle, pas dans la rue, surtout quand il n’y a pas grand monde dans la rue. Manuel Valls a donc raison d’affirmer que la CGT se trouve dans une impasse. Ce qui est dans une impasse, en fait, c’est, venant de la CGT, une politique d’action archaïque, mais qui se trouve malheureusement validée par certains comportements patronaux, comme dans l’affaire du salaire de Carlos Ghosn.

N'y a-t-il pas une certaine hypocrisie dans l'attitude d'un gouvernement qui fustige le comportement de certains casseurs, alors que ces derniers servent ses intérêts en décrédibilisant le mouvement d'opposition ?

L’hypocrisie ne fait pas partie du vocabulaire politique, ou alors tout est hypocrisie. Bien sûr, les images de casseurs ou les files d’attente devant les stations service desservent les grévistes et servent la politique du gouvernement. A l’inverse, une politique trop musclée à l’égard des grévistes pourrait servir leur cause. C’est pourquoi le ministère de l’intérieur doit veiller à être ferme mais en évitant de se montrer violent. C’est un équilibre difficile à maintenir et qui peut à tout moment être compromis dans un sens ou dans un autre par un accident. C’est le grand mérite du Préfet Grimaud en 1968, dans des circonstances beaucoup plus violentes, d’avoir évité tout accident mortel…

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