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Eric Zemmour prend la parole lors d'une conférence de presse pour présenter son programme politique, le 23 mars 2022, à Paris.
Eric Zemmour prend la parole lors d'une conférence de presse pour présenter son programme politique, le 23 mars 2022, à Paris.
©BERTRAND GUAY / AFP

Vote caché

Sur les réseaux sociaux, les soutiens d’Eric Zemmour croient à un vote caché. La présidentielle et plus encore les législatives risquent de casser ce sentiment de conquête.

Gilles Ivaldi

Gilles Ivaldi est chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences-Po Paris. 

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Atlantico : On entend beaucoup les militants d’Eric Zemmour évoquer, sur les réseaux sociaux, la possibilité d'un « vote caché » en faveur de leur candidat. Est-ce vraiment possible ?

Gilles Ivaldi : C’est possible mais ça paraît peu plausible. C’est sans doute une façon pour certains militants de Reconquête de se redonner du courage face à la baisse de leur candidat, en parlant d'un « vote caché ». C’est un peu la méthode Coué. Toutes les enquêtes le montrent, et celle du CEVIPOF le confirme, la campagne d’Éric Zemmour connaît une perte de vitesse. Il a commis de nombreuses erreurs comme sa posture face à la guerre en Ukraine et il a du mal à sortir de ses thématiques habituelles comme l’immigration, l’identité, le grand remplacement ou la remigration. Si ce sont des enjeux importants, ils ne sont pas au cœur des préoccupations. Aujourd’hui, on parle majoritairement du conflit ukrainien ou des préoccupations économiques liées au pouvoir d’achat.

Confrontés à cette baisse dans les sondages, les supporters d’Éric Zemmour cherchent des explications et à se rassurer. Avec ce « vote caché », ils se disent qu’une surprise est encore possible avec une remontée spectaculaire de leur candidat. Dans les faits, cela n’est pas impossible, mais aujourd’hui l’hypothèse d’un large électorat caché en faveur d’Éric Zemmour ne tient pas pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans les enquêtes précédentes, Éric Zemmour était beaucoup plus haut qu’aujourd’hui, ce qui montre que ses électeurs potentiels n’ont pas de difficulté à se déclarer. Par ailleurs, la plupart des enquêtes sont réalisées en ligne et face à un écran, l’hypothèse de la peur d’afficher son vote Zemmour paraît assez peu plausible dans ces conditions. Enfin, les idées de Zemmour sont devenues assez mainstream, sa thèse du grand remplacement se retrouve chez Eric Ciotti et même chez Valérie Pécresse qui y a fait quelques allusions. En 2022, le vote Zemmour n’est pas un vote tabou comme a pu l'être celui de Jean-Marie Le Pen à une époque. Les idées du polémiste se sont assez largement banalisées.

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Les électeurs de Reconquête doivent-ils se préparer à une désillusion à la présidentielle ?

Une campagne telle que celle que nous connaissons est faite de rebondissements, il faut donc rester prudent. Mais aujourd’hui, il y a quelques grandes tendances qui se dessinent. Emmanuel Macron reste protégé grâce aux inquiétudes liées au contexte international ; la dynamique du pouvoir d’achat est, elle, plus porteuse pour Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Sur la guerre en Ukraine, Éric Zemmour a pris des positions qui l’ont desservi, sur Vladimir Poutine ou l’accueil des réfugiés. Sur les questions sociales, il est entré dans la campagne sur un programme plus libéral, plus à droite économiquement. Aujourd’hui, il est beaucoup moins crédible que Marine Le Pen sur le pouvoir d’achat à un moment où cette question devient centrale dans la campagne.

On se souvient qu’en 2017, malgré un bon score à la présidentielle, le RN a connu une forte déconvenue aux Régionales. 2022 se profile comme étant marquée par une abstention importante et l’extrême droite est divisée entre Reconquête et RN. Dans ces circonstances, la perspective des législatives, qui doit permettre l'entérinement de Reconquête dans le paysage politique français risque-t-elle d’être douloureuse pour le parti d’Eric Zemmour ?

Le projet d’Éric Zemmour est depuis le départ de battre Marine Le Pen et d’être devant Valérie Pécresse afin d'imposer la recomposition de la droite en fusionnant une partie des Républicains et l’extrême-droite. Mais pour être en position d’imposer une telle recomposition, il faut être en mesure de créer une dynamique forte. Il s’agirait d’une hypothèse envisageable si Éric Zemmour était dans une telle dynamique, avec l’espoir d’accéder au second tour derrière Emmanuel Macron. Ça n’est pas le cas. Aujourd’hui, en étant potentiellement derrière Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et peut-être juste derrière Valérie Pécresse, si on en croit les sondages, il sera très difficile pour lui d’enclencher une dynamique le jour d’après présidentielle. Il n’aura pas l’élan politique dont il a besoin pour bousculer le jeu politique. La vie politique française est traditionnellement cruelle pour les perdants.

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N’oublions pas que les Législatives sont une compétition bien différente de la Présidentielle qui se jouent pour beaucoup au plan local. Il faut trouver des candidats dans toutes les circonscriptions pour pouvoir espérer remporter des sièges en nombre suffisant pour peser politiquement. Reconquête est un parti relativement jeune, composé de personnes très enthousiastes, mais une fois la Présidentielle passée et, dans l’hypothèse où leur champion arriverait en cinquième position, les troupes d’Éric Zemmour risquent d’être beaucoup moins enthousiastes. Il va falloir qu’il trouve des candidats pour aller challenger les Républicains et le RN dans un grand nombre de circonscriptions. Il pourra naturellement compter sur des candidats avec un vrai pédigrée politique comme Gilbert Collard, Marion Maréchal ou Guillaume Peltier, mais il n’est même pas totalement certain que ces derniers soient élus. Face à des candidats élus Républicains et même RN bien implantés, les nouveaux venus de Reconquête auront du mal à s’imposer. Notamment face à LR. Les Républicains sont en général bien installés dans leurs circonscriptions, ce sont souvent des notables avec une grande expérience politique. N’oublions pas que LR reste le premier groupe d’opposition à l’Assemblée Nationale. Et face au RN, Eric Zemmour peut espérer le bousculer peut-être dans le Sud grâce à certains profils comme Gilbert Collard ou Marion Maréchal, mais ailleurs, comme dans le Nord, il sera beaucoup plus difficile pour Reconquête de venir déloger les candidats lepénistes, surtout si Marine Le Pen réalise une belle performance à la présidentielle dans un possible second tour face à Macron.

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Aujourd’hui, si la recomposition doit se faire, elle se ferait plus probablement avec une partie de LR partant vers Emmanuel Macron qu’une partie de LR allant vers un candidat ayant terminé en cinquième position à l’élection présidentielle. Ce sera donc compliqué pour Éric Zemmour en avril si le premier tour confirme le score que lui promettent aujourd’hui les sondages, mais encore plus difficile pour lui un mois plus tard avec les législatives sans véritable dynamique en sa faveur.

Sans « vote caché », Reconquête est-il obligé de considérer des alliances ? Sont-elles envisageables ou envisagées à l’heure actuelle ?

La raison d’être de Reconquête est précisément de créer des alliances. Éric Zemmour se dit que là où le RN reste encore rejeté par la droite classique, Reconquête pourrait être le vaisseau amiral de toutes les alliances afin de réunir la droite et l’extrême-droite. C’est le projet initial, mais pour faire des alliances il faut avoir quelque chose à offrir… S’il finit à 10 % le 10 avril, je ne vois pas l’intérêt pour des députés Républicains de quitter LR pour aller s’allier avec une personnalité qui aura au final très largement perdu son pari de bousculer le jeu politique à droite. On le voit, les résultats du premier tour seront décisifs pour la suite de l’aventure politique d’Éric Zemmour.

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