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Recette miracle : le milliardaire britannique qui pensait avoir trouvé l’arme électorale fatale (et pour cause, c’est lui qui a financé la campagne du Brexit)
©Allociné

Mauvais génie

Comme l'illustre notamment le vote en faveur du Brexit, les arguments purement factuels et prétendument objectifs ont de moins en moins d'impact dans un certain nombre de pays occidentaux.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans la foulée du Brexit, le riche mécène du camp du "out" Arron Banks envisage désormais de créer un parti destiné à supplanter Ukip, sur la base d'une stratégie électorale qui aurait fait ses preuves à l'occasion du référendum britannique. Pour lui, "la campagne en faveur du Remain a mis en avant des faits, des faits, des faits, des faits, des faits." Et il en déduit : "Ça ne marche pas. Il faut toucher les gens émotionnellement. C'est la grande réussite de Trump." Dans quelle mesure cette analyse est-elle pertinente ? Quels autres exemples récents tendent à le prouver ?

Vincent Tournier : Le Brexit étant acté, il n’est pas sûr que le parti UKIP ait encore un avenir politique. D’une certaine façon, l’UKIP a rempli sa mission, qui était d’exprimer une hostilité profonde et croissante envers les institutions européennes. Il est donc probable qu’à partir de maintenant, les électeurs britanniques décident de regagner les partis traditionnels, lesquels vont d’ailleurs adapter leur discours à la nouvelle donne.

Cela étant, peut-on dire que la victoire du « leave » se soit faite sur des émotions, et non sur des arguments rationnels ? Peut-on dire que le phénomène Trump relève de l’émotion, et non d’arguments rationnels ? Curieusement, cette manière de voir est toujours à sens unique : il ne vient pas à l’idée de dire qu’Obama doit sa victoire aux émotions, ou encore que le référendum sur le traité de Maastricht en 1992 signifie le triomphe de l’irrationnel sur le rationnel, ce qui pourrait tout aussi bien se défendre.

En fait, le problème est que chaque camp a tendance à accuser l’autre d’irrationalité. Le plus souvent, cette accusation se porte sur les partis dits populistes, à qui il est reproché de jouer sur les émotions, notamment sur la peur. Ce n’est pourtant pas exact. Souvenons-nous des élections régionales de décembre dernier, lorsque le Parti socialiste dramatisait la possibilité d’une victoire du Front national, hypothèse qui était en réalité hautement improbable. A l’inverse, en 1981, c’est la droite qui voulait effrayer les électeurs en annonçant que les chars soviétiques allaient débarquer sur la place de la Concorde, ce qui n’a pas empêché François Mitterrand d’être élu ; en 1986, le PS a repris ce credo de la peur en lançant une grande campagne d’affichage avec pour slogan « Au secours, la droite revient ».De telles stratégies dramatisantes ont probablement une efficacité limitée. Les psychologues savent bien que la peur ne marche pas toujours. Par exemple, il ne suffit pas de faire peur aux fumeurs pour qu’ils changent leurs habitudes. Cela peut même avoir un effet inverse, ce qui a probablement été le cas avec le référendum anglais. En tout cas, il ne faut pas prendre les électeurs pour des idiots. Certes, le vote n’est pas un acte de rationalité pure et parfaite, mais les électeurs ont leurs raisons, même si celles-ci peuvent parfois sembler déroutantes, au moins pour ceux qui les observent.

Comment expliquer que les électeurs de nombreux pays d'Occident semblent de plus en plus imperméables à des arguments prétendument objectifs et rationnels ? Et à l'inverse, pourquoi des arguments purement émotionnels ont-ils un impact croissant (Cf. Une vidéo pro-Brexit dont la phrase d'accroche était "Le nombre de crimes commis au RU par des criminels étrangers vous intéresse-t-il ?", qui a été vue 1,6 million de fois sur Internet) ?

Peut-on vraiment dire que les électeurs sont devenus imperméables aux arguments objectifs et rationnels ? C’est une conclusion à laquelle souscrivent volontiers les partis politiques, surtout quand ils ont perdu : ils ont toujours le sentiment que leur projet est excellent mais incompris parce que les électeurs ne sont pas à la hauteur. C’est le complexe classique des élites, pas seulement en politique.

On peut toutefois se demander si cette attitude élitiste n’est pas plus marquée aujourd'hui. Les réactions qui entourent le Brexit sont à cet égard très révélatrices. On observe une tendance inquiétante chez les élites à penser que la démocratie n’est pas un bon système, que le référendum est même une monstruosité, que les électeurs sont incompétents, voire que la voix des jeunes est écrasée par celle des vieux, etc.Ces réactions sont doublement inquiétantes : d’une part elles deviennent systématiques, d’autre part elles ne font pas l’objet d’un profond désaveu. Du coup, on a presque l’impression de revenir un siècle en arrière, lorsque les élites exposaient sans vergogne leur mépris à l’égard du suffrage universel.

Cette situation est dommageable parce qu’elle conduit à ne pas aborder frontalement les questions dérangeantes. Pourquoi les électeurs ne font-ils plus confiance ? Pourquoi mettent-ils en doute certaines informations ou certains arguments ? Le problème est que beaucoup d’électeurs ont le sentiment qu’on leur a vendu de la poudre de perlimpinpin. Les discours sur l’Europe et sur la mondialisation ont été excessivement dithyrambiques. Ils ont fait de l’Europe un nouveau millénarisme, une promesse d’avenir radieux et de lendemains qui chantent. Les pro-Européens auraient dû s’attendre à un retour de bâton ; ils auraient dû être plus modestes, plus pragmatiques, et reconnaître aussi leurs erreurs, comme le fait d’avoir élargi trop vite et trop fortement l’Europe des Six. La question de l’immigration relève du même type de problème. Au Royaume-Uni, le visage du pays a été profondément transformé en quelques décennies. La sur-délinquance des étrangers est une réalité qui est peu prise en compte dans le beau récit sur la mondialisation heureuse. Les Anglais ont eu leurs« événements de Cologne », avec plusieurs affaires de viols collectifs impliquant notamment des Pakistanais. Ces affaires sordides ont traumatisé l’opinion, à la fois par l’ampleur des faits et par le retard des autorités pour traiter les problèmes car celles-ci craignaient d’être accusées de racisme. Les gens ont le sentiment qu’on leur cache des choses et, d’une certaine façon, ils n’ont pas complètement tort.

Les candidats des partis traditionnels seront-ils contraints de délaisser le fact-checking et d'utiliser eux aussi des arguments destinés à toucher la fibre émotionnelle de l'opinion ? Le Brexit marque-t-il l'entrée dans une phase où le candidat victorieux d'une élection sera celui qui aura le mieux identifié et/ou exploité les émotions des électeurs ? 

Je ne crois pas que la prochaine campagne électorale sera très différente des campagnes précédentes. Tous les partis vont jouer simultanément sur l’émotion et la raison, comme ils le font habituellement.

Ce qui est plus préoccupant, c’est de savoir si les partis de gouvernement vont réussir à parler aux électeurs. La situation actuelle est tout de même assez inquiétante. On sent que des tensions assez fortes s’accumulent sans qu’émergent des esquisses de solution.

La droite a un léger avantage car elle est dans l’opposition depuis 5 ans, ce qui lui permet de se présenter comme un recours, même si le retour possible de Nicolas Sarkozy va poser une difficulté pour incarner une véritable alternative. Le Parti socialiste est face à un problème plus délicat : que va-t-il bien pouvoir dire ? Quel projet va-t-il pouvoir soumettre aux électeurs ? Sur les questions de société, il n’a plus de projet comparable au mariage gay, et il ne peut décemment pas reprendre ses propositions de 2012 sur le vote des étrangers ou le récépissé des policiers en cas de contrôles d’identité. Sur l’économie, il ne peut guère envisager de ressortir ses propositions sur la réforme fiscale ou la tranche d’imposition à 75%. Reste alors une dernière chance : l’Europe.Paradoxalement, il est en effet possible que le Brexit soit le last chance saloon du PS. L’argumentaire est en effet tout trouvé : il suffit au PS de dire que, à cause du vote des Anglais, l’Europe est en crise et qu’une relance est nécessaire. Le PS peut alors sortir un argument massue : nous proposons d’aller vers une véritable Europe sociale. En jouant sur ce registre, le PS peut faire coup double : d’une part il propose un vrai projet, et pas seulement une succession de mesurettes comme en 2012 ; d’autre part il peut s’afficher comme renouant avec la gauche authentique, sans prendre beaucoup de risques puisque l’issue d’une telle opération est loin d’être acquise.

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