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Récession post-Covid : le match des Banques Centrales pour (tenter d’) éviter le pire
©Parker Song / POOL / AFP

Chine, Japon, Fed, BCE

La concurrence des Banques Centrales pour savoir qui contrera au mieux la pandémie de Covid-19 est ouverte. Face à la pandémie, les grandes Banques Centrales n'ont pas le choix et doivent agir.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Plus de 8 millions de personnes atteintes, bientôt 450 000 morts : le COVID-19 frappe le monde entier, sans ralentir. Une perte de PIB de 6% frappera l’économie mondiale dans le cas d’une seule vague de la pandémie, de 7,6% dans le cas de deux. Une reprise en 2021 ne compensera pas la perte d’activité de 2020, à plus forte raison dans le cas de deux vagues. Nous trouvons donc, partout, une récession profonde dont les effets sur la croissance seront significatifs. Voilà de quoi mobiliser les Banques Centrales pour limiter autant que possible les effets de cette pandémie, ce qui les fait entrer en concurrence pour mesurer leurs efficacités.

1 – Face à la pandémie, les grandes Banques Centrales n’ont pas le choix : toutes doivent agir. On va donc les voir à l’œuvre

Partout, au-delà de différences de présentation, les Banques Centrales ont le même objectif central : assurer la stabilité du système bancaire et financier. Autrement dit : éviter la faillite du pays. On le comprend et on comprend aussi qu’elles ne le répètent pas : inutile d’affoler. Elles préfèrent donc parler de leurs « objectifs chiffrés » à moyen terme. Mais aujourd’hui, la pandémie menace la stabilité des systèmes bancaires et financiers de chacune. Donc, toutes sont mobilisées et doivent aller au maximum de leurs possibilités.

2 – Officiellement, chaque grande Banque centrale agit en fonction de ses mandats et objectifs, définis sur une base nationale, mais avec la pandémie chacune regardera plus que jamais ce que fait l’autre

La Banque Centrale Européenne a un seul objectif bien connu : la stabilité des prix, une hausse des prix proche de 2% à moyen terme. Elle se différencie ainsi de la Banque Centrale Américaine qui a deux objectifs de même poids : l’inflation autour de 2% à moyen terme et le plus bas taux de chômage. On pourrait penser que chacune est « dans son couloir », comme dans une course, mais comme les deux plus grandes visent surtout 2% d’inflation « en temps normal », ceci pèse sur toutes dans le monde et fait converger vers ce chiffre le taux d’inflation, jugé souhaitable pour la stabilité de tous… et on retrouve l’objectif permanent en acte.  Ceci polarise donc les anticipations de prix, de salaires et de profits.

Mais, ici aussi, la pandémie change la donne. Vue comme désinflationniste, sinon déflationniste, elle pousse à des mesures d’urgence pour éviter le pire : la crise des systèmes bancaires et financiers. Tout se mettra donc en place  pour éviter « ce » pire, mais ne pourra éviter des restructurations accélérées, des faillites, le chômage et, symétriquement, de fortes prises de risque pour aider de futurs champions. Les Banques Centrales font ce que font leurs voisines et concurrentes, pour en faire autant qu’elles et aider « leurs » entreprises.

3 – Les grandes Banques Centrales baissent leurs taux courts à 0% et agissent pour abaisser autant que possible les taux longs, en ajoutant que tout cela « durera »

Baisser les taux à 0%, c’est pour lutter contre la « trappe à liquidité » où chacun reste liquide en attendant que « les prix baissent » : actions, logements et bientôt salaires. On aura retrouvé la déflation. 0% c’est évidemment pour ne pas rémunérer la liquidité, ce qui peut aller à des taux négatifs, pour faire payer le déposant. Mais les taux négatifs n’ont de sens que s’ils sont imputés au client de la banque, ce que les banques ne veulent pas faire, pour des raisons commerciales. Alors elles payent ! Et ce qui veut être une politique extrême pour sortir de la liquidité, pousser à investir et à prendre des risques, donc soutenir la croissance, devient une taxe bancaire : l’inverse. Ce qui arrive à la BCE ! N’empêche, la Banque Centrale Anglaise dit songer à des taux négatifs et la Fed en semble loin : la mesure n’a de sens que si elle taxe le déposant. Pas évident…

D’où l’attrait majeur pour les financements à taux privilégiés des banques par la BCE (ce qui soutient les marges bancaires) et les achats de bons de trésor qui font baisser les taux longs et, surtout, éloignent d’une crise des dettes publiques. La Fed détient 15% de la dette américaine, la BCE 15% de la française, 25% de l’italienne, 35% de l’allemande et la Banque du Japon la moitié de celle du pays ! Ainsi la dette italienne se place sans problème et la république grecque revient vers les marchés. La BCE prêtera environ 2 000 milliards d’euros aux banques et détiendra plus de 6 000 milliards de bons des trésors de la zone euro, soit le tiers de leur dette publique. Enfin, tout ceci durera (forward guidance) pour pousser à investir et à prendre des risques, ne pas désespérer les banques, soutenir la bourse et, autant que possible, l’investissement et l’emploi. Toutes les Banques Centrales, par la baisse des taux courts et longs, soutiennent leurs systèmes de financement, contre la déflation.

4 - La Banque centrale chinoise est à part : elle a des dizaines d’objectifs et en fait un seul, la stabilité économique et financière du pays, autrement dit celle du Parti Communiste

Avouons que nous ne savons pas « tout » des actions de la Banque Centrale Chinoise (mais aucune Banque Centrale ne dit « tout »). Cependant, dans le cas chinois, des interrogations peuvent naître sur la part de la dette publique qu’elle a achetée (50,5% ?) et plus encore sur le volume de ses crédits, qui représentent au moins 2,8 fois le PIB du pays. Quelles sont donc les qualités des crédits aux ménages, aux entreprises privées et publiques, sachant qu’ils ont tous été accrus avec la pandémie ? Combien va être remboursé ?

On peut également s’interroger sur la qualité des reportings de la Banque Centrale, sachant qu’une étude récente a montré que la moitié des crédits accordés aux pays émergents (dans le cadre des « routes de la soie » pour essentiel sans doute) n’a pas été reportée au FMI ou à la Banque Mondiale. 250 milliards de dollars manqueraient, changeant non seulement la vision que l’on peut avoir sur le « risque Chine » en cas de ralentissement, mais aussi sur les risques des pays émergents endettés, en dollar ou en en renminbi, souvent contre des matières premières, dont les prix ont baissé.

Si la Chine doit décélérer ses crédits aux pays émergents, sachant qu’ils sont déjà  en difficulté, des sources supplémentaires de crise peuvent naître. La question à la Banque Centrale Chinoise est donc : va-t-elle continuer le rythme de ses crédits internes, quelle part en est et sera non-performante, que penser de sa politique de crédits aux pays émergents ? « Normalement », elle devrait être recapitalisée par le budget, en fonction de la situation actuelle et future de la Chine et de ses créanciers, mais ce serait avouer un problème grave, qui est pourtant là.

5 – La BCE va en rajouter

Un seul objectif (l’inflation) et pas deux (inflation et chômage) comme la Fed, on pourrait dire que la BCE est plus « coincée » que la Fed. Mais Mario Draghi a montré à quel point on pouvait jouer avec cet objectif unique, en fonction notamment de la tendance des prix et de la durée du « moyen terme ». On voit comment il a soutenu les banques comme personne et acheté relativement plus de bons du trésor par rapport au PIB que la Fed !

Mais, depuis, le 5 mai 2020, la Cour Fédérale Allemande a mis un coup d’arrêt aux achats de bons du trésor par la BUBA, disant que la BCE « en faisait trop » par rapport à sa propre situation, ou implicitement qu’elle aidait trop « les autres ». Or la BUBA, qui doit expliquer sa position à la Cour Fédérale, ne paraît pas trop inquiète. Surtout Angela Merkel et Emmanuel Macron proposent, 15 jours plus tard, de monter un plan européen de financement qui prévoit explicitement des transferts. Et l’idée est reprise, puis accrue, par la Commission Européenne qui propose plus de financements communautaires, avec plus de transferts à la clef, dont implicitement la BCE achètera une part.

Plus le temps passe, plus la BCE accroît et étend donc ses programmes de soutien, aux banques, aux trésors nationaux, aux entreprises (en achetant leurs obligations), supposant vaincues les oppositions de la Cour Allemande ou celles des 4 états qui s’opposent aux transferts (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède). Il faudra sans doute revoir le Traité Européen qui précise certes que : « l’objectif principal… de la BCE est de maintenir la stabilité des prix » mais ajoute aussitôt «  sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, la BCE apporte son soutien… à la réalisation des objectifs de l’Union… : une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ». Bref : tout est déjà là !

6 – La Fed mène le jeu, derrière le dollar

La Banque Centrale Américaine, la Fed, est la plus puissante de toutes dans cette épreuve et les conduit. Elle achète sans limite les bons de Trésor américain, autrement dit finance sans limite le déficit actuel. Il ne sert donc à rien de se demander si, pour se venger, la Chine va vendre une partie des 1000 milliards de bons du trésor américain qu’elle détient : la Fed achètera.

C’est pour cela que l’on écoute Jay Powell, son président, pour connaître sa vision à l’horizon de quelques années. Sa dernière conférence de presse a inquiété les marchés qui rêvaient. Il leur a dit que la croissance serait compliquée, sans être sûr de retrouver rapidement les conditions antérieures d’emploi. Il a ajouté qu’il financerait l’activité économique autant que possible : budget, entreprises, ménages. Chose nouvelle, il a beaucoup insisté sur son soutien aux banques, pour qu’elles aident à leur tour les PME. No limit.

7 – Suivre le modèle de la Banque du Japon ?

La Banque Centrale du Japon doit soutenir l’activité économique et pour cela maintenir les taux les plus bas possible, depuis des années. Ceci la conduit, outre à détenir l’équivalent de 120% du PIB japonais en dette publique, mais aussi à être le premier actionnaire de la bourse du pays ! Est-ce un modèle à suivre ? On voit que la Fed vient de lancer un programme d’achat d’obligations d’entreprises américaines de 750 milliards de dollars, avec des questions sur la qualité des obligations ainsi acquises.

8 – Pas de limites aux pouvoirs des Banques Centrales ?

C’est la même question que l’on retrouve partout : avec une vague du virus ou deux, ce sera aux Banques Centrales de répondre. Elles vont acheter plus de bons de trésor, d’obligations privées, peut-être des actions si la situation se détériore gravement. Mais il ne faut pas oublier l’objectif central des Banques Centrales : la stabilité monétaire et financière, autrement dit la confiance dans leur monnaie. Derrière la Banque Chinoise, il y a le yuan, certes important mais peu présent dans les réserves. Et elle veut en profiter pour renforcer son poids. En face, il y a la Fed et le dollar, qui paraissent pour l’heure les gagnants de l’opération.

La BCE franchit les étapes et les obstacles : elle joue son futur. Et même si, un jour, elle est en perte et si son capital devient négatif, elle peut continuer son rôle, mais devra être recapitalisée (comme toutes d’ailleurs). Évidemment, on peut penser que certaines monnaies nationales ne vont pas résister à la pandémie : dollarisation ou « yuanisation » sont en jeu. Il est donc stratégique de développer le rôle de l’euro, par des pegs ou des encouragements à « l’euroisation », mais il s’agit là d’une décision de ces pays, à leur risque et péril. Il est exclu d’avoir des soutiens spécifiques de la BCE, qui pourrait en pâtir : ce sera au FMI d’agir. La Fed peut donc gagner. La Banque de Chine peut s’étendre, mais il est obligatoire de lui demander plus d’informations. La BCE peut se renforcer, si la zone euro comprend enfin l’intérêt stratégique de développer une monnaie vraiment mondiale.

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