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Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, se sont rencontrés dimanche pour aborder la question de la recapitalisation des banques.
Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, se sont rencontrés dimanche pour aborder la question de la recapitalisation des banques.
©Reuters

Couple franco-allemand

"Nous sommes déterminés à faire ce qu'il faut pour assurer le recapitalisation de nos banques". C'est ce qu'a annoncé Angela Merkel dimanche, suite à sa rencontre avec Nicolas Sarkozy. Un plan complet pour la stabilisation de la zone euro devrait être annoncé d'ici début novembre, avant la tenue du G20 à Cannes. Un tournant vers plus de fédéralisme ?

François Rachline

François Rachline

François Rachline est conseiller spécial du président du Conseil économique, social et environnemental.

Auteur de D’où vient l’argent ? suivi de Pour une Banque centrale mondiale, Hermann, 2011.

Docteur d’Etat en sciences économiques, il est par ailleurs professeur à Sciences Po.

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Atlantico : Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, se sont rencontrés dimanche pour aborder la question de la recapitalisation des banques. L’Allemagne est pour une recapitalisation rapide, la France traînait davantage des pieds. Que pensez-vous de leur déclaration commune à l'issue de cette rencontre ?

François Rachline : Comme vous le savez, la déclaration commune fait état d’un accord complet. Je ne pense pas que ce soit un affichage de façade. Aucun des deux pays n’a intérêt à voir l’Europe s’effondrer. Il semble bien, à l’heure où je réponds à votre question, que l’Allemagne et la France aient pris toute la mesure de la situation. Cela ne veut pas dire que la crise est réglée, mais cela signifie que les Européens, sous l’impulsion déterminante du couple moteur franco-allemand, n’abandonneront pas les banques en difficulté potentielle. Le président français a déclaré que d’ici novembre 2011, la France et l’Allemagne auront proposé des modifications importantes des traités permettant de surmonter la crise actuelle. Sans être devin, on peut supposer qu’il s’agit de resserrer les liens entre les membres pour obtenir, enfin, une convergence des politiques budgétaires.

Madame Merkel a parlé d’une « coopération plus étroite et contraignante des pays de la zone euro ». Ce n’est pas encore le fédéralisme, mais c’est incontestablement un tournant vers plus d’intégration économique, et politique. 

Les solutions convenues sont-elles susceptibles de répondre de manière drastique à la suspicion du marché interbancaire ?

Il est trop tôt pour répondre catégoriquement. Il me semble que les positions adoptées vont dans le bon sens. Si une banque a des doutes, elle testera le marché. Si les positions adoptées sont fermes, la Banque centrale européenne et le Fonds de solidarité financière feront tout pour que les banques ne craignent plus un risque de liquidité, dans le même temps où les gouvernements aideront à la recapitalisation des plus exposées.

Le Président de la Commission européenne a par ailleurs confirmé - sans rien révéler - l’existence d’un plan de recapitalisation des banques. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Ce qui est intéressant dans ce qu’affirme le Président de la Commission européenne, c’est que cela traduit un revirement des politiques et des banques quant à la nécessité de recapitaliser le système financier européen. Christine Lagarde défendait en août dernier ce point de vue au nom du FMI, mais son analyse ne faisait pas l’unanimité, c’est le moins que l’on puisse dire.

Le risque d’un manque de fonds propres des banques est-il réel ?

Quand on dit qu’un train peut en cacher un autre, cela signifie que vous voyez le premier mais que le second est tout aussi dangereux, même si vous ne le voyez pas aussi bien que le premier. C’est un peu la même chose avec l’exposition des banques. Il y a ce dont on parle tous les jours – la Grèce – et ce qu’on évoque épisodiquement – l’Espagne ou l’Italie.

Le premier train, c’est la difficulté de plus en plus grande qu’ont les banques à se prêter de l’argent entre elles, sur le marché interbancaire. Or, ce marché est déterminant. Il permet aux banques – notamment celles qui ne reçoivent pas d’importants dépôts des particuliers – de trouver des fonds pour se refinancer, c’est-à-dire pour obtenir des prêts leur permettant d’effectuer leurs propres opérations de prêts à leurs clients.

Cet été, les banques étaient de plus en plus suspicieuses entre elles. Compte tenu de leur exposition au risque de défaut de remboursement, en particulier des Etats, elles sont devenues réticentes à l’idée de se prêter des fonds les unes aux autres. On courait alors un risque de collapsus général. Seul un accord entre la Banque centrale européenne (BCE), les banques centrales des États-Unis, du Japon, de la Grande-Bretagne et de la Suisse a permis de débloquer la situation. Une quantité suffisante de dollars avait alors pu être injectée pour qu’il n’y ait pas de blocages sur le marché interbancaire.

Et le second train ?

D’autres pays que la Grèce sont touchés de plein fouet par la crise actuelle, et des grandes banques européennes sont plus exposées sur ces pays (Italie ou Espagne) que sur la Grèce.

Ces banques ne vont évidemment pas disparaître du jour au lendemain, mais la suspicion qui pèse sur elles menace leur réapprovisionnement sur le marché interbancaire. Pour être clair, la liquidité ne manque pas, mais il existe une incertitude sur la capacité de certaines banques à honorer leurs engagements. Aussi, les autres banques hésitent à prêter de l’argent à de consœurs engagées auprès d’Etats endettés lourdement, car elles ont peur de tout perdre si ces Etats se retrouvent en défaut de paiement. D’où d’ailleurs des actions engagées par la BCE ces jours-ci pour enrayer ce mécanisme redoutable, qui avait failli provoquer un désastre entre septembre et décembre 2008.

La confiance entre les banques s’est donc altérée. Un des moyens de remédier à cette situation est précisément de les recapitaliser. Qu’est-ce cela signifie ? Très simplement augmenter les moyens dont elles disposent de façon stable et durable. Autrement dit, renforcer ce qu’on appelle les fonds propres, qui sont les capitaux figurant au passif du bilan. Ceux-ci représentent l’argent mis à la disposition de la banque. A l’actif apparaît l’utilisation de ces fonds (caisse, immeubles, prêts à l’économie, etc.). Les fonds propres « durs », c’est le capital social (actions détenues par les actionnaires de la banque et bénéfices passées mis en réserves).

Il existe des règles connues sous le nom de Bâle 3, qui établissent que le rapport entre les fonds propres « durs » et les engagements doit être équivalent à 8%. Les banques doivent donc posséder 8% des montants totaux qu’elles ont prêtés, comme une sorte de filet de sécurité.

Peut-on faire le parallèle avec l’effondrement de Dexia ?

Oui. Cette banque a prêté à des emprunteurs qui ne parviennent pas à rembourser leurs dettes. Au bord de l’asphyxie, elle est désormais en voie de démantèlement.

Les Etats européens sont aujourd’hui convaincus de la nécessité de recapitaliser les banques si le besoin s’en fait ressentir. Qu’est-ce qui a changé au niveau du contexte économique ?

Le changement est sensible : il y a un an, tout le monde disait qu’il fallait sauver la Grèce, puis il y a 6 mois que ce serait difficile, et désormais tout le monde s’accorde sur le fait qu’elle ne pourra pas éviter le défaut de paiement.

Cela dit, un pays ne disparaît pas pour des raisons économiques ou financières. Il ne va jamais « out of business ». Il cesse de payer ses dettes, mais on ne la raye pas de la carte politique. C’est déjà arrivé plusieurs fois dans l’histoire : au Mexique, à l’Argentine, et même à l’Allemagne après la première guerre mondiale.

Et que se passe-t-il quand un pays est en défaut de paiement ?

Ceux qui lui ont prêté perdent leurs créances.

Le tout est donc de savoir si ceux qui doivent payer, et donc perdre leur argent, sont les contribuables ou les épargnants. A priori, ce devraient être les épargnants, c’est-à-dire ceux qui ont déposé leur argent à la banque, avec lequel celle-ci s’est portée acquéreuse de titres, actions, obligations d’entreprises et obligations émises par les Etats pour financer leurs dépenses. Si vous placez de l’argent en bons obligataires émis par la Grèce, vous êtes exposé au risque de non remboursement par Athènes de cette dette dite souveraine.

Les contribuables sont ceux qui payent des impôts. En principe, ils ne devraient pas être appelés à la rescousse. C’est l’idée qu’on défend quand on affirme que les Etats ne devraient pas sauver la Grèce – ou tout autre Etat – avec des fonds publics, mais faire en sorte que les banques participent au sauvetage. Cela dit, la distinction entre épargnant et contribuable est simple en paroles, bien plus difficile en actes. Si un Etat refuse d’aider les banques nationales, tout le monde finira par perdre, épargnants et contribuables.

L’agence de notation Moody’s a estimé que la décote de la dette grecque (21%) était largement en deçà de la réalité des marchés, et qu’elle plafonnerait plutôt à 60%. Les Etats sont-ils enfin déterminés à faire face à la réalité des marchés ?

Cela dépend avant tout d’une prise de conscience collective, puis d’une prise de position avec des mesures efficaces, et non de l’intervention d’une agence de notation.

Les Etats européens font face à la réalité des marchés depuis le début de la crise, mais pas toujours assez vite ni de façon ordonnée.

Il est manifeste que pour que la Grèce puisse répondre aux exigences financières, il faut des mesures tellement rigoureuses que la population grecque ne peut pas le supporter. Elle entre en état de pré révolution.

La question n’est plus d’ordre comptable ou financier, il ne s’agit plus seulement de sauver la Grèce ou des banques, mais de sauver la construction européenne et la démocratie en Europe. Le Vieux Continent peut-il survivre à un chaos social majeur en son sein ? 

Les Etats ne devraient-ils pas prendre leur distance avec les agences de notation ?

Les marchés sont très attentifs aux comportements de leurs débiteurs, notamment les Etats. Il suffirait d’une solidarité affirmée, d’une volonté claire et définie des 17 pays de l’Eurozone pour que ces marchés donnent à nouveau du temps à l’Europe.

Depuis 15 ans, au lieu d’aller vers le fédéralisme, l’Europe a consacré l’intergouvernementalité, le maintien des souverainetés étatiques, ce qui n’a jamais pu conduire à une convergence des politiques budgétaires. Il y a donc du vrai dans la manière dont les marchés contestent la politique des Etats.

Les agences de notation ont un pouvoir considérable, car ceux qui détiennent des fonds veulent savoir où les placer, au risque le plus faible. Il ne faut jamais oublier que le risque de l’emprunteur est plus que faible ; c’est le prêteur qui prend tous les risques. N’importe quel internaute n’a qu’à se mettre dans la peau d’un prêteur et se demander s’il est disposé à prêter son argent à n’importe qui, ou à un emprunteur plus ou moins déjà en faillite.

Les Etats européens peuvent tirer une pédagogie de la crise qu’ils traversent. Tant qu’il n’y aura pas une solidarité affirmée, une vision commune, une volonté d’aller dans un sens, alors les marchés seront suspicieux.

Les Etats sont soumis aux agences de notation, car ils sont désunis, contrairement aux marchés qui, eux, sont unis, même s’il s’agit d’unions de circonstances. La donne pourrait être profondément modifiée si les Etats européens cessaient d’être concurrents pour emprunter des capitaux et devenaient solidaires. Par exemple en lançant des emprunts obligataires communs, notamment pour effectuer des dépenses d’infrastructures favorables à la reprise de la croissance.

Est-ce encore aux Etats de payer les erreurs commises par les banques ?

N’oubliez pas que si les banques avaient refusé de financer les Etats, ces derniers n’auraient jamais pu être en défaut de paiement. Ce qui revient à dire que les politiques sociales, les aides de toutes sortes, le financement des déficits – de l’Etat, des collectivités locales, des comptes sociaux, etc. – n’auraient pu être accomplis. Les banques en sont sans doute partiellement responsables mais les Etats aussi.

Pour répondre plus directement à votre question, non, ce n’est pas aux Etats de payer systématiquement pour les banques, mais on a vu ce que l’abandon de Lehman Brothers a provoqué aux Etats-Unis, et dans le monde, après le 15 septembre 2008. Si la France avait laissé tomber le Crédit Lyonnais quand il traversait une crise majeure, les répercussions auraient été dévastatrices.

Il faut regarder au cas par cas, ne pas dire « too big to fall » ou sauver automatiquement les banques. L’important est de mesurer les conséquences d’une faillite bancaire, et en cas de sauvetage, de mesurer le coût supporté par l’Etat, donc par les contribuables. Une chose doit rester présente à l’esprit : la dépendance mutuelle. Les Etats dépendent des banques, qui dépendent des Etats, lesquels, comme les banques, dépendent les un des autres !

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