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Rassemblement du FN et de ses alliés à Nice : les perdants de la mondialisation seront-ils bientôt les gagnants des européennes ?
©FREDERIC J. BROWN / AFP

Match retour

Dans son libre publié aux éditions du Cerf et titré "Le nouveau clivage", Jérôme Fourquet revient sur la séparation entre "gagnants" - ouverts - et "perdants" – fermés – de la mondialisation.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Vous venez de publier un essai aux éditions du Cerf intitulé "Le nouveau clivage". Quelle est la nature de ce nouveau clivage et comment expliquer son émergence ?

Jérôme Fourquet : Ce nouveau clivage peut se caractériser comme un clivage ouvert-fermé. Il oppose les groupes sociaux plutôt en accord avec la mondialisation (qui s'accommodent de l'ouverture des frontières, à la mondialisation économique et au développement des flux migratoires) à ceux plus hostiles et inquiets vis-à-vis des transformations profondes qu'ont connues toutes les sociétés occidentales depuis une trentaine années.

Nous sommes actuellement à un moment où ce nouveau clivage s'exprime avec de plus en plus de force. Cela même s'il n'est pas parvenu à effacer le clivage gauche-droite qui demeure vivace dans un pays comme la France qui l'a vu naître. C'est ce que j'essaie de démontrer et nous retrouvons cela aussi bien en France que dans les autres grandes démocraties occidentales. Ce qui nous laisse à penser que nous sommes face à quelque chose de structurant et profond.

Atlantico : La séparation entre "gagnants" - ouverts -  et "perdants" – fermés – de la mondialisation semble s'affirmer partout. Sur la couverture de votre livre, on trouve Donald Trump, Marine Le Pen, Boris Johnson et Sebastian Kurz. Pour illustrer le clivage, n'aurait-il pas été nécessaire de représenter les autres acteurs de ce clivage, Emmanuel Macron en tête – ou Justin Trudeau par exemple ? Ou cette mutation est-elle portée principalement par le camp des "perdants", provoquant un réajustement de leurs adversaires ?

Jérôme Fourquet : Il faut, en effet, tenir compte des deux aspects, des deux camps. Je ne pense pas que cet alignement idéologique et l'émergence de ce nouveau clivage soit uniquement porté par l'activisme et la dynamique électorale des camps des défenseurs de davantage de protection. L'émergence de ce nouveau clivage, c'est aussi, et la France l'a montré spectaculairement une force politique nouvelle qui incarne le camp du "oui", celui de l'ouverture. En France, c'est passé par la constitution d'un vaste mouvement central autour d'Emmanuel Macron. On bien là une illustration du fait que ce sont bien les deux pôles du clivage qui se sont affirmés ces dernières années. Du coup, effectivement, nous aurions pu faire figurer sur la couverture différentes personnalités, mais l'éditeur a fait un choix sur ce point.

Historiquement, je date l'émergence de ce débat en 1992 avec la France du Oui et la France du Non, puis le référendum de 2005 et entre temps la montée du Front National. Si on reste à la logique référendaire, cela s'est d'abord passé dans le camp du non. Mais la nouveauté de 2017 pour la France, c'est qu'on a l'offre proposée par Emmanuel Macron qui a pour la première fois synthétisé et coagulé les différents courants qui ont donné naissance à ce pôle "libéral progressiste", un peu à la sauce Trudeau au Canada. Il y a donc peut-être une antériorité du point de vue du Front National. Et encore, on a pu voir au second tour de l'élection présidentielle que le Front National n'arrivait pas à convaincre toutes cette France du Non.

C'est donc d'abord venu, historiquement, du Front National, et on a maintenant l'avènement d'un anti-modèle concurrent qui est La République En Marche. C'est plus récent mais tout à fait spectaculaire.

Au cœur de ce nouveau clivage, on retrouve bien entendu la question européenne. Le 1er mai, Marine Le Pen rassemblera une grande partie de sa famille politique européenne à Nice, lieu hautement symbolique. Le combat contre l'Union européenne de diverses mouvances populistes et d'extrême-droite connait un succès certain depuis quelques années. Est-il celui qui cristallise le mieux en Europe ce nouveau clivage ? Quelle place, a contrario, garde le clivage gauche-droite ?

Oui, tout à fait. La montée en puissance de ce nouveau clivage n'a pas fait encore disparaitre le clivage gauche-droite. On l'a vu très clairement lors de la présidentielle avec deux tenants de cet ancien clivage, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon qui font 20% des voix chacun, et qui sont proches, en termes de scores, des deux finalistes. Le nouveau clivage n'a donc pas complètement éradiqué l'ancien, notamment sur les scrutins de type présidentiels.

En revanche, c'est bien lors d'élections de type référendaire – car on est sur un choix binaire - ou sur des scrutins comme les européennes que ce nouveau clivage s'affirme avec sa plus grande netteté et pureté. Ce nouveau clivage, on l'a vu, traverse les familles politiques traditionnelles, même si ces dernières font de la résistance. Et donc il ne s'exprime pas encore purement lors des scrutins nationaux ou des législatives.

En revanche, au niveau européen, on devrait avoir une lecture limpide de ce nouveau clivage, avec d'un côté un pôle défendant les perdants et ceux qui sont inquiets de ce nouvel ordre, qui comportera en France la France Insoumise et le Front National, et de l'autre côté, les partisans de la construction européenne, de l'ouverture et du fédéralisme autour d'Emmanuel Macron, mais ces derniers s'étant depuis longtemps exprimés à travers les listes de Bayrou, du Parti Socialiste, des écologistes, de la droite etc. La grande nouveauté à laquelle on va assister manifestement l'année prochaine est que le parti d'Emmanuel Macron présentera une liste, et que cette liste rassemblera, pour faire court, de Manuel Valls et Le Drian jusqu'à Alain Juppé en passant par Nicolas Hulot, Bayrou et Borloo. On aura pour la première fois une liste clairement pro-européenne qui mêlera en son sein des gens qui viennent de partis politiques autrefois divisées et qui se rassemble autour des idées définies par ce nouveau cadre.

Le clivage gauche-droite est donc plus facilement relégué dans le cadre des européennes. C'était déjà le cas par le passé, mais cela devrait être encore plus claire en France du fait de la capacité d'agrégation des anciennes forces pro-européenne d'Emmanuel Macron et de La République En Marche. Là où avant, ces anciens partis étaient confinés à leurs habitudes et au clivage traditionnel de par l'inexistence de cette synthèse, cette dernière devrait être particulièrement évidente lors de la prochaine élection.

En France, on a donc d'un côté le Front National, qui attire les oubliés de la mondialisation (territoires ruraux, ouvriers), alors qu'Emmanuel Macron attire davantage les Français inclus dans la mondialisation. Pensez-vous que les prochaines élections se joueront de nouveau essentiellement entre ces deux forces politiques ?

Comme nous l'avons dit, ce nouveau clivage prend de plus en plus d'importance et de force, mais n'a pas totalement supplanter l'ancien clivage. Cela se traduit de manière concrète sur l'échiquier politique avec la constitution d'un vaste bloc central autour de la figure d'Emmanuel Macron (qui va du centre-gauche de Manuel Valls jusqu'aux amis d'Alain Juppé). C'est inédit. Des alliances ont été possibles avec des gens qui venaient des deux rives.

Le Front National de son côté continue d'être puissant malgré les difficultés d'image de sa leader Marine Le Pen. Bien sûr, ces forces majeures n'occupent pas l'intégralité de l'échiquier politique. Parti socialiste, France Insoumise et Républicains continuent d'exister. Toute la question est de savoir si ces forces seront suffisamment puissantes pour pouvoir se qualifier en finale aux prochaines élections. C'est toute la différence de 2017 avec les années précédentes. Pour la première fois, deux représentants de ce nouveau clivage se sont hissés au second tour.

Ce clivage va continuer de prendre de l'importance. L'avènement d'Emmanuel Macron a enclenché un processus de recomposition politique de grande ampleur que les prochains scrutins confirmeront. Ce sera le cas, je pense à l'occasion des Européennes où la matérialisation de ce bloc central prendra toute son ampleur.

Finalement, la raison pour laquelle Emmanuel Macron a réussi, contrairement à Norbert Hofer, par exemple, n'est-ce pas parce qu'il aurait assumé toutes ces nouvelles lignes de fracture que vous décrivez ?

Le principal tour de force d'Emmanuel Macron, c'est d'être arrivé en tête du premier tour. À partir du moment où il était qualifié face à Marine le Pen, le plus dur était fait. Il a été ensuite le représentant de l'opposition coalisée à Marine Le Pen. Et cette opposition est encore largement majoritaire. Être en tête n'allait pas de soi pour quelqu'un de nouveau dans le paysage politique et qui ne s'appuyait pas sur des forces constituées. Il a su s'appuyer sur des forces sociales, qui se retrouvaient dans sa volonté de transformer le pays dans son modèle économique et social et dans sa ligne très pro européenne. L'euroscepticisme était très présent parmi les candidats. Emmanuel Macron était le représentant des européistes.

La construction de ce bloc était une première étape de cette recomposition politique. On constate aujourd'hui dans les enquêtes d'opinion qu'en raison de l'agenda de réforme qui est mené (SNCF, code du travail, réforme de l'université…) il se dessine une coloration plutôt droitière de l'action gouvernementale. Cela permet le ralliement d'électeurs qui, jusqu'alors, n'avaient pas voté pour lui. Mais à ce processus d'élargissement répond un fossé grandissant entre ce nouveau pouvoir et ce que Jean-Pierre Raffarin appelait : "la France d'en bas".

Car nous constatons également dans nos enquêtes que les catégories populaires qui ne se reconnaissent pas en Emmanuel Macron se reconnaissent encore moins aujourd'hui. En claire, Emmanuel Macron rallie autant qu'il divise. La fracture entre les deux France se fait de plus en plus profonde.

Votre essai montre comment s'est creusée une fracture éducative dans les sociétés occidentales. La victoire du président français traduit aussi l’opposition entre diplômés et moins diplômés. Peut-on faire un parallèle avec la crise que traversent nos universités actuellement ? En est-elle un nouveau signal fort ?

On voit effectivement dans toutes les enquêtes réalisées en France ou à l'étranger que le critère du capital éducatif, du niveau de diplôme est une variable de plus en plus déterminante pour comprendre les comportements électoraux.

Pour faire simple, si l'on prend l'exemple des Etats-Unis et de l'Angleterre, les catégories les plus diplômées ont voté pour Clinton et contre le Brexit. Les moins diplômés eux, ont voté pour Donald Trump et pour le Brexit. Cela s'est également illustré en France avec le second tour des dernières élections présidentielles où les plus diplômés votaient Emmanuel Macron et les moins diplômés Marine le Pen.

Cette variable éducative est devenue d'autant plus importante dans une économie globalisée comme la nôtre, où la détention d'un capital culturel important est une ressource précieuse pour pouvoir s'adapter et se mouvoir dans la société telle qu'elle évolue.

Pour reprendre les travaux d'Emanuel Todd, nous pourrions avancer l'idée que nos sociétés occidentales sont stratifiées selon le niveau de réussite éducative. Avec une part de la population diplômée du supérieur, une part centrale diplômée au niveau du bac ou un peu plus et puis une dernière moins diplômée.

Tout le monde a conscience du poids de plus en plus déterminant de l'obtention d'un diplôme pour réussir sur le marché du travail. La course au diplôme est plus déterminante que jamais. C'est ce qui explique en partie les tensions actuelles observées dans certaines universités.

Après plusieurs décennies de démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, il s'opère une forme de stagnation de cette démocratisation.

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