Rapport sur les flux migratoires : pourquoi les chiffres de l’Insee sont à prendre avec des pincettes<!-- --> | Atlantico.fr
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Des migrants débarquant sur une plage grecque.
Des migrants débarquant sur une plage grecque.
©Reuters

Par ici la sortie

L'Insee a publié mardi 13 octobre son rapport sur l'immigration. D'après ce dernier, il s'avère que les sorties (d'immigrants ou de nationaux) augmentent, provoquant une baisse du solde migratoire. Des chiffres qu'il convient néanmoins de nuancer, en raison de leur caractère non-exhaustif.

Atlantico : L'Insee publiait ce mardi 13 octobre son rapport sur l'immigration. A en croire les chiffres présentés, on assiste à une baisse du solde migratoire, dans la mesure où les entrées restent stables et les sorties augmentent. Au vu et au su de la nouvelle façon de procéder de l'Insee, quel crédit peut-on accorder à ces chiffres ?

Laurent Chalard : Les chiffres de l’Insee reposent essentiellement sur les données du recensement de la population, puisqu’il n’existe pas en France d’enregistrement statistique systématique des entrées et des sorties du territoire, aussi bien pour les nationaux que pour les étrangers. Or, les dernières enquêtes de recensement réalisées par l’Insee témoigneraient d’une moindre croissance démographique de la France, qui serait indirectement l’indicateur d’une baisse de l’excédent migratoire de notre pays. En effet, il existe seulement deux facteurs d’évolution de la population d’un territoire : le solde naturel (les naissances moins les décès) et le solde migratoire (les entrées moins les sorties). Or, le solde naturel étant bien connu et relativement stable sur la période récente, par déduction, la baisse de la croissance démographique française ne peut s’expliquer que par la réduction du croît migratoire, qui ne serait plus que de + 33 000 personnes pour l’année 2013 sur la France entière. Comme les entrées légales sur notre territoire restent stables, l’Insee en déduit donc que les sorties, d’étrangers et de nationaux, ont dû fortement augmenter. Cependant, du fait que le solde migratoire soit calculé par déduction, reposant sur des enquêtes de recensement dont la fiabilité est plus que douteuse, comme je l’ai montré dans différents articles depuis plusieurs années, le crédit à accorder au solde migratoire affiché par l’Insee n’est malheureusement que très faible. En effet, le ralentissement de la croissance démographique récente peut s’expliquer simplement par la moindre qualité des données des dernières enquêtes de recensement de l’Insee !

Dans quelle mesure le constat que fait l'Insee aujourd'hui peut-il être motivé par une dimension politique ou idéologique ? Y'a-t-il déjà eu des précédents concernant une analyse partisane des chiffres ?

L’Insee est un organisme traditionnellement très proche du parti socialiste, ce qui sous-entend que ses dirigeants ont tendance à coller à l’idéologie dominante au sein de ce parti politique. En l’occurrence, concernant l’immigration, les socialistes ont jusqu’ici toujours préféré nier le réel, en essayant de mettre en avant les éléments statistiques permettant de minimiser l’ampleur des flux migratoires en France. En conséquence, plutôt que de s’interroger sur l’éventuelle dégradation des données de la nouvelle méthode de recensement, qui pourrait expliquer le ralentissement démographique constaté, les chercheurs de l’Insee préfèrent prendre pour argent comptant des données qui permettent de montrer que l’immigration est moins importante que par le passé. C’est une manœuvre purement idéologique, dont l’Insee est coutumier du fait.

En effet, dans les années 1980, suite à l’arrivée dans le paysage politique du Front National de Jean-Marie Le Pen, François Mitterrand avait fait pression pour que l’Insee affiche un solde migratoire de la France nul pendant quelques années. C’est seulement suite au recensement de 1990, qui avait trouvé beaucoup plus d’habitants que prévu, que l’Insee s’est vu obligé de réviser très fortement à la hausse ce solde pour les années 1980.

De même, en 1999, le recensement ayant été de moins bonne qualité que celui de 1990, la population recensée a été moindre de 500 000 personnes par rapport à ce que l’Insee avait prévu, ce qui sous-entendait un solde migratoire quasiment nul sur la décennie 1990, ce que l’Insee s’est empressé d’affirmer bien que tous les autres indicateurs témoignaient du contraire. Pour cela, un des statisticiens de l’Insee a produit une étude qui tentait de démontrer que le très faible excédent migratoire apparent issu du recensement de 1999 était véridique et s’expliquait par une forte augmentation des départs vers l’étranger, argument de nouveau utilisé par l’Insee aujourd’hui. Manifestement, ce dernier recycle les bonnes vieilles méthodes. 

Cette politique de minimisation des flux migratoires en France de la part de l’Insee vise en théorie à contrer la progression du Front National, mais dans les faits, cette stratégie apparaît complètement contre-productive, ayant l’effet contraire, puisque les français ont l’impression d’être pris pour des imbéciles. Plus globalement, il semble que nos dirigeants n’ont toujours pas compris que la question de l’immigration ne peut se traiter de manière dépassionnée qu’en affichant des données statistiques fiables, minimiser les flux ne faisant que renforcer l’extrême-droite. Tant que nous n’aurons pas de données de qualité sur le solde migratoire de la France, tout le monde pourra continuer de raconter n’importe quoi en fonction de ses opinions politiques, certains ayant intérêt à exagérer l’ampleur des flux migratoires et d’autres à les minimiser.


Comment peut-on recueillir scientifiquement ces données et permettre un recensement représentatif de la population en France ? 

Le meilleur moyen pour connaître les flux migratoires et la population d’un pays de manière précise est l’instauration de registres de population. Le principe est assez simple. Chaque habitant doit déclarer à sa municipalité de résidence son déménagement, ce qui permet de connaître précisément chaque année les flux de population sur le territoire. Si les données ont tendance à légèrement surestimer la population à long terme, du fait qu’un certain nombre de personnes oublient de signaler leur déménagement lorsqu’ils quittent le territoire national, il n’en demeure pas moins que les données sont plus fiables, étant donné leur caractère exhaustif, qu’un recensement par sondage, tel que l’Insee le pratique actuellement. Les registres de population existant déjà dans de nombreux pays d’Europe, aussi bien au nord (pays scandinaves, Benelux, Allemagne) qu’au sud (Espagne), on ne voit donc pas pourquoi il serait impossible de les mettre en place en France… 

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