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Depuis la crise, le pouvoir d’achat des ménages a tendance à diminuer pour toutes les catégories de la population.
Depuis la crise, le pouvoir d’achat des ménages a tendance à diminuer pour toutes les catégories de la population.
©Reuters

De plus en plus pauvre

Dans les pays de l'OCDE, les inégalités de revenus se sont davantage creusées sur les trois années allant de 2008 à la fin de 2010 que pendant les douze années précédentes, selon un rapport de l'OCDE publié au mois de mai.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Dans les pays de l'OCDE, les inégalités de revenus se sont davantage accrues sur les trois années allant de 2008 à la fin de 2010 que pendant les douze années précédentes (lire le rapport de l'OCDE ici). Comment les inégalités de revenus ont évolué en France depuis le début de la crise économique ? Pourquoi ? Qui fait "les frais" de la crise ?

Philippe Crevel :La France n’a pas, à la différence des autres pays de l’OCDE, connu de forte montée des inégalités ces dernières années. Le rapport entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches est resté constant. Il a été simplement constaté, avant la crise, une progression de l’écart entre les 0,01 % les plus riches et le reste de la population. Le rapport indécile (rapport entre du niveau de vie des 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres) est de 3,5. Il est un des plus faibles de l’OCDE. Ce ratio était de 4,5 dans les années 1970 ; il était tombé à 3,3 dans les années 2000. Avant la crise de 2009, les revenus des Français des 10 % les plus pauvres progressaient plus lentement que ceux des 10 % les plus riches du fait la progression des revenus du patrimoine. La crise a modifié la donne. Elle a renforcé la fragilité des Français les plus modestes qui dépendent de plus en plus des prestations sociales et a érodé, en partie, les revenus du patrimoine des Français les plus aisés.

Il n’en demeure pas moins que le taux de pauvreté monétaire qui baissait depuis des années a progressé en 2010 pour atteindre 14,1 %. Il était de 13 % en 2008 avant la crise. En 2010, le niveau de vie médian des Français vivant dans un ménage est de 19 270 euros annuels. Les 10 % les plus modestes ont un niveau de vie inférieure à 10 430 euros annuels ; les 10 % les plus aisés disposent de 36 270 euros annuels. En 2010, le niveau de vie médian, en France, a diminué de 0,5 %. La baisse a été plus prononcée pour les déciles les plus modestes (entre -1,3 à -1,6 % pour les trois premiers déciles).  En 2012, une nouvelle baisse a été enregistrée de près d’un point.

Depuis la crise, le pouvoir d’achat des ménages a tendance à diminuer. Pour toutes les catégories de la population. Jusqu’en 2012, seuls les 5 % les plus aisés échappaient à cette diminution. Avec l’augmentation des prélèvements et en particulier de l’ISF, cette dégradation devrait être générale cette année. Les classes moyennes se sentent pénalisées car elles supportent les majorations d’impôt et ne bénéficient que faiblement des prestations sociales. Les classes moyennes sont, en particulier, confrontées au renchérissement du coût du logement dont le poids s’est accru depuis vingt ans.

La récession en cours frappe donc toute la population à la différence de celle de 2009 qui avait touché les catégories les plus modestes. En 2009, la crise avait été violente mais courte avec un retour rapide de la croissance permettant d’effacer les stigmates de la récession. En revanche, la crise entamée en 2012 devrait durer plus longtemps et avoir des effets plus importants. Par ailleurs, les pouvoirs publics ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre qu’en 2009 pour en atténuer les effets.

Outre les revenus, quels autres indicateurs faut-il prendre en compte pour mesurer l'évolution des inégalités ? Comment ces autres indicateurs ont-ils évolué et pourquoi ?

Pour mesurer les inégalités, il faut prendre en compte à la fois les revenus professionnels, les revenus de remplacement (prestations sociales) et les revenus tirés du patrimoine. Ainsi, sans prendre en compte, les prestations sociales, l’écart entre les plus riches et les plus modestes est de 1 à 7. Avec les prestations, le ratio est divisé par deux.

Le patrimoine du fait de sa concentration renforce les inégalités. Il est essentiellement détenu par les 10 % les plus aisés et par ceux qui ont plus de 50 ans. En 2010, le patrimoine net moyen des Français était de 229 300 euros mais le patrimoine médian était de 113 500 euros (la moitié des Français possède un patrimoine inférieur à ce montant). Les 10 % des ménages les plus modestes disposent moins de 1600 euros contre plus de 501 600 euros pour les 10 % les plus riches. Les revenus du patrimoine fournissent 9 % des revenus des ménages les plus aisés contre moins de 3 % pour le reste de la population. Avec la crise, les revenus du patrimoine ont diminué pour tous les Français sauf pour les 0,01 % des ménages les plus aisés. Cette différence s’explique par le fait que les plus aisés disposent de nombreuses sources de revenus permettant de limiter l’impact des crises. C’est l’application de la règle de diversification.

Comment la situation de la France a évolué par rapport à celle de ses partenaires européens ? Le système français est-il ainsi efficient ou déficient dans sa mission redistributive ? Parvient-il à réduire les inégalités de manière efficace ? 

Selon une étude de l’OCDE du mois de mai 2013, l’inégalité du revenu marchand a augmenté d’au moins un point de pourcentage dans 18 pays entre 2007 et 2010. Ce sont les pays les plus durement frappés par la crise qui ont enregistré les plus fortes hausses. Cette progression repose sur de fortes baisses du revenu marchand moyen comme en Irlande, en Espagne, en Estonie, au Japon, en Grèce, mais aussi en  France et en Slovénie. En revanche, l’inégalité du revenu marchand a diminué en Pologne et également aux Pays-Bas. La chute du PIB par habitant conduit à l’appauvrissement croissant de notre population. Les prestations sociales tentent de compenser cette dégradation mais nous arrivons au bout de cette logique. En effet, nous atteignons un maximum jugé par de nombreuses instances internationales comme contreproductif. Le système d’Etat providence français joue, certes, un rôle important d’amortisseur social mais sans pouvoir réellement traiter le fond du problème. Les prestations sociales représentent environ un tiers du PIB. Elles assurent près de 40 % des revenus des 10 % des ménages les plus modestes. Depuis le début de la crise, elles ont permis de réduire de deux tiers la perte de pouvoir d’achat de ces ménages. Mais, aujourd’hui, la correction des inégalités ne peut venir que de la création d’emplois et donc de la croissance. Le traitement social de la crise n’est possible que sur courte durée ; il ne peut se substituer au traitement économique car il amène tout droit le pays à la faillite.

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