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Bientôt des journalistes
rémunérés au clic ?
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Zone franche

USA Today, un grand quotidien américain veut lier partiellement la rémunération de ses journalistes à la popularité de leurs articles sur le Web. C’est bien ou c’est mal ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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USA Today a une place à part dans le paysage médiatique américain. Seul quotidien national généraliste (le Wall Street Journal est également diffusé dans tout le pays mais reste assez peu lu par la housewife de moins de 50 ans), il est à l’info de qualité ce qu’un déjeuner chez McDonalds est à la gastronomie : pas franchement mauvais, pas vraiment nourrissant, pas réellement désagréable, mais ne lire que ça ne serait pas idéal pour un bon régime neuronal.

Sur le Web, où il transpose avec efficacité son mix de nouvelles brèves, de cartes météo et d’infographies colorées, il est manifestement resté un leader même s’il ne passe pas pour très avant-gardiste au plan technologique.

Bah, la techno, c’est une chose, le business, c’en est une autre. Et un canard qui réussit encore, alors que l’Amérique se réveille chaque matin avec un quotidien en moins, à vendre ses 1,8 million d’exemplaires de New York à Los Angeles doit bien avoir quelques idées en magasin pour ne pas se laisser distancer sur la Toile.

La dernière en date : offrir des primes aux journalistes dont les articles sont les plus cliqués. Ça n’a l’air de rien, mais lorsqu’une partie de la rémunération d’un rédacteur passe par sa popularité auprès des lecteurs, c’est une véritable révolution dans la manière d’appréhender le métier. Et sans doute l'annonce d’un sacré malaise entre commentateurs sportifs et analystes de politique internationale.

Bon, de la politique internationale, c’est vrai, il n’y en a pas beaucoup dans USA Today. Ou alors à peine plus que de la chronique littéraire ou de la science fondamentale. Ce n’est pas une critique, juste une observation. On a déjà fait l’analogie : lorsqu’on va au fast food, c’est pour avaler un truc rapide entre deux rendez-vous, pas pour être initié aux nouvelles saveurs de la cuisine moléculaire.

« Paris Hilton nue »

N’empêche, qu’est-ce que ça veut dire pour la nature du travail de journaliste si, plutôt que de réfléchir à l’élaboration d’une info de qualité, on est censé se préoccuper de maximiser l’audience en pensant à son bonus de fin d’année comme le premier trader venu ? Va-t-on nécessairement tirer l’info vers le bas ? Ne plus parler que de ce qui fait le buzz en truffant ses papiers de « Paris Hilton nue », « sexe torride sur la plage », « Tom Cruise scientologue » à propos de tout et de rien pour faire frémir Google ? Hum, on peut être tenté de le faire.

Les vendeurs de prêts « subprime », en tout cas, ne se sont pas privés de financer n'importe quoi auprès de n'importe qui pour le toucher, leur bonus de fin d'exercice...

D’un autre côté, donner ce qu’il veut au lecteur, est-ce si affreux que ça ? Si « Paris Hilton nue » génère de la page vue (et j’espère d’ailleurs que ce papier-ci va cartonner, avec toutes ces occurrences alléchantes de l’héritière hôtelière en tenue d'Ève), c’est que la demande est là. On connaît le paradoxe de ces sondages où les téléspectateurs affirment ne regarder que de l’opéra sur Arte mais se font régulièrement coincer devant les émissions de variétoches sur TF1.

Le Web, de toute manière, est le royaume de « la longue traine ». Ce qui veut dire que même si vous préférez vous concentrer sur des sujets plus difficiles que, disons, « Paris Hilton nue » (j’ai bien vu qu’il vous plaisait, mon exemple) comme, voyons voir, « la baisse de rentabilité de l’Hôtel Hilton de Paris depuis la cession de son foncier en nue propriété », vous aurez toujours la visite de ceux qui s’intéressent à ce genre de choses et, qui, s’ils sont moins nombreux que les autres, attirent une race différente d’annonceurs publicitaires et restent rentables (c’est ce que l’on appelle une « audience qualifiée »).

N’empêche, et même si la direction de USA Today se refuse encore à confirmer que la décision a été prise, on imagine qu’elle finira bien par l’être à un moment ou à un autre et que ce système deviendra un jour la norme.

L'audience, l'audience, l'audience

Tous les journaux présents sur le Web qu’ils soient de « pure players » comme Atlantico (sans version papier) ou la déclinaison de titres papiers (liberation.fr, lefigaro.fr…), cherchent à accroître leur audience. Financés par la seule publicité comme les radios et les télés non-cryptées avant eux, ils n’ont pas d’autre choix, même s’ils n’avouent pas toujours cette évidence aussi crument – question de standing (« Quoi, nous, travailler pour de l’argent ! Quelle terrible insulte ! »). Même USA Today, qui n’a normalement pas ces pudeurs de jeunes filles (de Paris Hilton nue ?), explique que cette initiative permettrait surtout de stimuler l’intérêt de journalistes venus de la galaxie Gutenberg pour le Web : « The goal, obviously, is to get writers thinking digital ».

Hum, bullshit ! (excrément de bovin), est-on tenté de répliquer.

En tout état de cause, et quel que soit le sentiment que l’on porte a priori sur ces nouvelles stratégies, il faudra attendre qu’elles se généralisent pour décider si oui ou non elles posent problème. Bref, si elles tirent l’info vers le bas ou pas. Dans l’intervalle, vous pouvez toujours réactualiser plusieurs fois la page que vous êtes en train de lire et la partager sur Facebook et Twitter. Atlantico ne rémunère pas ses journalistes au clic (pas encore ?) mais au cas où, ça m’arrangerait d’être sur le podium…

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