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Quitter l'Afghanistan,
une promesse intenable
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Vœu pieux

Les candidats ne cessent de le promettre : nous allons très vite quitter l'Afghanistan. Ce retrait ne dépend pourtant pas que de la bonne volonté du président : encore faut-il se coordonner avec nos alliés et partenaires. Sur fond de retour en force des talibans, les Français cherchent désespérément la porte de sortie.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Dimanche, une série de six attaques coordonnées ont frappé des lieux stratégiques en Afghanistan, aussi bien dans la capitale que dans le reste du pays. Les militaires étrangers ont salué la capacité de réaction des forces de sécurité afghanes. Ces dernières ont-elles fait la preuve de leur capacité à prendre la relève de l'OTAN ?

Emmanuel Dupuy : L'offensive du printemps était attendue. Chaque année est marquée, hélas, par de sanglantes attaques concomitantes dans Kaboul et dans le reste du pays. Cette année, c'est son ampleur et le mode opératoire : un commando de cinq à six insurgés prend possession d’un bâtiment en construction, à proximité d’une cible stratégique : c’est le même mode opératoire utilisé en septembre dernier, quand un commando avait pris pour cible le quartier général de la Force Internationale d'Assistance et de Sécurité (FIAS) et l’Ambassade américaine.

C’est ce qui a surpris et pris à défaut les services de renseignement et les forces de sécurité afghanes (Afghan National Security Forces, ANSF). Les cibles étaient toutes des lieux stratégiques de Kaboul (le Parlement, les ambassades britanniques et allemandes, l'Académie militaire, le camp militaire de Warehouse - où sont stationnés plusieurs centaines de nos soldats) mais aussi les provinces du Logar, de Paktia et du Nangahar.

Peu de victimes sont néanmoins à déplorer. Seulement onze policiers afghans et quatre civils ont été tués et un peu moins de 80 civils et policiers ont été blessés. A Kaboul, six policiers ont péri durant l'assaut mené pour déloger les 37 assaillants (un seul a été capturé vivant), armés de lances roquettes RPG, AK-47 et bombes dont quelques-unes ont été activées par leur porteurs.

La particularité, en cette deuxième année de transition, à l'horizon du retrait des forces combattantes occidentales d'ici 2014, réside dans le fait que ce sont les forces de sécurité afghanes, en premier lieu desquels les forces spéciales de la police (Afghan Response Crisis Unit) qui ont mené l'assaut.

Certes, la FIAS aura largement contribué à la victoire des forces de sécurité afghanes, au bout de 16 heures de combats, par le truchement de deux hélicoptères Blackhawks et des éléments des forces spéciales, notamment norvégiennes et américaines. Mais de l’avis de nombreux analystes militaires sur place, le bilan confirme que le niveau de préparation et d’entraînement des ANSF est désormais efficace aussi dans les combats réels.

Vus la capacité des talibans à continuer le combat et le discours de plus en plus courant qu'ils sont un acteur incontournable de la future stabilité du pays, pourquoi continuer les opérations en Afghanistan ? Pourquoi ne pas tout simplement quitter le pays maintenant ?

Ce qui frappe encore une fois, c’est la concomitance entre ce qui s’est passé hier en Afghanistan et l’avant-veille au Pakistan, où près de 400 prisonniers détenus dans les zones tribales du Nord-Ouest du pays ont été libéré par les talibans, témoignant ainsi de l’évidente liaison entre les agendas « Afpak » et la prise en compte du caractère insurrectionnel également prégnant au Pakistan, dont la prise en compte en même temps que la contre- insurrection et le contre-terrorisme afghan, est un préalable à toute stabilisation durable dans la région.

Les attaques d’hier ont été, du reste, promptement revendiqués moins par les talibans eux-mêmes, avec qui des discussions sont en cours tant avec les Américains, à Doha au Qatar, qu’avec les émissaires du président afghan Hamid Karzai, mais par le réseau terroriste et transfrontalier Haqqani, soucieux de démontrer son autonomie d’action et marquer ses exigences dans les futurs pourparlers d’après la transition sécuritaire et politique vis-à-vis des autorités afghanes à la fin de l’année 2014.

Il y a bien évidemment les raisons les plus évidentes pour ne pas partir sous la contrainte d’attentats qui se feront de toute manière inexorablement plus pressants à mesure que la conjonction et la proximité du retrait des troupes étrangères, des élections de 2014 (Présidentielle) et celles de 2015 (Législatives) se profilera. Il s’agira pour les insurgés (Talibans, membres du réseau Haqqani, partisans du Hezb-e-Islami dirigé par Gulbuddin Hekmatyar, Mouvement islamique ouzbek) de faire monter les enchères, une fois les 130 000 soldats étrangers, issus de 49 nations, partis : les attentats d’hier démontrent que la guerre contre le terrorisme est loin d’être gagnée.

Il y a aussi les raisons sous-jacentes ; en premier lieu desquelles celles liés à l’instabilité du prochain scrutin, pour lequel le profil du successeur d’Hamid Karzai est loin d’être connu.

Il y a aussi l’inconnu pakistanaise caractérisée par un autisme des services de renseignement (ISI : Inter-Services Intelligence), une pression accrue des militaires sur le pouvoir politique afin que ce dernier se montre moins conciliants vis-à-vis de Washington et un tandem exécutif - autour du président Zardari et du Premier-ministre Gilani - de plus en plus affaibli politiquement.

Les incertitudes à Islamabad obligent à recaler aussi l’agenda occidental vis-à-vis de Kaboul en tenant compte de cette donnée en amont.

Il y a enfin, la réalité de la préparation des Afghans à la transition elle-même. Prévue en quatre tranches sur une période de quatre ans d’ici la fin 2014, des secteurs entiers (notamment au niveau judiciaire et des infrastructures, notamment hospitalières, éducatives et bien évidemment routières et ferroviaires) sont encore loin des critères habituellement reconnus comme préalables à la construction solide d’un Etat de droit.

Bref, il y a un risque certain à vouloir accélérer un rythme savamment et ardemment discuté entre l’OTAN, le gouvernement afghan, les gouverneurs des 34 provinces et les 364 gouverneurs de districts et les acteurs internationaux, en premier lieu desquels les Etats périphériques, que plusieurs accords stratégiques, dont un signé avec l’Inde, la France et bientôt les Etats-Unis confirment.

La date de 2014 ne doit ainsi pas être considéré comme la fin de dix années de stabilisation, mais l’étape intermédiaire qui devra mener l’Afghanistan, d’ici 2025, vers sa « transformation » en Etat stable d’Asie centrale, zone où l’intégration régionale a été relancée par le biais de l’Organisation de Coopération de Shanghai.

Les différents candidats à la présidentielle sont tous d'accords pour dire qu'il faut partir le plus tôt possible. Les propositions de calendriers varient de plus d'un an. Ne peut-on pas tout simplement retirer nos troupes ?

L’anticipation du retrait d’ici septembre 2012 de notre contingent actuel de 3400 soldats, proclamé urbi et orbi par François Hollande est devenu un élément en creux du débat quant à la place de la France dans l’OTAN. A cet égard, il convient de rappeler quelques chiffres qui rendent logistiquement  irréaliste cette accélération d’un calendrier de retrait graduel initialement fixé à la fin 2013, en accord avec nos partenaires, par le Président de la République.

Il y aura 27 000 soldats de la FIAS qui devront rentrer chez eux d’ici la fin 2012. Nos soldats ne seront évidemment pas prioritaires, au regard de la participation tout autant active que la nôtre de nos partenaires dans et hors OTAN. Il ne saurait être question que la France obtienne de passer devant tout le monde ! Du reste, certains pays, dont les Etats-Unis et l’Allemagne devront aux-aussi tenir compte de leur propre agenda électoral en 2013.

Plus précisément, en ce qui concerne le dispositif français, ce sont 500 véhicules blindés, 318 conteneurs de munitions, 238 contenant des pièces détachés et 358 des marchandises diverses qu’il faudra rapatrier, via des routes encore peu sûres, à travers l’Asie centrale (vraisemblablement l’Ouzbékistan, bien que cette dernière ait récemment fait monter les enchères quant à l’ouverture de ses frontières liant cette dernière à un montant exorbitant de ses droits de douanes) puis la Russie. La voie des airs n’est pas forcément la meilleure solution non plus.

Les forces armées françaises n’ayant à leur disposition que deux Airbus 340 pour rapatrier ses soldats, devra inexorablement externaliser. A 35 000 euros l’heure de vol, via des Antonov, loués à des compagnies aériennes ukrainiennes, peu sûres, le retrait anticipé a également un coût exorbitant qui en enlèverait très certainement politiquement l’intérêt si le grand public s’y intéresserait.

Coller au calendrier de nos partenaires offre l’avantage significatif de traiter collectivement, donc à la baisse et en position de force les droits de passages avec les Ouzbeks, les Pakistanais, éventuellement les Turkmènes, seules échappatoires possibles du territoire afghan vers l’Océan indien et la base françaises d’Abu Dabi, au Sud, et Riga, en mer baltique au Nord.

J’ajouterai qu’aucun de ces pays n’a souhaité - pour l’instant - que transite sur son territoire du matériel de guerre (excluant donc les armes), d’où une complexité que la précipitation d’un retrait n’arrangerait guère !

Des éléments français ont déjà commencé à quitter l'Afghanistan. Où en est t-on du retrait ?

Nicolas Sarkozy, lors de son dernier déplacement en Afghanistan, en juillet dernier avait indiqué qu’il fallait savoir terminer une guerre. Le processus Inteqal - signifiant transition tant en dari qu’en pashtoun -  ce sont ainsi 45 millions d’euros engagés depuis janvier-février 2010 à travers l’annonce d’un calendrier de transition « concerté » entre le Gouvernement afghan, la FIAS et les Gouverneurs des 34 provinces et des 364 districts, en quatre tranches (6 mois) jusqu’à la fin 2014.

La France et ses 3400 soldats, dont plus de 1600 sont situés dans la province de Kapisa et le district de Surobi est plutôt concernée par les tranche 2 et 3, eu égard à ses responsabilités en terme de sécurisation de la Surobi (prévue pour la tranche 2 soit en décembre 2012). La Kapisa serait prévue en tranche 3 (soit approximativement six mois plus tard), mettant en exergue .l’importance du concept de « bulle sécuritaire » autour de Kaboul ainsi que le rôle prégnant de la « sécurisation » de la MSR Vermont - permettant de contourner Kaboul par l’Est et relier Bagram et au-delà Mazar-e-Sharif, ainsi que la HW 7, route reliant Kaboul à Djalallabab, corridor vers le Pakistan, qui reste un enjeu majeur tant géopolitique que géo-économique.

Nonobstant ce calendrier, il convient de se rappeler que comme en Irak, des forces vont cependant rester en appui des soldats afghans, pour les accompagner dans le processus de transition et en appui pour la formation des 350 000 membres des forces de sécurité afghanes, objectif fixé à terme pour le partenariat en matière d’entrainement, d’assistance et d’équipement tant des forces armées (ANA) que de la police (ANP). C’est du reste, un des éléments les plus concrets et pérennes du partenariat stratégique signé entre la France et l’Afghanistan, le 27 janvier dernier à l’occasion de la venue en France du président Karzai.

Le Discours du président Obama prononcé le 22 juin dernier a validé le départ progressif de 33 000 soldats américains d’ici septembre 2012. Par soucis d’équilibre, la France a décidé d’un retrait d’un 1/3 de nos troupes d’ici septembre 2012, puis le deuxième tiers approximativement six mois plus tard pour s’achever fin 2013. Les premiers 194 soldats français sont rentrés le 19 octobre 2011.

Une dernière rotation d’une compagnie d’approximativement 200 Operational Mentoring and Liaison Team (OMLT), est revenue il y a quelques semaines de Surobi (en phase finale de  transition) où ils avaient pour missions d’entraîner les forces armées afghanes (ANA) ; celles-là même dans lesquelles s’étaient infiltrés des insurgés qui ont tués cinq de nos soldats en janvier dernier.

Ils ne seront pas relevés. Leur retour définitif initie ainsi le cycle progressif du repli français.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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