Quitte à payer 4 milliards d'euros d'amende à Bruxelles, comment faire du budget 2015 un VRAI budget de croissance<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre des Finances Michel Sapin doit soumettre le projet de budget 2015 français à la Commission européenne.
Le ministre des Finances Michel Sapin doit soumettre le projet de budget 2015 français à la Commission européenne.
©Reuters

On y croit !

L’examen du budget 2015 débute ce lundi 13 octobre à l'Assemblée nationale et se poursuivra à la Commission européenne le mercredi 15. Sans tomber dans la gabegie et sans repousser pour autant les réformes nécessaires, Atlantico propose un tour d'horizon des leviers encore disponibles pour relancer la croissance française.

Jacques Delpla

Jacques Delpla

Jacques Delpla est économiste, professeur associé à l'université de Toulouse. 

Il est l'auteur de Le partage des fruits de la croissance (La documentation française, 2009), et La fin des privilèges : payer pour réformer (Hachette Littérature 2007).

 

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Le 15 octobre la France doit soumettre son projet de budget 2015 à la Commission européenne. Un budget qui ne permettra pas à la France de tenir ses engagements vis-à-vis du Pacte de stabilité. Ainsi, avant même le vote du projet de loi de finances par le Parlement français, l'Europe pourrait condamner la France à payer une amende de 0,2% au moins de son PIB, soit plus de 4 milliards d'euros. Est-il réaliste d'imaginer que la France parvienne à répondre aux exigences de Bruxelles, en réalisant par exemple les 8 milliards d'économies supplémentaires suggérés par la Commission ?

Jacques Bichot : La solution existe, et elle est très simple : augmenter la TVA. Passer de 20 à 21 % sur le taux normal rapporterait environ 6,5 milliards, et on obtiendrait facilement 1,5 milliard de plus en réalisant des augmentations analogues sur les taux privilégiés. Je ne vois pas d’autre solution pour arriver très vite au résultat voulu par Bruxelles. De plus, l’effet serait favorable sur notre balance commerciale : la TVA est protectionniste.

Jacques Delpla : Le gouvernement français a raison de laisser filer les déficits publics en 2014 et 2015, je l’applaudis - comme le fait le FMI. La raison est bancaire : depuis fin 2012, la zone euro s’est engagée, heureusement, dans la construction de l’Union Bancaire, qui doit éviter la répétition de crises bancaires comme en 2008. Un nouveau régulateur bancaire européen unique (le SSM) commencera à opérer le 4 novembre prochain. Auparavant, la BCE a passé les bilans des banques européennes à la paille de fer depuis 12 mois.  C’est une très bonne nouvelle à moyen terme : cela force les banques à reconnaître leurs pertes et à se recapitaliser. Mais, cela a et a eu des effets récessifs et déflationnistes en 2013 et 2014 : les banques pour paraître plus belles et plus présentables ont beaucoup réduit leurs prêts. Au niveau agrégé de la zone euro, cela a engendré une contradiction du crédit : donc moins d’activité et de la déflation (ce que nous voyons depuis le Printemps 2014). Bref, un cas typique de deleveraging (baisse de l’endettement) trop rapide avec déflation par la dette. Dans cet environnement, resserrer les déficits publics eût ajouté de la récession inutile à la récession. Alors que les banques se deleveragent, il est de bonne politique que le Gouvernement français ne fasse pas pareil, pour éviter récession et déflation. Normalement, ce deleveraging des banques devrait se terminer fin 2014. Pour 2015, la quasi-récession de 2014 va peser sur les rentrées fiscales, donc une stabilité du déficit est logique.

Dans ces conditions, la Commission ne va évidemment pas pénaliser la France, sinon elle se ridiculiserait et prouverait qu’elle n’a rien compris à la mise en œuvre de l’Union Bancaire. En revanche, elle doit demander à la France deux choses. D’une part, en cas de croissance plus forte qu’attendue d’ici 2017, l’intégralité des revenus fiscaux et sociaux additionnels doivent être affectés à la réduction des déficits. D’autre part, des réformes importantes doivent être mises en œuvre en 2015. Je pense notamment à une réforme du marché du travail comme celle décidée en ce moment par Matteo Renzi et votée par la Gauche italienne et à une réforme des retraites cohérente (votée par les sociaux-démocrates Suédois il y a 15 ans) qui assure une absence de déficit futurs de nos systèmes de retraite. Si Renzi, avec une majorité plus chancelante que chez nous y arrive, pourquoi François Hollande et Manuel Valls n’essaieraient-ils pas –surtout alors qu’ils n’ont plus rien à perdre ?

Les députés examinent le budget à partir de ce lundi 13 octobre. S'il est peu probable qu'ils aillent dans le sens d'économies supplémentaires aux 21 milliards d'euros déjà avancés - le gouvernement a d'ailleurs indiqué qu'il n'en avait pas l'intention -, de nombreux amendements seraient en préparation. Quitte à rester dans l'enveloppe budgétaire décidée par le gouvernement (déficit à 4,3% du PIB, 21 milliards d'économies), dans quel sens serait-il possible de faire évoluer le projet de loi de finances 2015 pour l'orienter davantage vers un objectif de croissance que de rigueur, sans néanmoins rouvrir les vannes de la dépense publique ? Comment pourrait-on trouver un meilleur équilibre ? Quelles mesures en particulier faudrait-il privilégier et pourquoi ?

Jacques Bichot : Dans L’avare, Harpagon demande à maître Jacques, son cuisinier, de lui faire bonne chère avec peu d’argent. Chacun de nous sait que, n’en déplaise à Molière, c’est possible : pour trois francs six sous un petit caboulot campagnard nous régale parfois autrement mieux qu’un grand chef étoilé servant à prix d’or une cuisine pour snobinards. Si les éminences qui nous gouvernent daignaient mijoter quelques recettes de bon sens, ça irait. Le problème est que la confection d’une bonne potée pour 65 millions de convive requiert du temps et du savoir-faire, alors qu’ils ne disposent ni de l’un ni de l’autre. Pour faire des économies intelligentes, il faut s’y prendre à l’avance et bien préparer son coup. Sous la pression de Bruxelles, les dites éminences se borneront hélas à faire de la cavalerie, ou plus exactement à obliger les responsables de services publics à en faire (à contrecœur). Les présidents de tribunal retarderont encore plus le paiement des experts, de La Poste et des traducteurs, et ils laisseront juges et greffiers acheter eux-mêmes le papier de toilette. Les généraux enverront leurs hommes crapahuter avec des équipements désuets, quitte à ce que le soldat, le caporal et le lieutenant se paient de leur poche un sac de couchage convenable pour remplacer celui de leur paquetage qui, acheté au moins disant, ne protège guère contre le froid. Etc., etc.

Reste à se mettre au travail sérieusement, en regardant comment les choses fonctionnent au niveau des services, et comment il serait possible de faire mieux pour moins cher. Une résolution fermement affichée en la matière serait probablement appréciée par Bruxelles, mais elle ne suffirait pas, sachant que nos gouvernements ont épuisé leur capital de confiance en formulant des engagements successifs qui n’ont pas été tenus. Il faut, pour le moyen et long terme, entreprendre ce travail de fourmis, mais à court terme il serait néfaste de chercher à faire des économies sur le papier en réduisant ou en gelant des crédits de paiement dont beaucoup sont déjà insuffisants. Mieux vaut, dans l’immédiat, augmenter la TVA, à condition d’engager en même temps les mesures d’amélioration de la productivité administrative et de réforme de notre système de protection sociale qui, à, long terme, permettront de revenir à l’équilibre budgétaire puis de baisser les impôts.

Jacques Delpla : Le gouvernement ne devrait se focaliser que sur ce qui sert la croissance et l’emploi et éviter les politiques de pure redistribution.

Premièrement, il devrait abandonner la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, qui n’a aucun impact sur la reprise du travail et qui n’est pas juste socialement (aucun impact sur les plus pauvres) – c’est une mesure seulement électoraliste. Le gouvernement devrait plutôt utiliser ces 3,2 milliards d’euros pour financer un grand impôt négatif (issu de la fusion du RSA et de la Prime Pour l’Emploi), comme l’avait fait Bill Clinton. Ce serait bien pour la croissance (incitations positives à la reprise d’un emploi) et juste socialement (touche les gens qui sont entre le RSA et le SMIC). Ce serait en outre probablement positif électoralement pour la gauche.  

Deuxièmement, le gouvernement devrait revenir sur l’extension du crédit à taux zéro qu’il propose. Il devrait même supprimer tout le dispositif du crédit à taux zéro tant que les taux d’intérêt sont très bas (ce qui est presque indolore). Au-delà, le Gouvernement devrait supprimer toutes ces aides au logement (aides à la pierre, dispositifs fiscaux Duflot-Pinel…) qui ne font qu’augmenter les prix du logement et qui ne profitent qu’à des ménages hors du besoin (en général des ménages aisés et plutôt vieux). Il n’y a pas de problème de demande de logement en France, il n’y que des problèmes d’offre.

Ceux-ci seront très largement réglés le jour où les maires auront une incitation massive à accroître l’offre de foncier sur leur commune. Pour cela, il suffit de réduire les dotations de l’Etat aux communes et d’autoriser et inciter celles-ci à augmenter les taxes foncières communales.  Pour garnir les coffres de leurs communes, les maires vont surmonter leurs réticences à viabiliser les terrains ruraux en bordure de leur ville.

Avec ces crédits (et niches fiscales) en moins pour le logement (environ 20 milliards d’euros par an), le Gouvernement devrait s’engager à relancer l’investissement public en 2015 et réduire les déficits publics à partir de 2016. Les lobbies du BTP hurleront. Il faut les laisser hurler.

Comment réorienter les 21 milliards d'économies pour éviter qu'elles ne sacrifient la croissance ?

Jacques Bichot : Une telle réorientation exige des compétences. Les hommes au pouvoir, s’ils disposaient de cette compétence, auraient d’emblée choisi les économies les moins nocives en matière de croissance, au moment où ils avaient un peu de temps devant eux pour préparer le budget. Comment feraient-ils dans la précipitation les changements productifs qu’ils n’ont pas engagés lorsqu’ils avaient le temps de les concevoir et d’y préparer les acteurs de terrain, sans lesquels rien n’est possible ? Je ne crois guère au miracle dans ce domaine. Comme je l’ai dit plus haut, ils doivent apprendre à connaître le fonctionnement concret de leurs services, encadrer et motiver les hauts fonctionnaires chargés de faire fonctionner ces services, bref engager le travail qu’ils ont jusqu’ici négligé, et qui donnera des résultats dans un an ou deux. Le reste est de la poudre aux yeux.

Jacques Delpla : Le péché budgétaire originel du Hollandisme (qui a tué sa crédibilité et son quinquennat) est d’avoir, au départ, en période de quasi-récession, appuyé massivement sur les augmentations d’impôts et d’avoir refusé une grande réforme des retraites à la Suédoise. Cette erreur fut funeste : elle tua la croissance et ne changea rien à la dette future. Or ce qui domine l’évolution de notre dette publique future ce sont les déficits des retraites. Une réforme des retraites sur le modèle Social-Démocrate suédois (régime par points, avec correction automatique des paramètres de manière à ne jamais être en déficit) aurait sauvé la crédibilité budgétaire du Président Hollande et n’aurait pas tué la croissance. Aujourd'hui, alors qu’il défait les hausses massives d’impôts du début de son quinquennat et qu’il laisse filer les déficits, il doit lancer une réforme des retraites à la Suédoise. C’est le seul moyen de conjuguer relance budgétaire aujourd'hui (et nous en avons besoin) et stabilisation de moyen terme de notre dette publique.

En pratique, cela impliquerait que, dès 2015, l’essentiel de l’ajustement budgétaire se fasse sur les régimes de retraites et sur le coût de la santé pour les seniors. Le gouvernement devrait ne pas du tout revaloriser les retraites (pour éliminer le 1,5 milliard de déficit de l’Assurance Vieillesse) et augmenter la CSG sur les plus de 60 ans (les grands bénéficiaires de l’Assurance Maladie) de manière à supprimer le déficit de l’Assurance Maladie (7 milliards d’euros en 2015). Il est normal que les seniors soient les premiers bénéficiaires de l’Assurance Maladie ; mais il est tout aussi normal qu’ils soient les premiers contributeurs (alors qu’ils cotisent moins que les autres aujourd'hui). Notons que ces mesures n’ont aucun impact négatif sur la croissance, ainsi que peu d’impact électoral pour le gouvernement, car une très grande proportion des seniors votent à droite.  

Avec ces recettes en plus, le gouvernement pourrait financer des infrastructures publiques en 2015, puis réduire les déficits publics au-delà.

Dans quel travers budgétaire faudrait-il en revanche à tout prix éviter de tomber ?

Jacques Bichot : Le pire serait de chercher à dissimuler la réalité en faisant de la cavalerie. On peut parvenir à reporter des paiements d’une année sur l’autre, soit en allongeant les délais de règlement des achats effectués, soit en retardant des livraisons de matériels, mais ces façons de faire ne donnent rien de bon. Différer la réalisation d’une opération déjà engagée contractuellement, par exemple des équipements ou des bâtiments, entraîne des pénalités, des surcoûts. Il en va de même pour les ventes : ne faisons pas la sottise d’empêcher la livraison de navires prévue avec la Russie, cela coûterait encore plus cher que le scandaleux fiasco de l’écotaxe (au moins 800 millions fichus en l’air). Et pour les rapports avec Ecomouv’, la société qui devait collecter l’écotaxe, qui a investi des centaines de millions et qu’il va falloir dédommager, ne faisons pas traîner les choses : mieux vaut payer 800 millions immédiatement qu’un milliard plus des frais de procédure un an plus tard !  

Jacques Delpla : Historiquement, la maladie budgétaire de la France n’est pas de laisser filer les déficits en cas de (quasi-) récession comme aujourd'hui ; c’est de ne pas réduire assez les déficits lors du retour à la croissance (moment où les recettes fiscales grimpent au plafond). Le président Hollande devrait s’engager de manière crédible à ce qu’en cas de croissance au-delà de 0,5% par an, l’ensemble des recettes fiscales et sociales soit affecté seulement à la baisse des déficits. Alors qu’aujourd'hui il demande à relâcher les déficits pour 2014 et 2015, il doit aussi s’engager sur cette règle de conduite en cas de jours plus ensoleillés. Sinon, il perdra toute crédibilité budgétaire en France et en Europe.

Quelles réformes structurelles, qui ne soient pas politiquement irréalistes, faudrait-il dans le même temps davantage favoriser ?

Jacques Delpla : Tout d’abord une réforme des retraites à la suédoise, comme je viens de l’indiquer. Puis une réforme du marché du travail, comme en Scandinavie, ou comme décidée ces derniers jours en Italie. 

Jacques Bichot : J’ai peur qu’avec la majorité actuelle aucune réforme structurelle ne soit envisageable. La droite a été incapable de seulement entreprendre les études préalables aux réformes systémiques indispensables pour rendre notre protection sociale, source numéro un de nos déficits, compatible avec le dynamisme économique ; la gauche divisée en factions qui sont à couteaux tirés les unes contre les autres n’a guère de chances de faire mieux. Peut-être un gouvernement issu de la société civile pourrait-il faire une partie du travail de remise en ordre qui est nécessaire, mais je doute qu’un président "normal", politicien jusqu’au bout des ongles, veuille prendre une décision sortant à ce point du train-train des pouvoirs publics.

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