Qui supprimer ? Régions, départements, communautés de communes, agglomérations... : le match coût/efficacité<!-- --> | Atlantico.fr
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Les budgets cumulés de toutes les collectivités représentent 11% du Produit intérieur brut (PIB).
Les budgets cumulés de toutes les collectivités représentent 11% du Produit intérieur brut (PIB).
©Reuters

CQFD

Lors de la conférence de presse du mardi 14 janvier dernier, François Hollande a annoncé une réorganisation territoriale, provoquant une immédiate levée de boucliers. Dans un registre proche, Jean-Marc Ayrault s'est prononcé pour la disparition des départements de la première couronne parisienne.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Quel est aujourd'hui l'échelon le plus cher ? Combien cet échelon a-t-il rapporté ? Et la décentralisation, à combien revient-elle ?

Jean-Luc Bœuf : L'approche comptable est nécessaire pour appréhender les ordres de grandeur.  Les grands chiffres sont les suivants : les budgets cumulés de toutes les collectivités représentent 11% du Produit intérieur brut (PIB), soit environ 220 milliards d'euros en 2013. Le coût de la décentralisation est donc celui-ci. En effet, les budgets sont des budgets de transfert : les collectivités redistribuent une partie de la richesse créée. En termes strictement économiques, elles ne créent pas cette richesse puisque leurs recettes proviennent des dotations de l'Etat pour un peu moins de la moitié, de la fiscalité pour un peu plus d'un tiers, de l'emprunt pour environ un dixième ; le reste étant constitué des recettes diverses telles que les redevances de foires et marchés, les stationnements lorsqu'ils sont gérés en régie... Le coût de la décentralisation est donc cet ensemble de dotations, de fiscalité locale et d'emprunts.

Par échelon de collectivités, le bloc communal, constitué des quelques 37 000 communes et des 2 700 intercommunalités, représente un peu moins des trois cinquièmes des budgets cumulés. En masse, cela augmente plus que l'inflation. Naturellement, à l'intérieur de cet ensemble, la part des communes a fortement diminué depuis 30 ans. Et c'est l'intercommunalité qui représente les plus fortes croissances. Les départements représentent environ un quart de la dépense des collectivités. En poids relatif, ce chiffre est à peu près stable sur la moyenne durée. Les régions, quant à elles, représentent un huitième des dépenses, soit moins que les intercommunalités. C'est l'un des enseignements de ces dernières années, à savoir que le poids relatif des régions reste stable, voire diminue très légèrement. Il est important de préciser que les budgets des collectivités sont construits et réalisés chaque année à l'équilibre, à la différence de l'Etat. L'emprunt ne peut servir qu'à financer des dépenses d'investissement. Quant à savoir si les investissements sont efficaces, c'est une autre question. Mais l'on ne peut faire aux collectivités un procès de déficit. Ni de surendettement d'ailleurs puisque, en trente ans, le poids de la dette locale cumulée de tous les échelons de collectivités dans le PIB a diminué ! Il représente aujourd'hui moins de 10% du PIB, contre un chiffre légèrement supérieur à celui de 1982.

Mais l'approche comptable n'est  bien-sûr pas suffisante pour disposer d'une analyse économique au sens du coût et de l'efficacité. Que signifie "amortir" une école communale ? Comment calculer l'amortissement d'une voirie départementale ? Si l'on calculait le prix d'entrée d'une piscine municipale en fonction de la rentabilité de l'équipement, ladite piscine pratiquerait des tarifs tels qu'il n'y aurait personne. Le ratio entre les recettes et le coût des TER dépasse rarement 25%. Dit autrement, le simple calcul économique au sens de la neutralité de la dépense publique reviendrait à multiplier par 4 le prix des billets de TER. Travailler sur le sujet des collectivités locales nécessite d'accepter que les "coûts" et les "avantages" des équipements et prestations de ce secteur ne soient pas uniquement financiers.

Quel bilan efficacité de chacun de ces échelons dresser ?

Evoquer la commune, c’est osciller entre un rappel à l’histoire la plus ancienne et une invocation de l’actualité la plus prégnante. Celle-ci va nous conduire de la présence du maire sur les marchés, au dîner des anciens dans les maisons de retraite de la ville, du bal du 14 juillet aux vœux de nouvel an. Mais surtout de la présence de nos élus dans la vie de nos concitoyens, quand ils sont à l'écoute des demandes concrètes, parmi lesquelles le logement et l'emploi.

L’intercommunalité (1 métropole, 16 communautés urbaines, près de 200 communautés d'agglomération et plus de 2 500 communautés de communes) présente une assise ambiguë mais un poids financier lourd, supérieur en tout cas à celui des régions, dans les territoires, leurs budgets sont en expansion et l’Etat a trouvé une superbe carotte financière avec la dotation globale de fonctionnement. Soyons clairs pour le contribuable : c’est cette incitation, et elle seule, qui a rendu possible le développement très vigoureux de l’intercommunalité depuis le début des années 2000. Les élus ont eu le choix entre refuser l’intercommunalité ou s’organiser de la sorte et bénéficier ainsi d’un surplus pérenne de dotations de l’Etat. Ce qui pose la question des doublons entre les échelons
communal et intercommunal.

Le département suit les individus fragiles de la naissance à la mort (protection maternelle et infantile, personnes en situation de handicap, revenu de solidarité active, allocation personnelle d'autonomie). Il est une institution dont la légitimité et la pertinence ont été fortement remises en cause, du fait de ses liens privilégiés avec l’Etat et d’une place apparemment marginale dans les nouvelles formes d’intervention territoriale. Pourtant, le département a vu ses compétences régulièrement élargies depuis 1982, y compris en 2004, à l’occasion du transfert des personnels non enseignants des collèges.

Quant à la région, elle n'est pas suffisamment identifiée. Qui n’a pas fait l’expérience de demander son chemin, en demandant à se rendre au Conseil régional, il est en réalité proposé d’aller au Conseil général ! La devinette suivante pourrait illustrer le positionnement exact des régions que l’électeur pourrait se voir conter à la veille d’échéances électorales : « J’ai plusieurs siècles d’existence mais je ne suis libéré de ma tutelle que depuis un peu plus d'un quart de siècle. Mon poids total est de 1% du PIB français mais je représente 10 % de l’ensemble de mes consœurs. Qui suis-je ? ». La réponse est la région, la petite dernière dans le paysage territorial.

Alors que penser de l'option proposée par le président de la République visant à réorganiser le territoire français ?

Le président de la République a clairement posé la question du trop grand nombre de régions. Pour savoir si la réforme proposée peut réussir, il convient pour cela de regarder  de quelle réforme il est question ! S'il s'agit d'une réforme isolée, et donc déconnectée des difficultés que rencontrent les territoires, il n'y a pas lieu d'être optimiste.Ce débat risque de se focaliser sur le découpage du territoire. Dès lors, les positions sont écrites d'avance et l'échec serait au bout de la ligne. Car les actuels présidents de régions n'ont aucune raison de voir leur région disparaître même si 21 d'entre eux sur 22 sont du même bord que le gouvernement ! Ils évoqueront bien sûr qui des arguments économiques qui historiques, qui de la nécessité de "convergence mais pas de regroupement entre les actuelles régions", sous couvert naturellement de "l'intérêt de leurs concitoyens", bien que ces derniers ne les identifient jamais sur les territoires, et ne connaissent que rarement le nom de leur président... S'il s'agit d'une réforme d'ensemble, on comprend assez mal pourquoi le gouvernement a scindé au printemps dernier le texte relatif à la décentralisation pour ne traiter que des métropoles, en repoussant à plus tard les autres types de collectivités, et à traiter aujourd'hui de la question du nombre de régions, sujet bien plus structurant que les querelles de frontières de compétences et d'exercice de la "clause générale de compétence".  Rappelons que depuis la Libération, les scrutins électoraux locaux n'ont jamais été vraiment favorables au pouvoir en place quel qu'il fut, y compris à l'époque du gaullisme triomphant de la Vème République débutante. Le positionnement du scrutin régional à venir, qui a déjà été repoussé de 2014 à 2015, risquerait bien d'être, une fois de plus, repoussé pour prendre en compte la réforme. Car l'on voit mal la cohérence qu'il y aurait à élire dans quelques mois des conseillers régionaux appelés à s'autodétruire sous le feu de la réforme.

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