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Qui sont les marchands d’armes français ? Pour les trouver, rien de mieux que d’aller au marché
©Reuters

Bonnes feuilles

Sous la présidence de François Hollande, la France a battu des records en matière d'exportation d'armement. Elle est redevenue le troisième vendeur d'armes au monde, derrière les États-Unis et la Russie. 160 000 personnes travaillent dans ce secteur, l'un des rares à prospérer aujourd'hui. 40 000 postes supplémentaires devraient être créés dans les deux prochaines années. Les artisans de ce succès, discrets par nature, se confient auprès de l'auteur : des commerciaux, des ingénieurs, des fonctionnaires, des élus, des diplomates, des militaires. Extrait de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", de Romain Mielcarek, publié aux éditions Tallandier, 112 pages, 13,90€. 1/2.

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Il serait bien difficile de décrire la vente d’armes type. Chaque situation, chaque contrat, raconte sa propre histoire. Chaque fois, ce sont des enjeux politiques, financiers et diplomatiques qui se croisent et s’entrechoquent. Une telle transaction est rarement le fait du travail d’un seul homme. L’entreprise qui vend déploie toute une équipe composée de profils disparates: des ingénieurs, des analystes politiques, des juristes, des conseillers militaires… Sur de très grosses offres, comme l’acquisition d’une flotte de guerre ou d’avions de chasse, ce sont des dizaines de personnes, mobilisées parfois pendant plusieurs années. Et cela sans même parler des soutiens politiques, militaires ou diplomatiques qui peuvent intervenir à différents niveaux. Difficile donc de décrire l’archétype du vendeur dans ce commerce prospère. 

Pour essayer de comprendre qui sont les marchands d’armes français, encore faut-il les trouver. Et pour trouver des marchands, rien de mieux que d’aller au marché. Ou plutôt dans des salons professionnels. Tout comme pour le chocolat, le vin ou l’érotisme, il y a des salons de l’armement où le made in France présente ses plus beaux savoir-faire. De tels salons existent partout à travers le globe, et en France, ils ont lieu tous les deux ans. Les principaux sont le Bourget pour l’aéronautique civile et militaire, Milipol pour la sécurité intérieure, Euronaval pour la défense maritime et Eurosatory pour l’armement terrestre. Ces rencontres sont l’occasion pour les industriels, en particulier français, de démontrer la qualité et la diversité de leurs produits à des dizaines de milliers de visiteurs venus du monde entier. Ce n’est pas là que les affaires se concluent, mais c’est en tout cas le lieu incontournable pour rester au courant des dernières innovations, pour prendre des contacts… et pour se faire une bonne idée des enjeux du secteur. 

À l’entrée, on y trouve systématiquement quelques pacifistes venus dénoncer la guerre et les ventes d’armes. Tout de blanc vêtus, ils brandissent des pancartes réclamant l’interdiction de ce business. Ils ne parviennent généralement qu’à obtenir des sourires navrés des professionnels. Dans les allées de ces salons, les entreprises de toutes les tailles proposent entre deux hôtesses de charme une impressionnante vitrine de l’industrie française: des avions de combat ou de transport, des hélicoptères, des chars, des blindés de toutes les tailles, des roquettes, des logiciels informatiques, des radars, des navires de guerre, des pièces détachées, des logiciels… et tout ce dont peut rêver un général qui veut équiper au mieux son armée. C’est en effet l’une des forces de l’industrie de l’armement française: elle fait partie des rares acteurs du secteur capables de produire presque toute la gamme des produits nécessaires à une force moderne. Sur certains stands, on trouve même des militaires pour vanter les mérites des armements qu’ils ont eux-mêmes utilisés sur le terrain. 

On peut également y croiser des uniformes de tous les pays du monde. Lorsqu’une délégation d’officiers arrive sur un stand, les commerciaux s’activent pour expliquer par le détail les capacités de leurs produits: la portée d’un mortier, la furtivité d’un avion ou les performances d’un véhicule. Les arguments sont généralement les mêmes: du matériel à la pointe de la technologie qui a fait ses preuves sur les nombreux théâtres d’opération où sont déployées les forces françaises. Vous avez un doute? Vous préférez un concurrent? Regardez donc ce qu’ont fait les hélicoptères de combat Tigre en Libye ou les Rafale en Irak! Sauf circonstances exceptionnelles, ces foires aux armes sont presque toujours inaugurées par le ministre de la Défense, et accueillent parfois même une visite du Premier ministre ou du président de la République lui-même. Politiques et fonctionnaires sont en effet présents en rangs fournis, en bon garants des portefeuilles ministériels. Ici ou là, on peut même en voir un, en costume et cravate, essayer avec un rire enthousiaste une mitrailleuse lourde. 

Mais si l’on croit perdre de vue que la guerre est une chose dramatique, il y a toujours quelqu’un pour le rappeler. Les ONG, notamment, arpentent les mêmes allées en proposant une autre grille de lecture, moins optimiste et aseptisée. Amnesty International, par exemple, fait le tour des exposants français accusés de ne pas respecter la loi ou de tremper dans des affaires plus que douteuses. Renault Trucks Defense se voit reprocher d’avoir fourni des véhicules militaires à une Égypte qui persécute l’opposition et les associations de la société civile. On rappelle qu’Airbus Helicopter est soupçonné d’avoir participé à une affaire de blanchiment d’argent dans le cadre d’une livraison de 45 EC-145 au Kazakhstan. Et que dire des chars Leclerc vendus par Nexter aux Émirats arabes unis, qui se retrouvent impliqués dans une guerre particulièrement odieuse pour les populations civiles du Yémen? 

Pour vendre des matériels de guerre, les entreprises françaises doivent bénéficier de dérogations de la part de l’État, étudiées au cas par cas. Chaque étape de la démarche commerciale est soumise à une autorisation exceptionnelle et unique. Il en faut une pour prospecter et démarcher un client, une pour faire une offre, une pour signer un contrat et encore une autre pour livrer les produits. À tout moment, si la situation politique entre la France et le client évolue, l’autorisation peut être soit suspendue, soit supprimée. Des précautions qui paraissent évidentes lorsqu’il s’agit de vendre des engins militaires et des armes lourdes, mais qui peuvent paraître plus délicates à comprendre dans le cas d’autres équipements, d’apparence moins létale. Ainsi cet homme, qui dirige la filiale d’un groupe du BTP spécialisée dans les abris techniques destinés à des usages militaires, qui se plaint des procédures pour exporter vers Doha: «Nous avons trouvé au Qatar un client très intéressé par nos produits. Nous avons même participé au salon Milipol Qatar. Leurs forces de sécurité aimeraient acheter. Mais pour pouvoir faire une offre, il faut qu’on attende les autorisations de l’État. Ça rallonge le délai de quatre mois. Et pendant ce temps, la concurrence peut intervenir.»

Extrait de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", de Romain Mielcarek, publié aux éditions Tallandier, 112 pages, 13,90€. 

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