Quelles solutions pour « réparer » les marchés européens de l’énergie (sans aggraver le problème…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de la centrale électrique au charbon exploitée par le fournisseur d'énergie allemand RWE à Niederaussem, dans l'ouest de l'Allemagne, le 13 juillet 2022.
Une vue de la centrale électrique au charbon exploitée par le fournisseur d'énergie allemand RWE à Niederaussem, dans l'ouest de l'Allemagne, le 13 juillet 2022.
©Ina FASSBENDER / AFP

Crise énergétique

Les 27 ministres de l’Energie se réunissent vendredi à Bruxelles pour une réunion de crise consacrée aux prix de l’énergie. Les dirigeants européens ont-ils les moyens et la volonté de réformer le marché européen de l’électricité ?

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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I. La situation actuelle des marchés européens de l’énergie

Damien Ernst : Commençons par l’électricité. C’est une commodité qui se vend période de marché par période de marché sur les marchés de gros. Quand on achète de l’électricité, on achète une quantité relative à une période de temps. Dans la majorité des pays européens, c’est 15 minutes. Il y a différents types de produits de base. L’un des plus connus est le Calendar. 1 MWh acheté sur ce produit est distribué sur toutes les périodes de marché de l'année à laquelle il fait référence. Il appartient à la gamme des 'produits rubans'. Les autres produits de type ruban diffèrent du produit calendar de par la longueur de la période de temps à laquelle ils font référence (trimestre, mois, semaine). Ces produits sont vendus dans des marchés bilatéraux. Ce sont des marchés où les vendeurs proposent un prix, les acheteurs aussi et s’il y a un match entre les deux, la transition a lieu. Une grande partie du volume est vendue dans ces marchés. Mais il y a aussi le marché du day-ahead. Ce n’est plus un marché bilatéral mais centralisé où l'on achète de l'électricité pour une journée spécifique. Avant 12h le jour avant, des offres pour produire et consommer vont être remises. Par la suite, elles sont traitées selon un mécanisme algorithmique fort complexe qui, vu de manière très simplifiée, est plus ou moins similaire à une reconstruction de courbes d’offres et de demandes et  à voir le point où elles se croisent. Toutes les offres à gauche de ce point sont acceptées. Le prix de marché, qui correspond au prix auquel ces courbes se croisent, est celui auquel tous les générateurs sont payés. Ce marché est le chef d’orchestre des prix pour les autres marchés. Quand le prix du day ahead augmente, tous les prix augmentent. Et c’est ce marché qui focalise l’Europe à l’heure actuelle. Pourquoi ? Car ce marché-là maximise une notion de bien-être social, bien définie en économie, qui ne minimise pas les coûts pour les consommateurs. Ce marché conduit à un coût de l’électricité  égal au coût marginal de l’unité la plus chère produite. Et cela peut monter haut. Ensuite, il y a aussi le marché intraday quand on a un manque ou un excédent au cours d’une journée.

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Les marchés, en ce qu’ils font se rencontrer une offre et une demande, fonctionnent bien. En effet, il n’y a pas assez de gaz donc les prix augmentent. Mais ce dont on se rend compte, c’est que beaucoup font des surprofits sur les marchés à cause du marché day-ahead. Il y a des bénéfices colossaux et l’Europe ne veut plus de cette situation-là, à vrai dire, elle n’a pas le choix tellement cette situation aggrave les problèmes causés par cette crise énergétique.

II. La solution européenne

L’Europe veut maintenir un signal de prix très élevé afin de tuer la consommation en maintenant des prix très élevés. Elle ne va donc pas changer les prix mais mettre une rémunération maximale pour les générateurs. Cette rémunération sera calibrée technologie de génération par technologie de génération. L’Etat reversera par la suite aux compagnies et aux ménages la différence entre l'argent payé par les consommateurs et l'argent reçu par les producteurs. L’avantage c’est que cela permet de garder le signal de prix élevé qui permet de diminuer la demande, ce qui est nécessaire vu qu'on manque de gaz. L’autre avantage, par rapport à un système où l'on modifierait directement les prix de marché est lié aux plus grandes possibilités pour les États de choisir quels segments de la population ou quelles entreprises aider.

Mais ce que l'on peut craindre avec cette stratégie c'est que les chèques d'aides n'arrivent pas assez tôt, que les entreprises s'effondrent et que les ménages s'appauvrissent de trop, ce qui risque de créer beaucoup d'instabilités sociales.

III. La stratégie espagnole et portugaise

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C'est une stratégie différente qui modifie directement les prix de marché. Ils indiquent une possibilité de bid uniquement jusqu’à un certain prix (par exemple 150€/MWh) et cela permet de baisser le prix de l'électricité tel que synthétisé sur  les marchés day ahead. Deux problèmes avec cela : d’abord, les centrales au gaz bidant à ce prix maximal trop bas pour elles  risquent de faire faillite. Pour compenser cela, on taxe les consommateurs. L'autre problème c’est qu'agir de la sorte tue le vrai signal de prix et n'encourage donc pas des économies d’énergie calibrées sur la situation de pénurie que l'on vit pour le gaz.

IV. La question du gaz

Les mêmes produits de type ruban existent pour le gaz mais, pour ce dernier, il n'y a que des marchés bilatéraux. Le prix du gaz est payé, pour tous les nouveaux produits vendus en Europe, plus ou moins au prix du LNG asiatique. C’est lié à la mécanique de formation des prix sur ces marchés. L’Europe a plusieurs fournisseurs qui n’ont que l’Europe comme client pour une partie ou la totalité de leur gaz car ils n'ont pas de terminaux LNG qui permettent de l’envoyer ailleurs. Les Russes n’ont par exemple pas de terminaux LNG pour envoyer le gaz qu'ils envoyaient en Europe ailleurs qu'en Europe. C'est pareil pour la Norvège et l’Afrique du Nord. La proposition, toujours en discussion, serait de mettre un prix maximal sur le gaz vendu aux consommateurs. S’ils ne peuvent pas vendre du gaz à plus d’un certain prix, par exemple 100 €/MWh, les fournisseurs n’auront pas intérêt à en acheter à un prix supérieur à cela. Et puisque les producteurs ne peuvent pas envoyer leur gaz ailleurs, ils vont être obligés de dire oui. Le problème c’est que cela va faire en sorte que tous les bateaux LNG vont se diriger vers l’Asie et on manquera alors de beaucoup de gaz. L’option pourrait être alors une centrale d'achat européenne du LNG qui aurait l'exclusivité pour acheter tout le LNG qu’elle pourrait sur les marchés, selon un volume manquant déterminé par exemple par ENTSO-G, pour le refournir ensuite. Dans ce schéma-là, le problème suivant survient : si l'Europe n’arrive pas à acheter suffisamment de gaz pour satisfaire la demande à 100 € du MWh, il faut mettre en œuvre une clé de répartition des volumes disponibles. Ce sont les solutions sur la table et il n’y a pas vraiment d’alternative.

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