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Quelle est la responsabilité  saoudienne dans le retour du djihad ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Avec l’irruption inattendue des combattants de Daech (ou État islamique) dans le Nord de l’Irak, la chute de Mossoul et le long siège de Kobané, en Syrie, la question kurde est revenue sous les feux de l’actualité internationale depuis l’été 2014. Extrait de "La Question kurde à l'heure de Daech", de Gérard Chaliand et Sophie Mousset, publié au Seuil éditions (2/2).

Sophie Mousset

Sophie Mousset

Sophie Mousset est écrivain et photographe.

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Gérard Chaliand

Gérard Chaliand

Gérard Chaliand, spécialiste des conflits internationaux particulièrement engagé aux côtés de la communauté kurde, est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages de géopolitique parmi lesquels Vers un nouvel ordre du monde (avec Michel Jan, Points Essais, n° 746).

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Pour comprendre les raisons de l’embrasement régional actuel, il faut tout d’abord souligner le rôle central joué par l’Arabie saoudite. C’est elle qui, depuis la pre- mière crise pétrolière (1973-1974), pour ne pas remonter plus avant, n’a cessé d’œuvrer pour une ré-islamisation militante et ultraconservatrice du monde musulman, de l’Afrique de l’Ouest à l’Indonésie. J’en ai perçu l’un des signes premiers, par hasard, en 1977, tandis que je tournais un film à Bouaké, en Côte d’Ivoire. Dans une medressa où se trouvait une classe de jeunes garçons, j’ai aperçu une grande carte du monde, indiquant en vert et en arabe l’étendue de l’islam. Comme je m’étonnais que l’instituteur donne aussi un cours de géographie, celui-ci m’expliqua qu’il avait obtenu une bourse de deux années dispensée par l’Arabie saoudite. Il avait étudié à la prestigieuse université d’Al-Azhar, en Égypte, où l’enseignement de l’histoire et de la géographie confortait l’importance politique de l’islam et sa place éminente dans le monde.

Dès que le quadruplement du prix du pétrole l’a permis, l’Arabie saoudite, sunnite, qui abrite La Mecque, n’a pas cessé d’envoyer des prêcheurs, de bâtir des mosquées, d’œuvrer pour la wahhabisation1 des sociétés musulmanes. Avant cela, soutenue par les États-Unis, elle s’était opposée de toutes ses forces au panara- bisme nassérien, tant au Yémen que dans le reste du Moyen-Orient. La politique conservatrice promue par l’Arabie saoudite convenait parfaitement aux États- Unis, qui trouvaient ainsi un allié (inféodé aux intérêts pétroliers américains) contre le communisme dans le monde musulman.

La menace à laquelle Ryad veut s’opposer vient de Téhéran. La querelle entre sunnites et chiites est ancienne, on le sait, puisqu’elle remonte au lendemain de la disparition du prophète Mahomet et touche à sa succession. Mais l’événement central dans le déclenchement de la crise qui se déroule actuellement est bien la révolution iranienne khomeiniste de 1979, qui marque une date majeure dans la montée de l’islamisme.

Au Moyen-Orient, l’échec du nassérisme puis les errements des divers socialismes arabes ont permis que la contestation la plus radicale aux régimes en place soit celle qui est dorénavant prônée au nom de l’islam. Reste que cette contestation apparaît alors plus mobilisatrice que porteuse de solution.

L’Arabie saoudite est d’emblée hostile à la préten- tion des dirigeants chiites, et de surcroît persans, de s’arroger le titre de dirigeant du monde musulman se dressant contre l’impérialisme américain. Par ailleurs, afin de se gagner l’adhésion des sunnites, le régime des mollahs adopte une politique violemment anti-sioniste. N’ayant pas recherché l’appui de l’Union soviétique, l’Iran se retrouvera fort isolé lors de la guerre du Golfe (1980-1988) face à l’Irak.

Fin 1979, l’Arabie saoudite cherche à s’opposer à l’intervention soviétique en Afghanistan en organisant, avec l’aide logistique du Pakistan et des États-Unis, un djihad sunnite pour épauler les combattants afghans. En Afghanistan même, les États-Unis décident d’appuyer, parmi les diverses composantes de l’opposition, le plus radical des groupes islamistes, celui de Gulbuddin Hek- matyar, qui se retournera par la suite contre eux, tout comme le fera Oussama ben Laden, une fois terminé le conflit avec l’Union soviétique.

C’est ainsi qu’apparaissent les premiers attentats djihadistes : à New York, au World Trade Center, dès 1993 (dix-sept morts) ; puis à Riyad et Khobar, en Arabie saoudite, en 1995 et 1996 (vingt-quatre morts) ; et de façon plus spectaculaire contre les ambassades américaines à Nairobi et à Dar es-Salaam (Afrique 123 orientale) en 1998, avant l’USS Cole à Aden en 2000 et le 11 septembre 2001…

Indirectement, l’impact du fameux attentat new- yorkais provoqua la montée au pouvoir des néocon- servateurs, au premier rang desquels Paul Wolfowitz et leur allié, le vice-président, Dick Cheney. L’expédition punitive en Afghanistan fut menée comme le prélude à la préparation politique, diplomatique et psychologique de l’agenda néoconservateur destiné à « remodeler le Grand Moyen-Orient ». Il s’agissait, comme on l’a vu, en terminant une « guerre inachevée », de se débarras- ser d’une dictature disposant d’« armes de destruction massive », puis de forcer le régime syrien à cesser toute aide au Hamas et au Hezbollah de façon à soulager Israël, afin de se tourner vers l’adversaire principal, l’Iran, et de contribuer à y favoriser un changement de régime. Ce projet s’est avéré un fiasco.

L’impréparation aux conditions que les États-Unis devaient rencontrer en Irak était confondante : manque de troupes pour une occupation effective, absence de renseignements, renvoi sans solde des troupes dans leurs foyers, élimination des membres du Baas quel que soit leur rang par une commission dirigée par Ahmed Chalabi, un chiite au rôle ambigu qui avait gagné la confiance des autorités américaines.

Entre-temps, dès 2002, des Iraniens étaient très actifs en Irak et préparaient le terrain qui devait servir leurs propres intérêts. L’incurie du proconsul américain Paul Bremer ne faisait que concourir à marginaliser des sunnites qui n’étaient pourtant pas tous, surtout aux 124 échelons inférieurs de la société, inféodés à Saddam Hussein.

Dès 2004, il y eut de violents affrontements avec la résistance sunnite, comme à Fallouja, auxquels les milices chiites, formées en Iran, participèrent aussi. La même année, après avoir démontré leur peu de capacités à ramener l’ordre et à remettre en marche l’électricité, les autorités américaines étaient confrontées au scan- dale de la prison d’Abu Ghraib. Des photos montraient l’humiliation sexuelle infligée aux captifs irakiens. La guerre psychologique venait d’être perdue à l’échelle du monde musulman. Comment prétendre diffuser la démocratie avec des pratiques de cette nature ?

Al-Qaida, qui n’avait jamais été présent en Irak durant la dictature de Saddam Hussein, y faisait une entrée fracassante avec la création, par Abou Mous- sab al-Zarqawi, adoubé dirigeant par Ayman Zawahiri d’Al-Qaida au pays des deux fleuves, avivant à l’excès les antagonismes entre sunnites et chiites, tandis que le pays plongeait dans le chaos.

Bientôt, la guerre d’Afghanistan, considérée comme terminée et ne représentant, de toute façon, qu’un enjeu marginal, allait apparaître comme un nouveau théâtre de conflits avec le retour des talibans dès 2005-2006. Victime collatérale de la guerre d’Irak, elle apparais- sait néanmoins comme un jeu de dupes, les États-Unis épaulant financièrement le Pakistan dont les services spéciaux (Inter-Services Intelligence) des forces armées étaient le principal soutien logistique des talibans…

En Irak, malgré une amélioration autour de 2007,  avec des mesures prises par le général américain David Petraeus qui associaient les tribus sunnites à la liquida- tion d’Al-Qaida, l’accession au pouvoir la même année du Premier ministre Nouri al-Maliki à Bagdad n’apporta aucune solution pour la recherche d’une concorde mini- male entre sunnites et chiites, au contraire. Tout indiquait, au fil des votes, que ceux-ci étaient strictement communautaires : Kurdes, chiites et sunnites (quand ils votaient) votaient pour les leurs.

Durant les années où il exerça le pouvoir, Nouri al- Maliki, tout en concentrant au maximum les pouvoirs (intérieur, défense, police politique…) s’ingénia à marginaliser les sunnites toujours davantage. En marge de son pouvoir proliféraient des milices chiites, toutes plus ou moins soutenues par l’Iran, qui formaient une armée parallèle particulièrement efficace. Mais les groupes insurgés sunnites ne désarmaient pas et les attentats continuaient.

Lorsque les États-Unis voulurent laisser sur place une dizaine de milliers d’hommes, le dirigeant irakien s’y opposa, sans doute encouragé dans ce refus par Téhé ran. Quoi qu’il en soit, à peine les troupes américaines avaient-elles quitté le sol irakien en 2011 que Nouri al-Maliki tenta de faire arrêter le vice-président sunnite, lequel trouva refuge chez les Kurdes, puis en Turquie.

1. Version fondamentaliste de l’islam créée par Mohammed ibn Abdelwahhab au xviiie siècle, dont la dynastie des Saoud est aujourd’hui la représentante. Le Qatar appartient également à cette mouvance.

Extrait de "La Question kurde à l'heure de Daech", de Gérard Chaliand et Sophie Mousset, publié au Seuil éditions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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