Quel mal y a-t-il à être asexuel ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Style de vie
Quel mal y a-t-il à être asexuel ?
©Reuters

THE DAILY BEAST

De nouvelles recherches considèrent le fait d’être asexuel comme une orientation sexuelle. Pourtant, la société a beaucoup de mal à l’accepter.

Samantha Allen

Samantha Allen

Samantha Allen est journaliste pour The Daily Beast.

Voir la bio »

Copyright The Daily Beast, Par Samantha Allen

Quand l’activiste de l’asexualité David Jay a participé au Montel Williams Show sur la chaîne CBS en 2007 pour expliquer son manque d’attirance pour la sexualité, il a été fraîchement reçu.

On lui a demandé s’il avait été abusé sexuellement pendant son enfance. Il a répondu non. Ou bien personne n’était attiré sexuellement par lui ? Il a répondu qu’il avait eu de multiples occasions. Mais si une fille était venue dans sa chambre avec une lingerie affriolante, il aurait sûrement changé d’avis, a alors suggéré le présentateur. "Si cela avait dû arriver, cela serait le cas depuis longtemps", a conclu Jay en plaisantant.

Une dizaine d’années plus tard, un article de la revue scientifique Archives of Sexual Behavior confirme ce que beaucoup de personnes "asexuelles" comme David Jay disaient à ceux qui doutaient, comme le présentateur Montel Williams : l’asexualité n’est pas une maladie mais plutôt "une orientation sexuelle" comme une autre.

Pourtant, même des années plus tard, alors que l'on parle de plus en plus de l’asexualité, les hétérosexuels, les gays et les bisexuels ont toujours du mal à l’accepter.

"Je pense que l’asexualité met en cause beaucoup des croyances de notre société", explique au Daily Beast le docteur Lori Brotto, psychologue clinicienne et chercheuse de l’université de British Columbia. "Nous considérons que l’attraction sexuelle est inhérente à l’être humain, nous la voyons comme un aspect fondamental qui différencie l’être humain de l’animal, et nous la voyons comme une étape nécessaire à notre développement".

Donc lorsqu’une personne asexuélle déclare qu’elle n’est tout simplement pas intéressée par le sexe – ou qu’elle apprécie une relation romantique sans sexualité , ceux qui n’y croient pas sont perturbés. Mais le travail de Mme Brotto laisse penser que, quelle que soit la perplexité de certains face à l’asexualité, il n’y a pas de raison de douter de sa légitimité ou de sa normalité.

Tout d’abord, Brotto a déjà montré qu’il y a une différence entre l’asexualité et les problèmes sexuels.

A travers une série de questionnaires, elle et son équipe ont découvert que ceux qui correspondent au diagnostic de l’hypoactive sexual desire disorder (HSSD) – un trouble caractérisé par le manque de désir mal vécu par celui qui le ressent – étaient beaucoup plus susceptibles de s’engager dans une relation, de se caresser ou d’embrasser que les asexuels.

A plus de 60%, les personnes atteintes de HSSD étaient aussi plus disposées à s’engager dans une relation sexuelle que les personnes asexuelles. Cela ne veut pas dire que les personnes asexuelles ne font jamais ce genre de chose – certaines le font – mais cela suggère, comme le docteur Brotto et le co-auteur de l’étude le notent, que "l’asexualité ne doit pas être classée parmi les dysfonctionnements sexuels".

De plus, alors que les personnes atteintes de HSSD souhaitent ressentir du désir, d’autres recherches montrent que beaucoup de personnes asexuelles ne sont pas "inquiètes de leur absence de désir, et ne souhaitent pas parler avec un professionnel de santé de leur manque d’attirance pour le sexe". Depuis 2013, le fait d’être asexuel vous exclut du diagnostic de HSSD.

Cela n’empêche pas les gens d’insister pour que leurs amis asexuels consultent leur médecin à ce propos. L’animateur Montel Williams avait demandé à David Jay si l’on avait vérifié son taux d’hormones. Une question que les asexuels entendent si souvent qu’elle figure parmi les questions les plus fréquentes de l’Asexuel Visibility and Education Network (AVEN), un site fondé par Jay en 2001.

La question sur les hormones sous-entend que les asexuels ont un problème, mais elle ne repose sur aucun fait selon Brotto.

"L’asexualité est banale. Elle correspond à des variations normales du désir, et dans la majorité des cas, ce n’est pas un choix, ou un souhait, ou le résultat d’un choc, ou un autre type de problème psychologique", ajoute Brotto.

Il peut être vrai, souligne Brotto, que les asexuels ont un taux supérieur de problèmes psychiatriques, mais il est aussi bien connu que les différences en matière de santé mentale entre les personnes LGBT et la population globale peuvent être attribuées aux discriminations qu’ils subissent. Cela peut donc être aussi le cas pour les personnes asexuelles. Une étude de 2012 montre que les personnes asexuelles sont vues comme moins humaines, moins valorisées que les hétérosexuels et les minorités sexuelles : "Ne pas être vu comme totalement humain peut être une expérience douloureuse, comme les membres de plusieurs minorités peuvent en témoigner".

"La détresse et les problèmes psychologiques rencontrés par les individus asexuelles sont le résultat du préjudice et de la discrimination qu’ils subissent, alors que l’asexualité n’est pas le résultat de problèmes psychologiques sous-jacents", indique l’étude.

Il existe de nombreuses preuves que l’asexualité est une orientation sexuelle, dont le fait que la majorité des asexuels l’ont été pendant toute leur vie, comme le souligne l’AVEN WiKi, et de nombreuses études qualitatives. L’existence même d’AVEN est aussi un indicateur de l’existence de cette orientation. Et certaines études s’intéressent aux liens entre asexualité et certains facteurs biologiques.

Mais la question de la définition de l’orientation sexuelle reste ouverte. L’asexualité est-elle mieux conceptualisée comme une orientation sexuelle ou bien comme l’absence d’une orientation sexuelle ? Cette dernière possibilité n’a pas été explorée de manière adéquate par la science selon le docteur Brotto, bien que les membres d’AVEN débattent régulièrement sur ce sujet.

Que signifie l’existence de l’asexualité, face aux définitions traditionnelles de l’orientation sexuelle ?

"Les chercheurs découvrent les fondements neuronaux des différentes formes d’attirance, cela les conduit à réfléchir sur ce qui caractérise l’orientation sexuelle", explique Brotto au Daily Beast. "Nous savons que cela s’étend au-delà des catégories traditionnelles d’attirance pour un même sexe, ou pour un autre sexe, ou pour les deux".

Les travaux de l’American Psychological Association, par exemple, définissent l’orientation sexuelle comme "une forme durable d’attractions émotionnelles ou sexuelles commune aux hommes, aux femmes ou aux deux sexes". Mais cela ne prend pas en compte le fait de n’être attiré par personne. Et, pour certains asexuels, le manque d’attirance sexuelle peut coexister avec une attirance romantique pour une ou plusieurs personnes. C’est ce qui a conduit les utilisateurs d’AVEN à parler d’hétéroromantique ou d’homoromantique pour tenir compte de la distinction entre attraction romantique et attirance sexuelle.

Il est clair, comme Mme Brotto le remarque, qu’il y a "de la diversité dans le manque d’attirance sexuelle chez les asexuels, comme il y en a chez les personnes non-asexuelles".

"Le fait qu’un individu puisse développer une attirance romantique qui ne soit pas simultanément associée à une attirance sexuelle remet en cause certaines de nos certitudes sur ce qui est humain et normal. Cela nous amène à nous interroger sur nos propres vies et nos croyances", conclut le docteur Brotto.

Quelle que soit votre orientation, c’est sans doute une bonne chose.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !