Quel impact électoral des stratégies sanitaires ? : petites leçons tirées des élections post Covid dans le monde<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président américain Donald Trump saluait le président brésilien Jair Bolsonaro à la Maison Blanche à Washington, le 19 mars 2019.
L'ancien président américain Donald Trump saluait le président brésilien Jair Bolsonaro à la Maison Blanche à Washington, le 19 mars 2019.
©JIM WATSON / AFP

Conséquences dans les urnes

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la politique sanitaire et le soutien à l'économie sont devenus des enjeux importants des décisions politiques. Les victoires ou les défaites électorales sont-elles liées à la gestion de la crise sanitaire par les dirigeants à travers le monde ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Cela fait maintenant bientôt deux ans que le Covid pèse sur nos vies. Pendant deux ans, la politique sanitaire est devenue un enjeu important des décisions politiques, tout comme le soutien à l'économie. Lorsque l'on regarde à travers le globe, certains gouvernements ont-ils réussi à capitaliser sur le Covid pour se maintenir au pouvoir ?

Christophe Bouillaud : Effectivement, au niveau global, on serait plutôt tenté de constater une absence de corrélation entre le sort des pouvoirs en place et leur gestion, plus ou moins réussie, de l’épidémie de COVID. Finalement, dans aucun pays, même parmi les plus touchés et à la situation économique la plus fragile, comme l’Iran ou la Turquie par exemple, cette épidémie n’a provoqué jusqu’ici un écroulement du pouvoir. Quand cela a eu lieu, comme au Soudan, avec de plus un retour très rapide des forces dictatoriales liées à l’armée soudanaise aux affaires, le lien est loin d’être évident avec l’épidémie de COVID. De fait, la gestion de l’épidémie favorise la prise de mesures extra-médicales visant à contrôler les mouvements des populations, et cela ne déplait sans doute pas aux pouvoirs les plus autoritaires. Et, jusqu’ici, aucun mouvement de protestation, contre l’une ou l’autre mesure liée à la lutte contre l’épidémie ou à ses conséquences sociales ou économiques, n’a vraiment réussi sur cette seule base à renverser un pouvoir autoritaire en place.

Inversement, une bonne gestion ne paye pas tant que cela dans les pays démocratiques. Certes, on pourra toujours citer le cas néo-zélandais, où l’excellente gestion de la première phase de la pandémie a permis à la Première Ministre travaillistes de se voir renouveler avec une forte majorité son mandat. Mais est-ce que cette victoire n’aurait pas eu lieu de toute façon ? La récente défaite de la CDU-CSU aux élections allemandes a été complètement séparée de la gestion prudente de l’épidémie par le dernier gouvernement Merkel.

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A l'inverse, la gestion de la pandémie a-t-elle été responsable de défaites électorales à travers le monde ? Peut-on attribuer la défaite de Trump en partie à certains éléments liés au Covid ?

La gestion du COVID n’a jamais été la raison majeure d’une défaite électorale. C’est toujours un élément parmi d’autres. Pour ce qui est de la défaite de Trump, on pourrait presque faire le raisonnement inverse. Sa courte défaite et surtout le résultat excellent des Républicains qui regagnent des sièges à la Chambre des représentants et perdent de très peu la majorité au Sénat tiennent sans doute à leur gestion de l’épidémie, avec l’accent mis sur les libertés individuelles au détriment de la santé publique. Il faut rappeler qu’actuellement, aux Etats-Unis, il ne fait plus aucun doute que le gros de l’électorat républicain demeure très réticent à la vaccination et encore plus à toutes les mesures non-médicales de contrôle de l’épidémie (masques par exemple). Le fond libertarien de l’électorat trumpiste et des élus républicains a plutôt joué à plein pour limiter la défaite de Trump. C’est d’ailleurs le seul pays développé, avec le Royaume-Uni, où le mouvement de négation de la gravité de l’épidémie et de refus  de la prendre au sérieux a trouvé un débouché politique de ce niveau. En Allemagne, en Italie, ou aux Pays-Bas, cette vision libertarienne – ou darwinienne si l’on veut du point de vue sanitaire – a été maintenue aux franges du système politique, soit dans des mouvements extra-partisans, soit dans des partis exclus du pouvoir pour leur extrémisme, le plus souvent à l’extrême-droite. C’est seulement au Royaume-Uni, au sein même du Parti conservateur de Boris Johnson, actuellement au pouvoir, qu’on retrouve cette même attitude de « laisser contaminer, laisser mourir » au nom des libertés individuelles et de la primauté de l’économie.  Cette circonstance n’est pas sans lien avec les grandes difficultés actuelles du Royaume-Uni à prendre les mesures qui s’imposeraient pour contrôler l’épidémie dans sa phase Omicron.

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Au vu des exemples étrangers, doit-on s'attendre à ce que la gestion du Covid par le gouvernement ait un impact sur l'élection présidentielle française ?

A moins que des événements, encore inimaginables à ce jour, se produisent d’ici le mois d’avril, je ne crois pas que cette dernière doive avoir un impact distinct du jugement général que les différents segments de l’électorat portent sur l’action d’Emmanuel Macron depuis 2017. Par exemple, jusqu’ici, le pouvoir a fortement favorisé les actionnaires (prélèvement forfaitaire de 30% sur les dividendes par exemple). Il a pris grand soin de protéger les entreprises du secteur privé, et indirectement leurs salariés, des effets les plus durs de la crise économique lié au COVID. Il s’est bien gardé d’augmenter les impôts – une fois passée l’augmentation de la CSG pour les retraités les plus aisés – au contraire, il a continué de mettre en œuvre cet automne  la suppression progressive de la taxe d’habitation pour les hauts revenus. Inversement, il laisse gelé le point d’indice de la fonction publique encore pour l’année 2022, et il n’a donné aucun « coup de pouce » au SMIC. Je pourrais lister tous les éléments de politique publique du « macronisme » pour bien montrer que le COVID n’est dans le fond qu’un détail, ou plutôt qu’une illustration de la manière « macronienne » d’aborder les enjeux de politique publique.

Du coup, en cette fin d’année 2021, à quatre mois de l’élection présidentielle, la répartition sociale et politique des intentions de vote, telles qu’elle est mesuré par les différents sondages disponibles, ne semble pas du tout différente de ce qu’elle était avant l’épidémie de Covid-19. Les partisans du macronisme trouvent que le gouvernement a bien géré la crise, et les opposants des deux bords pensent le contraire – pour des raisons d’ailleurs parfois convergentes et parfois divergentes.

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Surtout la version libertarienne n’est pour l’instant endossée par aucune grande force politique. Les protestations contre le Pass sanitaire continuent certes à bas bruit, mais elles n’ont pas, en dehors d’une partie des outre-mer, changé en quoi ce soit la donne politique ou sociale. Les Patriotes de Philippot restent en métropole seuls sur ce créneau, même s’il semble qu’Eric Zemmour soit aussi tenté de l’occuper.

Au total, ce faible impact de l’épidémie sur la vie politique des différents pays tient largement à l’asymétrie fondamentale de la situation créée par une épidémie comme le COVID-19. En effet, en suivant les recommandations de l’OMS, et l’avis de la majorité de la communauté scientifique, les gouvernants « responsables » n’ont d’autre choix que de prendre des mesures liberticides, coûteuses, gênantes, qui vont de la vaccination au port du masque, en passant par l’aération des lieux publics ou les mises en quarantaine, pour ne citer que quelques-unes. Aucun gouvernement responsable, depuis fort longtemps d’ailleurs, comme l’ont rappelé les historiens, ne peut en effet accepter sans réagir un surcroit soudain et brutal de mortalité dans la population dont il a la charge. Or, de ce fait, il ne reste comme options pour s’opposer que, d’une part, celle de la surenchère en la matière, ou, d’autre part, celle du déni.

La surenchère consiste à dire que le gouvernement ne fait pas bien son travail de protection de la population, mais cela mène souvent les opposants à demander encore plus de mesures contraignantes, couteuses, gênantes. Ainsi, en France, le gouvernement a créé le Pass sanitaire et l’a rendu obligatoire en de nombreux lieux. Des opposants dans la surenchère proposent l’obligation vaccinale pour tous au nom de l’efficacité, mais il est évident que cette option serait encore plus contraignante que la situation actuelle – que le gouvernement fait d’ailleurs évoluer vers l’obligation vaccinale de fait. Du coup, le gain électoral à attendre d’une telle surenchère ne va pas de soi.

A l’inverse, la stratégie du déni, celle qui a été celle par exemple d’un Bolsonaro au Brésil, possède bien sûr l’avantage de permettre à tout le monde de continuer à faire comme si rien ne se passait – sauf aux malades, décédés et endeuillés évidemment. Malheureusement pour ses partisans, elle se heurte rapidement au mur du réel. Les cimetières se remplissent trop vite, et le déni devient difficile à tenir. Il faut alors une vision du monde extrêmement forte et structurée, une vision du monde totalement imperméable à la réalité des faits pour résister, souvent une vision du monde qu’il est loisible de qualifier, vu de l’extérieur, de complotiste. L’épidémie est vue par exemple comme un complot mondial contre les libertés (le « Great Reset ») ou bien comme la plus grande escroquerie jamais montée par les firmes pharmaceutiques. Le seul cas évident de réussite électorale et politique de cette stratégie du déni se trouve aux Etats-Unis chez les Républicains. Une grande partie de la population y reste en effet sur une ligne de déni de la gravité de la situation, largement parce que tout un écosystème médiatique et politique les a enfermés dans cette vision du monde. Nul ne sait à quel niveau de mortalité dans une sous-population dans le déni il faut monter pour qu’elle accepte la réalité. Il parait très loin d’être atteint dans ce cas précis.

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