Que peut faire la Russie en cas de "sanctions sans précédent" ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Défense
Le président américain Joe Biden et le président russe Vladimir Poutine lors d'une rencontre diplomatique à Genève, le 16 juin 2021.
Le président américain Joe Biden et le président russe Vladimir Poutine lors d'une rencontre diplomatique à Genève, le 16 juin 2021.
©DENIS BALIBOUSE / POOL / AFP

Diplomatie

Face à la situation explosive qui persiste entre la Russie et les Occidentaux malgré les rencontres de janvier entre les deux parties, il est légitime de se demander quelles pourraient être les réactions de Moscou si les pays occidentaux déclenchaient les « sanctions sans précédent » promises en cas d’agression contre l’Ukraine.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

Ces sanctions devraient être essentiellement économiques et politiques.

La première réponse se situerait probablement dans ce domaine avec une suspension de la fourniture de gaz à l’Europe (les deux tiers de l’approvisionnement en gaz de l’Europe proviennent de Russie) même si cela doit nuire à l’économie russe en général et au projet Nordstream 2 en particulier. Washington aurait étudie cette option et se proposerait de suppléer au manque…

De manière à contrebalancer les effets désastreux d ce véritable embargo sur le plan financier, cela pousserait Moscou à se rapprocher encore un peu plus de Pékin afin d’accroître les échanges entre ces deux puissances. En fait, il a longtemps que Moscou joue la carte de la coopération avec Pékin en particulier via l’Organisation de Coopération de Shanghai, qui réunit huit pays : Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Chine, Inde et Pakistan. Il n’en reste pas moins que cette organisation qui comprend des pays aux intérêts différents voire conflictuels (Pakistan – Inde ; Inde - Chine) saurait sans doute les surmonter en cas de crise majeure déclenchée par les États-Unis suivis de leurs alliés car le sentiment de l’ « ennemi commun » serait le plus fort.

Sur le plan politique, ce serait la « réciprocité » habituellement pratiquée qui serait mise en oeuvre (expulsions de diplomates, ruptures de relations diverses, embargos sur des marchandises, etc.).

Mais si le président Poutine est directement touché par des sanctions comme cela été proposé par des sénateurs américains, il est fort probable que cela conduirait à une rupture des relations diplomatiques avec Washington et avec les pays qui suivraient l’exemple de la Maison-Blanche. On plongerait plus que jamais dans la période de la guerre Froide.

À Lire Aussi

Tensions à la frontière ukrainienne : Escalade diplomatique et dialogue de sourds

Il serait toujours possible pour le président Poutine de se rendre aux siège des Nations Unie à New York car les autorités américaines sont tenues de laisser tous les chefs d’État - même ceux qui sont interdits de territoire américain - d’y venir. Il n’est pas impossible qu’il ne le fasse pas car cela aurait un retentissement planétaire.

Aspect militaire

Si les sanctions annoncées ne comportent pas un volet militaire affiché, les forces de l’OTAN renforceraient toutefois leur présence en Europe et des armements (et la formation des personnels) pourraient être fournis aux pays amis.

Les incidents de patrouilles aériennes et maritimes se multiplieraient avec une augmentation significative de risque de rencontres pouvant dégénérer en affrontements armés. Il est probable que les décideurs respectifs qui, sur le fond, ne souhaitent pas la guerre, tenteraient de circonscrire ces évènements de manière à ne pas franchir le pas fatidique vers un conflit ouvert dont l’issue risque d’être apocalyptique.

À l’instar de l’OTAN, le dispositif militaire russe serait considérablement renforcé le long des frontières avec les pays occidentaux avec, en particulier, le déploiement d’unités d’artillerie (domaine dans lequel l’armée russe excelle). L’information comme quoi certains missiles sol-sol pourraient être équipés de têtes nucléaires seraient habilement « fuitées ». Ce serait vraisemblablement le cas dans l’enclave de Kaliningrad où des systèmes Iskander SS-26 Stone sont déjà déployés. Depuis la fin du « Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire » en 2019, l’Iskander peut être armé de missiles de croisière ayant une portée de 2.000 kilomètres (auparavant, ils ne devaient pas dépasser les 550 kilomètres). Là également, cela serait un grand pas en arrière puisque l’on se retrouverait au temps de la crise des  euromissiles (1977-1987) avec les Pershing américains à l’Ouest et les SS-20 à l’Est.

À Lire Aussi

Vladimir Poutine est-il en train de gagner son bras de fer contre l’Occident ?

Sur le flanc asiatique, la Russie s’appuie plusieurs structures internationales dont elle est membre fondatrice dont l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) qui réunit cinq pays : la Biélorussie, l’Arménie, le Kirghizistan, le Tadjikistan et le Kazakhstan. L’OTSC dispose de deux forces collectives : une de réaction rapide de 18.000 hommes et une de maintien de la paix de 3.500 hommes. C’est cette dernière qui a été engagée en janvier au Kazakhstan pour soutenir le président Kassym-Jomart Kemelouly Tokaïev face à des émeutes dont les origines exactes ne sont pas formellement connues à ce jour. Cette crise a néanmoins permis à la Russie d’affirmer sa prééminence stratégique en Asie centrale par rapport à l’Occident et, accessoirement à ses deux « concurrents » directs sur zone : la Turquie et la Chine. 

Alors que les bases du Kamtchatka monteraient aussi en puissance, les exercices communs avec l’armée populaire de Chine se multiplieraient au large de la Corée et du Japon à la grande satisfaction du régime nord-coréen.   

Ailleurs, les implantations militaires russes à l’extérieur, dont celles de Syrie, seraient également renforcées et une coopération militaire pourrait être envisagée avec l’Iran, en particulier pour l’utilisation de certaines de ses infrastructures aériennes comme celle d’Hamedan (déjà employée par l’aviation russe à partir de 2016 pour bombarder les rebelles syriens).

Progressivement, des conseillers puis des armements seraient dépêchés dans des pays d’Amérique latine favorable à Moscou.

À Lire Aussi

Dans la tête de Vladimir Poutine

L’Argentine a signé un accord militaire avec la Russie en décembre 2021. Selon le ministre argentin de la défense, Jorge Taiana, ce ne serait qu’« une étape qui permettra une plus grande relation entre les deux forces armées ».

Le Venezuela (qui a déjà accueilli deux bombardiers Tu-160 Blackjack en décembre 2018 et qui possède 24 Su-30MK2 depuis le milieu des années 2010 - certains ayant disparu -) est demandeur. Un projet d’installation de bombardiers du même type sur la base militaire Antonio Diaz Naval Air Station sur l’île de La Orchila (Venezuela) située à 2.000 kilomètres des États-Unis a été évoqué par Moscou en 2009 puis en 2018 … 

Le Nicaragua équipé essentiellement de matériels russes (dont au moins 20 chars T-72B reçus en 2016 - 30 autres devaient arriver -) et Cuba sont prêts à apporter leur soutien s’il est demandé.

La cession ou la vente d’armements - particulièrement aériens - à ces pays constitueraient une épine dans le pied pour les Américains mais aussi pour les Britanniques. Ces derniers verraient leur souveraineté sur les Malouines (Falklands) menacée de nouveau par l’Argentine si cette dernière reçoit des chasseurs bombardiers équipées de missiles anti-navires.

La Maison-Blanche est consciente de ces réactions qui sont du domaine du possible. Il semble que ce qui dérange le plus Washington, c’est le rapprochement russo-chinois qui serait la conséquence la plus difficile à gérer.

De son côté, le président Poutine reste prudent. Comme tout bon (ancien) officier de renseignement, il a horreur de l’inconnu et ne veut avancer ses pions qu’en connaissance du dessous des cartes. Mais le Kremlin a aussi toujours joué de la surprise comme cela a été constaté lors du déclenchement de l’invasion de Afghanistan en 1979, des interventions en Crimée en 2014 puis Syrie en 2015.

Seule conclusion que l’on peut tirer de la situation actuelle : elle est plus que délicate et pleine de risques que ne semblent pas mesurer les va-t’en guerre présents de par et d’autre.   

À Lire Aussi

La russophobie existentielle des Etats-Unis : risque de guerre ou suicide géocivilisationnel ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !