Que la France ait sauvé la note de sa dette n’y change rien, l’épargne des Français est en ligne de mire<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un déplacement à Bergerac.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un déplacement à Bergerac.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Mauvaise nouvelle derrière la bonne

L’agence de notation Moody’s a maintenu la note souveraine de la France, au niveau « Aa2 », malgré la récente dégradation des finances publiques du pays.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Pour certains observateurs proches des milieux gouvernementaux, l’influence d’une dégradation de la notation de la France par deux Agences majeures n’aurait pratiquement «  aucune importance ».

J’aimerais pouvoir partager cet optimisme mais le fruit de mon analyse ne m’autorise pas un tel discours confirmatif.

De manière digne du théâtre de Pirandello ( comique de répétition ) tant Moody’s que FitchRatings ont décidé d’un statu quo que je pose, oui je l’affirme, comme illégitime.

La dégradation aurait été un cuisant revers qui nous – j’insiste sur le nous en tant que quidam parmi les contribuables et épargnants – aurait coûter des sommes conséquentes.

Pour recourir à un vocable présidentiel : «  Un pognon de dingue ! »

En effet, se voir dégrader aurait immédiatement pour conséquence de renchérir le coût de nos emprunts à venir. Or, pour mémoire, l’Agence France Trésor se doit de lever 285 milliards d’€uros en 2024.

Les créanciers échaudés par nos piètres performances économiques et budgétaires vont appliquer une prime de risque et il sera donc plus onéreux de «  placer «  du papier émis au nom du Trésor. La notation est purement accessoire au regard de cette réalité de marchés.

Un flot d’emprunts à hauteur de 285 milliards :

Bien entendu, le taux moyen va rester au-dessus de 3%( sa valeur moyenne récente pour les OAT à 10 ans ) et ne devrait pas s’envoler comme ce fût le cas du temps de l’éphémère première ministre britannique( Liz Truss ) dont le Royaume-Uni garde un souvenir pécuniaire cuisant.

En revanche, il n’est pas très difficile de concevoir qu’un essor de nos taux d’emprunt aura un impact sur notre capacité à rembourser le principal de la dette et sur notre fluidité face au niveau croissant de la charge de la dette.

La France présente un stock de dettes qui a une maturité d’environ 7 années. L’Agence France Trésor fait rouler la dette en remboursant ce qui est légalement échu et en souscrivant de nouvelles tranches d’emprunt. C’est précisément là que la situation se tend : ce que nous devons rembourser a été majoritairement souscrit du temps des taux d’intérêt extrêmement bas voire négatifs. Or, désormais nous souscrivons des tranches qui portent une quote-part variable liée à l’inflation mais aussi à la matérialisation de la prime de risque reliée à la qualité reconnue ( notamment par les agences de notation mais pas seulement, exemple le FMI qui a récemment déclaré que le retour à un déficit budgétaire de – 3% à horizon 2027 est illusoire ) de l’emprunteur. 

«  Maintenant ça va tanguer ! »

Clairement, il faut goûter certains discours avec prudence. La France est dans une situation critique et le nier revient à véhiculer des fadaises dans un but plus partisan que teinté de rectitude.

Comme l’a dit avec justesse Pierre Mendès-France dans un dîner tenu chez Françoise Giroud le soir du 10 mai 1981 : «  Maintenant ça va tanguer ! »

Je n’aurais pas l’outrecuidance de reprendre à mon compte le verbatim de cette citation mais j’adhère pleinement à son esprit.

Nous sommes dans un pays où la recherche économique indépendante est parfois malmenée au profit d’une doxa qui masque mal les arrangements entre amis. Nous serons séniles ou ensevelis quand la réalité de la négociation entre les Agences et la France sera enfin dévoilée.

Dégradations et jeu de beurdins :

Cette histoire de notations et de dégradations pose une lumière crue sur celles et ceux qui ne veulent pas sortir d’une forme de déni parfaitement préjudiciable à nos descendants. Que le présent lectorat sache que j’ai honte d’avoir voté pour plusieurs dirigeants qui avaient la formation académique pour comprendre et tenter de juguler la croissance infernale de la dette et qui n’ont été que des « beurdins «  ( synonyme amical de simplet en patois du Morvan ).

Et pourtant, ils ont été mis en garde par des esprits affûtés : je pense notamment aux Gouverneurs Jacques de Larosière et Jean-Claude Trichet ou à l’estimé Philippe Aghion.

En tant qu’économiste indépendant, je vais donc offrir aux lectrices et lecteurs un point massif d’ancrage de ma préoccupation. Tout simplement en rapportant l’analyse récente du HFCP ( Haut Conseil des Finances Publiques ) dont la pondération se conjugue avec la remarquable insertion dans le paysage institutionnel de notre pays. Ce dernier pourra remercier, le moment venu, Monsieur Didier Migaud et Pierre Moscovici.

HCFP : 15 Avril 2024

En date du 15 Avril 2024, l’Avis n° HCFP-2024-1 «  relatif au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes 2023 » indique que le déficit des administrations publiques «  se creuse» de 28,2 Md€ et de 0,7 point de PIB et se trouve éloigné des prévisions des PLF 2023 et 2024.

Rappelons que la Loi du 18 Décembre 2023 de programmation des Finances publiques 2023-2027 estimait le déficit à 4,9 points de PIB contre les 5,5 points constatés !

«  Le Haut Conseil constate par le présent avis que les circonstances exceptionnelles identifiées en 2020 ne sont plus réunies et ne doivent pas être prises en compte dans l’examen du présent projet de loi ».  

Autrement dit la culture de la justification permanente, de «  c’est la faute à ceci ou cela » ne fonctionne plus. La réalité est que la situation budgétaire n’est pas maîtrisée.

Expliquer que le manque de recettes est notre souci premier ( et non la dynamique haussière continue des dépenses publiques ) est une «  carabistouille «  pour utiliser une expression de l’auteur illustre, le président de la République en personne, de cette regrettable inversion de causalité. Cette personnalité a le potentiel cognitif requis pour comprendre mais il feint de jauger l’ampleur des périls.

Comment gommer de son esprit que le déficit public de 173 Mds est le double de la recette issue du produit net de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

Un parfum de baraterie !( ancien article 353 du Code de commerce )

La sous-estimation de la croissance parfaitement assumée par l’Exécutif est assimilable à une baraterie commise par un capitaine de vaisseau qui s’étouffe à force de se croire en capacité de faire remonter l’essentiel de la décision publique vers la position faîtière que les Institutions et le vote populaire incontestable lui confèrent.

Avec cette posture, tant la dette que les votes extrêmes se trouvent alimentés telle une vis sans fin jusqu’au jour où le big-bang de l’Histoire nous rattrapera comme ce fut le cas de la Grèce.

J’ai écris à plusieurs reprises que l’épargne des Français était une sorte de caution pour nos créanciers et je remémore ici les conditions de l’emprunt obligatoire ( je dis bien : obligatoire et non obligataire ) de 1983 que l’application du programme audacieux de 1981 avait requis derechef.

Faute d’assumer un choc fiscal habile car point trop contracyclique, nous allons vers une spoliation hautement réaliste des épargnants précisément décidée par des acteurs de la désormais fameuse dérive de 1.000 milliards.

C’est le formidable débat sur la taxation de la rente instillée par le Premier ministre Attal sans toutefois oser – avant le scrutin européen du 9 Juin 2024 – définir les contours de ce vocable.

Le contribuable averti se souvient que les assujettis à l’ISF ont dû payer deux fois sur l’exercice 2012 consécutivement à l’instauration d’une contribution exceptionnelle.

L’État est assez habile en communication. Il peut dire qu’il n’augmente pas les impôts mais jouer à la doublette de 2012 !

Le statu quo des deux Agences a été obtenu par la mise sur le billot de l’épargne française. Pour sauver un pouvoir dans l’embarras un quarteron de décideurs a gagé son propre devenir sur les milliards de notre épargne.

C’est digne de Stavisky plus que de Jacques Rueff ou d’Antoine Pinay.

HCFP : 16 Avril 2024

L’Avis n° HCFP-2024-2 «  relatif aux prévisions macroéconomiques associées au Programme de stabilité pour les années 2024 à 2027» est un texte important qui balaye les discours lénifiants que le citoyen doit parfois subir.  Parfois étant un terme mesuré si l’on songe aux multiples interventions ministérielles médiatiques que la réalité a finalement démentie.

Le HCFP n’est pas bridé par un formalisme excessif mais tient à pouvoir disposer du temps requis afin d’accomplir avec sérieux et sérénité ses travaux.

Le premier paragraphe de l’Avis du 16 Avril est net :«  Le Haut Conseil a été saisi en trois temps, du 9 au 11 Avril 2024, sur les prévisions associées au Programme de stabilité. Il regrette que la saisine du Gouvernement ait été tardive, incomplète et qu’elle ne permette pas d’éclairer précisément les choix faits alors que les Finances publiques de la France présentent une situation préoccupante».

Un travail bâclé ?

En tant qu’économiste indépendant et ancien de la sphère publique, je considère que ces mots pesés au trébuchet émanant d’une autorité constituée ( au sens de l’article 40 du Code de procédure pénale ) ne sont rien de moins qu’un soufflet en réponse à des pratiques hautement regrettables. Si le 16 Avril 2024, le HCFP est en capacité d’écrire ainsi, cela n’augure rien de bon quant à la présentation étayée transmise aux Agences de notation ( d’évidence avant le 16 courant ).

Certains viseraient un désordre administratif et une surcharge de travail des équipes valeureuses qui ont pour mission de tenir les rênes de nos Finances publiques. En fait, il semble régner un parfum de baraterie – je répète ce mot qui a une portée juridique – où l’insouciance se fiance à une forme d’incompétence que des analystes étrangers sont dans l’obligation de souligner. Par respect de notre pays, j’ai toujours refusé depuis la crise Covid de sauter d’un plateau télévisuel à l’autre. Les économistes qui se complaisent à tenir des propos sur le déclin de la France n’apportent ni solution ni ambition. Ils s’écoutent narcissiquement sans entendre la clameur qui monte depuis un peuple qui subit déjà la paupérisation voire le déclassement social durable.

Et ce climat fournit un argument négatif autant que significatif aux agences de notation. En ce moment, bien des économistes se penchent sur la question de la productivité : sujet important et délicat à appréhender. Ma connaissance de plusieurs dirigeants d’ETI me permet d’énoncer, in vivo, que l’ardeur au travail est souvent évanescente ce qui ne soustrait pas la question connexe de la pénibilité du travail.

Le regretté Alfred Sauvy et d’autres dont les économistes «  atterrés» ont su écrire des lignes pertinentes sur le rapport au travail. Dominique Méda publie des travaux qui illustrent l’absence de consensus à l’allemande au sein des entités de production. Autant dire que Moody’s et FitchRatings ne sauraient négliger ce paramètre qui ne facilitera pas le redressement des comptes publics. Et bien devinez la cerise sur le gâteau ? Ni l’une ni l’autre ( longtemps propriété de Marc Ladreit de Lacharrière ami des Macron ) n’ont tenu compte de cet argument.

Et le pacte social ?

En France, l’État est fier – à raison - de savoir collecter les impôts et taxes mais il est oublieux du pacte social. L’uppercut aux élites formalisé par les Gilets jaunes n’a pas, au fond du fond, été éradiqué de notre fonctionnement social. Delacroix a su peindre la liberté guidant le peuple : de nos jours, des artistes savent décrire la méfiance intrinsèque au monde du labeur.

Quand les agences de notation s’attellent au dossier brûlant de la dette de Paris( 2 Mds du temps de Bertrand Delanoë, 9 Mdsdu temps de l’actuelle mandature ), elles maintiennent leur notation en posant un considérant essentiel : le fort potentiel fiscal des contribuables parisiens.

En clair, le raisonnement consiste à dire que «  tout va bien »  puisque la future tonte des moutons demeure finalement indolore.

Ce raisonnement aussi vicié que vicieux a été appliqué ce jour à la France de Bruno Le Maire vainqueur d’un jour là où la nation subit une perte de chance de redevenir vertueuse.

Des dépravés intellectuels pourraient pousser cette métaphore au plan national. Des économistes de renom l’ont fait en soutenant le combat étonnamment idéologique de France-Stratégie en matière de «  loyers fictifs» qui est une proposition attentatoire au droit constitutionnel de la propriété privée.

Oui, il faut un sursaut pour mieux tenir la question budgétaire ( nouvelles tranches de l’impôt sur le revenu, taxe sur les superprofits comme envisagée par Jean Serisé en 1975 ) mais il est essentiel de comprendre l’économie comme la réunion la plus harmonieuse possible des habitants d’un territoire donné, en l’occurrence l’Hexagone et les Outre-Mer.

Dans la vie d’une Nation, Simon Nora et Jacques Delors ont su élaborer la «  Nouvelle société»  et concevoir la mensualisation. Pour retrouver de l’air et ainsi sortir de l’ornière, il faut être imaginatif au plan social sinon les «  perspectives «  des agences seront tristement «  négatives».

Et si nos élites prenaient le temps de lire les pensées du Doyen Henri Bartoli( cf. Économie et création collective ) qui dès 1980 avaient su établir une corrélation entre l’harmonie au travail et le PIB. 

Retour sur l’Avis du HCFP du 16 Avril 2024

Manifestement, l’équipe au pouvoir ne porte pas chance à la France.

Pire, c’est la scoumoune si l’on considère la rectitude des chiffres, à commencer par l’inversion en cours de la courbe du chômage.

L’inflation est loin d’avoir disparue comme l’atteste, par exemple, les comptes de Nexity( coûts soutenus des matériaux de construction, etc ) et nous sommes dans une croissance tellement atone que je maintiens que la stagflation est devant nous.

En polémologie, on apprend que la guerre a un coût et le prix du sang. Notre État ne pense pas en coûts complets ( il suffit de voir les dérapages entre le coût prévisionnel de tel ou tel ouvrage et son prix final d’achèvement ) et le sang ponctionné sur la sphère privée est un désastre pour qui songe à la motivation notamment des jeunes. On entend rarement Madame Hidalgo évoquer les milliers de Parisiens qui quittent «  sa »  ville. On entend encore plus rarement le président Macron traiter l’épineux sujet de l’expatriation des jeunes. Trop de sang neuf décide de fuir notre belle France.

Comment imaginer qu’un paramètre aussi crucial ait pu échapper à la sagacité – dont je ne disconviens pas – de deux agences de notation ?

Le déficit et la dette :

«  Dans son Avis de Septembre 2023 sur le projet de programmation des Finances publiques 2023-2027, le Haut Conseil estimait que le scénario de croissance du Gouvernement était optimiste et que la trajectoire de Finances publiques était peu ambitieuse au regard des engagements européens de la France, alors même qu’elle supposait d’importantes économies structurelles qui resteraient à préciser ».  

«  La nouvelle trajectoire de Finances publiques présentée dans ce Programme de stabilité est nettement plus dégradée que dans la LPFP. …/… La France tarde ainsi à réduire son ratio de dette sur PIB et resterait durablement parmi les trois pays les plus endettés de la zone euro ».

«  Le Haut Conseil considère que cette prévision manque de crédibilité …/… manque également de cohérence. »

Les annonces trompeuses de l’Exécutif :

Pour le Gouvernement, tout est clair le déficit public exprimé en pourcentage du PIB sera de -5,1 en 2025, de -4,1 en 2025, de -3,6 en 2026 et de – 2,7 en 2027.

Ces chiffres ne sont pas crédibles. Je le pense mais peu importe. Ce qui compte c’est notamment l’analyse du FMI qui diverge avec ce conte de fées.

A force d’écrire des romans, on se fait un roman dans la tête, n’est-ce pas Monsieur le ministre ?

Dans le programme de stabilité examinée avec minutie par le HCFP, la dette ressort à 113,1% du PIB en 2025 et à 112% en 2027 : année où la charge de ladite dette atteindra plus de 70 Mds d’€uros.

Dans ces conditions, décrites par l’Exécutif, comment est-il possible de maintenir la notation de la France sans dévoyer son utilité institutionnelle.

Paris a promis au-delà du raisonnable et les mérous d’Outre-Atlantique ont été de bonne composition sur le dos et au plein détriment des épargnants de France.

Ce n’est plus un arrangement, c’est une vilainie.

Dans le présent texte, j’ai pris le soin de citer le HCFP dont je loue l’intégrité.

Dans le même texte, j’ai émis ma désolation quant aux raisonnements que les deux agences de renom ont utilisés.

En conclusion, l’avenir démentira ces entités assimilables à ces vendeurs de poudre d’enfumage et qui de plus crédible que Condorcet pour achever mes lignes :

«  Tout homme qui fera profession de chercher la vérité et de la dire sera toujours odieux à celui qui exercera l’autorité. » (Mémoire sur l’Instruction publique ).

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