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Que faut-il vraiment espérer de la riposte “sans limite” promise par Mario Draghi pour sauver la croissance européenne ?
©Reuters

Super Mario (Draghi)

Jeudi 21 janvier, Mario Draghi a fait montre, une fois de plus, de sa volonté d'améliorer la situation économique de la zone euro. Les différents plans menés précédemment, s'ils étaient utiles, n'ont pas su se montrer suffisants.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Jeudi 21 janvier, Mario Draghi a présenté quelques propositions pour répondre aux difficultés relatives aux pays émergeants et à la volatilité des marchés financiers. "Il sera nécessaire de revoir et éventuellement de reconsidérer notre politique monétaire", a-t-il exprimé. Concrètement, à quoi correspondrait cette révision de la politique monétaire ? Pourrait-elle mieux fonctionner encore que les précédentes tentatives ?

Mathieu Mucherie : La révision ne serait pas une détente monétaire, car nous sommes en resserrement passif depuis des mois (chute des monnaies émergentes versus euro, hausse des taux réels appliqués aux firmes) : ce serait une petite correction dans le bons sens, un geste nécessaire vu le carnage sur les actions et sur le reste depuis que la BCE n’a pas honoré, début décembre, ses promesses d’octobre-novembre, et indispensable tant que la FED s’acharne dans son impasse de la hausse des taux en plein ralentissement de l’activité et en pleine pénurie du dollar à l’échelle globale.

La BCE pourrait/devrait baisser le taux de la facilité de dépôt (qui fait office concrètement de taux directeur depuis fin 2014) : de -0,3%, nous pourrions passer à -0,4% en mars. Vous voyez là tout le courage et l’ambition de Francfort, sachant que depuis 2009 nous devrions être à -3%. La BCE pourrait aussi aménager son programme d’achat d’actifs (QE) dans le sens d’un périmètre plus vaste et/ou d’achats plus massifs, vers les obligations corporates peut-être. Ça ne coûte rien et ça fera plaisir. Après tout, les taux réels appliqués à de nombreuses firmes de la zone euro se situent deux fois à trois plus hauts que la croissance attendue en 2016-2017. En agissant sur les taux négatifs avec un peu plus de forward guidance, et en agissant un peu plus sur son bilan avec là aussi un peu plus de forward guidance, la BCE pourrait faire semblant de pouvoir rejoindre éventuellement un jour sa prétendue cible d’inflation (ou plutôt, de CPI) à 2%/an, après plusieurs années de violations caractérisées. Mais il y a encore du travail, une bonne partie est déjà (à tort ou à raison) dans les cours, et en matière de politique monétaire les promesses n’engagent que ceux qui les croient...  

Et, pendant ce temps-là, tous les indicateurs possibles de l’inflation s’écarte d’un trend de 2%/an sur lequel beaucoup d’agents s’étaient basés et endettés : (à noter le déclin des prix à la production ou PPI, qui en dit long sur les surcapacités et sur la déflation industrielle) :

Les débuts du quantitative easing semblaient plutôt prometteurs. Un an après le lancement, quel est le bilan que l'on peut dresser de l'action de ce plan ? Jusqu'où peut-on légitiment le taxer d'insuffisance ?

QE de 1 trillion : en proportion de la gravité de la crise monétaire et proportion du PIB de chaque zone, c’est trois fois moins que les QE anglo-saxons ou japonais. Il n’est pas illogique que l’effet soit trois fois moindre, d’autant que la BCE n’a brillé ni par son enthousiasme (critiques allemandes, pas de stratégie FX, discours gnan-gnan sur les risques car la BCE a aussi la casquette de la supervision qui entre souvent en contradiction avec sa casquette monétaire) ni par sa clarté (modifications multiples dans les modalités pratiques des achats, obscurité du timing et du périmètre) ; or un QE est essentiellement une affaire de psychologie, le but est de choquer des anticipations qui se désancre, ce n’est ni de la création monétaire pure (on ne monétise pas des déficits, on achète sur le marché secondaire des titres qui existaient déjà) ni une vraie dévaluation (ce n’est pas l’euro qui a baissé, c’est le dollar qui a monté, cf graph’ ci-dessous) ni un vrai vecteur de hausse pour le PIB réel ou pour l’emploi. Les marchés des actions en zone euro ne s’y sont pas trompés, qui ont salué le petit effort de Draghi à l’hiver 2014-2015 (mais sans boom comme sur le SP500 en 2009-2013 ou comme sur le Nikkei en 2012-2015), puis qui ont sanctionné son manque de détermination et au fond son incohérence temporelle. 

Lors de la présentation des propositions de Mario Draghi, il n'a pas été question de l'importance de la correction des projections de croissance pour les années à venir et donc de l'ampleur des mesures à prendre. Concrètement quelles sont les réponses à apporter aujourd'hui pour redynamiser l'économie et la croissance européenne ?

Ne parlons pas ici des réponses structuralistes (tout le monde accepte la flexibilisation de l’emploi du voisin, jamais du sien) ou budgétaristes (tout le monde veut baisser les impôts, rares sont ceux qui sont prêts à baisser les dépenses). Parlons des réponses monétaires à une crise monétaire. Parlons du respect de la cible d’inflation par le banquier central (il faudrait dévaluer, auraient dit Jacques Rueff ou Milton Friedman, et faire cesser l’indépendantisme extrême de la BCE), parlons d’une meilleure cible (les travaux de Scott Sumner sur le PIB nominal), parlons de l’effacement du boulet des dettes (les travaux de Gérard Thoris) que nous pourrions loger dans les bilans de la BCE, parlons de taux courts très négatifs (quitte à devoir éliminer le cash, les pièces et les billets, après tout la technologie existe). Avant tout cela, il faut cesser de perdre du temps sur des sujets futiles ou surréalistes comme le « danger de taux bas trop longtemps » (des taux nominaux… et trop bas pour qui ??) ou comme la « stratégie saoudienne » (un oxymore). Et revoir de fond en comble le casting de la banque centrale. Vaste programme !

La sous-production de monnaie a été telle pendant plus de 6 ans, et la destruction de quasi-monnaies si massive, que le regain de la masse monétaire large (M3) depuis un an fait encore pâle figure. Quant à la monnaie excessive créé entre 2002 et 2008, elle n’existe plus, ou ne circule plus depuis longtemps : oubliez-là. 

La BCE souligne également les risques que présentent le marché du pétrole, mais également les changements de modèle économique en cours en Asie et tout spécialement en Chine. Quels sont, aujourd'hui, les défis auxquels l'Europe est confrontée ?

La BCE ne devrait plus être autorisée à dire un mot sur le pétrole : depuis 8 ans, ses prévisions en la matière sont si systématiquement démenties qu’on s’approche du ridicule. C’est gênant, car la « boussole » de nos autorités est le CPI, un indice d’inflation mal fichu qui n’est en fait qu’un tracker oil&gas, un vulgaire ETF soumis à tous les effets de base et surtout à toutes les interprétations erronées : les évolutions du prix du baril sont-elles liées à un choc demande négatif ou à un choc d’offre positif ? Sont-elles des effets ou des causes ? Les baisses ne sont-elles pas reflationnistes même si elles compriment le CPI dans un premier temps ? Faute de pouvoir répondre convenablement à ces questions, la BCE tâtonne dans le vide et enchaine les prévisions foireuses. Idem sur la Chine, faute de bonnes données (« garbage in, garbage out ») mais surtout faute d’analyse monétaire (la Chine est pénalisée par son régime de change quasi-fixe vis-à-vis d’un pays très différent, or la BCE ne peut pas le dire car qu’est-ce que la zone euro sinon un système archi-fixe ?). Au fond, la BCE pratique la diffraction habituelle du blâme : ce monde est complexe, il y a plein de soucis climatiques-géopolitiques-psychologiques-sexuels-structurels-chinois-pétroliers-budgétaires, donc : comme Valmont dans les liaisons dangereuses : « ce n’est pas ma faute ».

« Les gens qui conduisent la politique monétaire sont des êtres humains, autant que vous et moi, et une caractéristique commune de l’espèce est que si quelque chose de mauvais survient, c’est la faute de quelqu’un d’autre », Milton Friedman

Voilà de quoi crève la zone euro (l’Europe hors zone euro va bien, cf graphique ci-dessous sur l’investissement) : la dé-responsabilisation, l’incapacité des agents à décoder le triple discours de langue de bois orwelienne de nos banquiers centraux, le syndrome de Stockholm des marchés et des banques vis-à-vis de leurs nouveaux maîtres et superviseurs, la dé-monétarisation des débats en pleine déflation, la passivité des brave gens face à un coup d’Etat permanent. C’est un défi titanesque : dévoiler, démystifier la BCE, la mettre en face de ses responsabilités, de sa cible, de la réalité. 

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