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Quand savoir mal s'habiller peut mener droit vers le succès
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Dress code

Une récente étude menée par la Harvard Business School a démontré qu'une tenue vestimentaire légèrement décalée par rapport à la norme permettait de se distinguer et d'améliorer la perception qu'ont les autres de nous.

Frédéric Godart

Frédéric Godart

Fréderic Godart est professeur à l'Insead où il enseigne la théorie des réseaux sociaux et la psychosociologie des organisations. Ses recherches se concentrent sur la mode et le luxe. Il est l’auteur de Sociologie de la mode (La Découverte 2010) et de Penser la mode (IFM/Regard 2011). 

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Atlantico : Selon une récente étude de la Harvard Business School, les gens sont plus sensibles aux personnes habillées de manière décalée par rapport au contexte dans lequel il se trouve qu’aux personnes habillées de manière adaptée à ce dit contexte. Un exemple cité dans cette étude indique que des étudiants écoutent plus un professeur mal rasé et vêtu d’un t-shirt qu’un professeur vêtu d’un costard. Comment expliquez-vous cela ?

Frédéric Godart : Un individu qui va se distinguer de manière plus ou moins prononcée de la norme dominante, va bien évidemment attirer un minimum d'attention. Les personnes qui l'observent vont se dire qu'il peut se le permettre, que s'il doit avoir une bonne raison de s'habiller de cette façon. Ceci étant dit, il faut prendre en compte le contexte et les signaux envoyés par la personne. Dans l'étude est notamment pris l'exemple d'une personne en survêtement qui entre dans un magasin de luxe. A priori, cette personne n'est pas du tout habillée de manière appropriée. Et pourtant la plupart des vendeurs interrogés vont déclarer qu'au contraire, cette personne peut tout à fait être à sa place et être une star incognito par exemple. Mais tout cela est très lié au comportement également. Pour reprendre l'exemple du professeur, si le vêtement lui-même et la façon de s’habiller sont liés avec une confiance en soi du professeur et un réel contenu de cours,  les étudiants vont simplement  se dire que la personne est un peu excentrique, ce qui correspond déjà plus à l'image qu'on attend de lui. Il faut savoir qu’il y a des normes vestimentaires assez poussées dans l’enseignement. Cela dépend toujours des disciplines ou des pays, mais il est généralement toujours attendu de se conformer à la norme. Ce qui ressort de cette étude finalement, c'est qu'un peu de distinction peut nous apporter des bénéfices. Mais trop de distinction peut être perçu de manière négative, surtout si cela n'est pas soutenu par d'autres éléments subtils (comme le contenu du cours d'un professeur). C'est une question d'équilibre, il faut savoir sortir du lot avec modération.

Quelle est la corrélation entre affirmation de sa différence à travers sa tenue vestimentaire et confiance en soi ?

C'est une question de causalité. La confiance en soi conduit à la possibilité de porter des vêtements décalés. Cependant l'inverse, à savoir le port de vêtements décalés, ne conduit pas forcément à une augmentation de la confiance en soi. Il y a en effet le risque que la distinction soit mal perçue par l'environnement. Cela prévaut pour le type de situation donné dans l'étude en tout cas. Il s'agit d'un équilibre subtil : il en faut un peu mais pas trop. D'ailleurs, les exemples de l'étude montre bien qu'il ne s'agit jamais d'extravagance à outrance. L'idée de fond reste la suivante : "que l'on se souvienne de moi". On remarque ça notamment dans l'enseignement en écoles de commerce. D'un point de vue ethnographique, certains professeurs essaient de se distinguer, que cela passe par le langage, la barbe, etc., afin que leurs élèves se souviennent d'eux.

L’influence d’un groupe étouffe-t-elle la créativité vestimentaire d’un individu ?

Vous mettez le doigt sur un phénomène déjà connu : la pression au sein des groupes, qu'elle soit sur la façon de penser, les opinions, les comportements ou la façon de s'habiller. Si l'on est trop différent du groupe, on risque de se faire exclure du groupe. On constate une tendance générale à vouloir rentrer dans le rang, ou du moins à ne pas trop s'écarter de la norme telle qu'elle est exprimée par le groupe. Cela s'apprend après un processus long de socialisation. Il existe cependant toujours des exceptions, des personnes au sein de groupe qui réussissent à s'écarter de la norme ou du moins qui réussissent à jouer avec. Un autre point à aborder : le classement par prestige. C'est-à-dire que ceux qui se distinguent le plus dans un groupe sont les leaders, ceux situés en haut de l'échelle, mais également ceux situés tout en bas. Après tout, ces derniers n'ont plus rien à perdre. En fait, la pression d'un groupe s'exerce en majeure partie sur ceux du milieu. C'est le milieu qui se conforme le plus à la dominante. Pour donner un exemple concret, la mode punk était au départ une mode initiée dans des quartiers populaires britanniques. Puis Vivianne Westwood et l'élite britannique s'en est emparé et ça n'est qu'après que la classe moyenne a pu s'en emparer. C'est ce qu'on appelle une "mode ascendante". L'avant-gardisme est d'ailleurs généralement attribué aux classes populaires.

Ces signaux envoyés par les personnes habillées de manière décalée sont-ils conscients ou inconscients ?

Il y a une conscience assez élevée de soi par rapport à ses vêtements. Mais le manque de conscience et de réflexion de soi peut permettre de se distinguer plus facilement. S'il y a trop de réflexion, cela peut réduire l'originalité ou la distinction sur les aspects vestimentaires.

Pourquoi, dans certaines autres situations, est-il mal vu d’être habillé de manière excentrique ?

Pour ce qui est des études réalisées jusqu'à présent sur ce sujet, il y a assez peu d'éléments. Trois points ressortent néanmoins :

  • Le prestige de la personne,
  • La clarté des normes du groupe,
  • Les origines de la personne (qu'elle soit extérieure au groupe ou non).

Une personne habillée différemment a-t-elle réellement plus de chances de réussir ?

Pas forcément. Encore un fois, cela dépend du domaine d'activité. Dans les études historiques, par exemple chez les hommes politiques, on ne remarque jamais d'excentricité mais au contraire une certaine norme. On reste dans un registre très classique avec quelques éléments différenciateurs mais en général, la norme prévaut. S’éloigner de la norme en politique n'est pas spécialement une bonne idée.

Existent-ils des vêtements qui poussent particulièrement au succès ? Lesquelles ?

Oui. Il y a eu un grand débat dans les années 1970, en particulier quand les femmes sont arrivées sur le marché du travail aux Etats-Unis et en France. L'idée était ''dress for success''. Depuis, de nombreuses études ont été menées mais avec des conclusions relativement contradictoires. Certains éléments reviennent néanmoins et notamment l'importance de l’audience, de ceux qui vont vous juger. Il va falloir correspondre à leurs attentes et cela va dépendre du sexe (les hommes ont moins de liberté vestimentaire que les femmes généralement), de l'industrie (dans les banques par exemple, les normes sont plus strictes). Finalement, le plus important est d’avoir une touche personnelle adaptée à l'audience, pour que les gens se souviennent de vous et pour attirer l’attention.

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