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Quand les Américains voulaient capturer le Shah d'Iran, mort ou vif, pour libérer leurs 52 otages pris au piège à Téhéran
©Reuters

Bonnes feuilles

Amir Aslan Afshar, l’ancien chef du Protocole du Shah d’Iran publie ses mémoires, qui regorgent d’anecdotes, et revient sur les derniers jours de Mohammad Reza Shah Pahlavi. La partie la plus passionnante concerne le comment et le pourquoi du départ d’Iran du Shah lorsqu’éclate la révolution islamique qualifiée par l’auteur de "piège" et de "grande mystification". L'auteur offre un point de vue original sur les raisons qui ont amené le Shah à quitter son pays et sur celles qui ont entraîné la chute de son régime et l’avènement des Ayatollahs. Extraits de "Mémoires d'Iran" d'Amir Aslan Afshar, aux éditions Mareuil 2/2

Amir  Aslan Afshar

Amir Aslan Afshar

Député au Parlement iranien, aide de camp civil de Mohammad Reza Shah Pahlavi et diplomate de carrière, Amir Aslan Afshar est né à Téhéran. Il a été délégué de l’Iran au Comité économique de l’Assemblée générale des Nations Unies, de 1958 à 1961, puis ambassadeur d’Iran en Autriche (1967-1969), président du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Vienne (1968-1969), ambassadeur d’Iran aux États-Unis, puis au Mexique (1969 1973), en Allemagne (1973-1977) et finalement, chef du protocole de la Cour impériale et confident du Shah d’Iran jusqu'à la veille de la révolution islamique (1977-1979). Il vit aujourd'hui à Nice.

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La demande d’extradition du Shah

Est-ce à la même époque que fut déposée la demande d’extradition du Shah en Iran ?

Oui, c’est à cette époque que la République islamique avait fait la demande que le Shah lui soit livré. Pour cela, elle s’était assuré les services de plusieurs avocats français. Ils s’étaient rendus au Panama en espérant qu’avec l’aide des Américains ils pourraient capturer le Shah. Les Américains leur avaient fait bonne figure parce qu’ils voulaient, à n’importe quel prix, libérer leurs 52 otages pris au piège à Téhéran. Pour cela, ils étaient prêts à livrer le Shah et même à le tuer. De la libération des otages dépendait en effet la réélection de Carter.

Comment le Shah avait-il accueilli la demande d’extradition le visant ?

À cette époque, je me trouvais à Nice où ma mère était elle-même terrassée par un cancer. Il est évident que cette affaire d’extradition était effroyable. La reine a écrit dans ses Mémoires : « Nous avions appris que des démarches étaient entreprises pour livrer le Shah. » Cependant, la souveraine omet d’écrire ce qu’un correspondant de Reuters, apparenté à mon épouse, m’avait appris. « Aslan, ils veulent livrer le Shah ! » m’avait-il annoncé au téléphone en me priant de ne pas divulguer son identité. L’information est très sérieuse. « Dites-lui de quitter le Panama, l’endroit est dangereux. » J’ai donc téléphoné à la reine et je lui ai dit : « Quittez le Panama au plus vite. Il est dangereux pour Sa Majesté d’y rester. L’information que je vous donne est très sûre. » La reine m’avait répondu qu’elle avait peine à me croire parce que l’après-midi même, Sa Majesté avait reçu la visite du président panaméen avec lequel il s’était entretenu plus d’une heure. « Majesté, avais-je répondu, ce même personnage, en contrepartie d’argent ou pour plaire à Carter, peut très bien extrader le souverain. » Finalement, la reine, qui s’était montrée très incrédule, avait eu confirmation de mes craintes par une autre source.

Lorsqu’elle rapporta l’information à Sa Majesté, l’informant de mon appel, le souverain ne vit pas d’autre solution que de demander à la reine d’entrer en contact avec l’épouse du président Sadate. Et aussitôt, ce dernier les avait invités à revenir en Égypte.

Pourquoi, dès le départ, n’étiez-vous pas restés en Égypte ?

Pour la bonne raison qu’il n’était pas alors question pour le souverain de demander asile à qui que ce soit. Lorsque l’agitation de la rue, stimulée par la BBC, fut à son comble, il fut décidé que Sa Majesté se rendrait aux États-Unis afin d’expliquer aux dirigeants américains les dangers du feu avec lequel ils jouaient. C’est à ce moment que Carter proposa à Sa Majesté de faire halte en Égypte, afin de s’y entretenir avec Sadate de la paix israélo-arabe, puis de poursuivre sa route vers les États-Unis pour lui apporter un compte rendu de ses conversations. Voilà la stricte vérité. Nous comptions donc revenir en Iran : voilà pourquoi nous manquions de tout quand notre séjour égyptien se prolongea.

Lorsque les Américains nous claquèrent la porte au nez, Sadate suggéra au souverain de rester à Assouan, ajoutant : « L’Égypte est votre pays, vous êtes le gendre des Égyptiens. » Et maintenant, Sadate répétait à Sa Majesté, gisant au fond de son piège panaméen, que l’Égypte était toujours son pays, prête à l’accueillir. Sur ces entrefaites, Carter avait téléphoné à Sadate pour le dissuader de donner asile au souverain iranien, mais le Raïs de sa voix chaudeet grave lui avait rétorqué : « Jimmy ! En tant que musulman, j’ai le devoir d’accueillir mon frère dans son propre pays. »

Toutefois, avant que Sa Majesté ne reprenne le chemin de l’Égypte, Carter, qui voulait à n’importe quel prix empêcher le souverain de quitter le Panama, avait dépêché auprès de lui son conseiller particulier, Hamilton Jordan, flanqué d’un comparse. Jordan raconte dans ses Mémoires sa surprise de retrouver « le roi des Rois », « l’héritier du trône de Cyrus », dans la petite chambre misérable des casernements d’une base militaire. Il se remémorait sa rencontre avec le même personnage deux ans plus tôt, en visite à Washington, et qui, en dépit d’une propagande contraire et de l’horreur que lui inspirait la « dictature impériale », l’avait ébloui en développant avec brio des théories qui, en matière de politique internationale, étaient à leur manière des chefs d’œuvre.

Dans ses Mémoires, Jordan relate quasiment la proposition que lui avait faite Ghobt-Zade « de faire tuer le Shah par la CIA au moyen d’une injection de poison ». Afin de réaliser sa mission diabolique, Hamilton Jordan avait dit au Shah : « Pourquoi entreprendre ce long et épuisant voyage vers l’Égypte ? Vous êtes bien ici, et si une opération s’avérait nécessaire, dans cette zone du canal placée sous l’autorité des États-Unis, vous pourriez avoir recours aux meilleurs chirurgiens. » Le souverain lui avait répondu : «Monsieur Jordan, je suis mourant et je souhaite avoir une fin honorable. Je ne veux pas mourir dans un lit d’hôpital au Panama. » Finalement, et bien qu’à la demande de Carter, leur avion avait été immobilisé durant quatre heures sur le tarmac de l’aéroport des Açores, les souverains étaient revenus en Égypte.

Deux jours avant sa mort, l’état du souverain s’était soudain amélioré. Il était même sorti de son lit pour aller s’asseoir sur un canapé. Il s’était alors longuement épanché. On lui avait dit que les gens le critiquaient, que des reproches lui étaient adressés. Il m’avait demandé : « Voyez-vous Hossein Sadegh, le fils de MostacharDowlle ? » Je lui avais répondu que non, ajoutant : « Sire, ne vous tourmentez pas avec de telles pensées. Si Dieu le veut, vous irez mieux. Vous rentrerez en Iran. » Mais il m’avait répondu : « Dans mon état, et avec la façon dont les gens et les puissances occidentales se sont comportées avec moi, comment pourrais-je rentrer ? J’ai pourtant fait tout ce qui était en mon pouvoir et tout ce dont j’avais la force pour mon peuple. Je suis résigné à mon destin. Je me suis toujours confié au Créateur, que puis-je faire si je ne reçois pas de réponse ? »

Extraits de "Mémoires d'Iran" d'Amir Aslan Afshar, publié aux éditions Mareuil, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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