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Quand le Parti communiste a dû choisir son camp, entre lutte contre la “démocratie bourgeoise” et antifascisme
©REUTERS/Eric Gaillard

Bonne feuilles

En 1934, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, dit à Jeannette Vermeersch, jeune militante : "Je vais chez toi. Pour toujours." Leur intense vie commune ne prendra fin qu'avec la mort de Maurice, en 1964. Grâce à des archives souvent inédites, ce livre retrace le destin exceptionnel de ces deux enfants du Nord, aux prises avec les grands drames du XXe siècle. Extrait de "Maurice et Jeannette", d'Annette Wieviorka, aux éditions Perrin (extrait 2/2).

Annette Wieviorka

Annette Wieviorka

Directrice de recherche émérite au CNRS, Annette Wieviorka est internationalement connue pour ses travaux sur la mémoire de la Shoah et aussi sur le communisme. Elle a publié chez Perrin, avec Michel Laffitte, "A l’intérieur du camp de Drancy". Son nouvel ouvrage, "Maurice et Jeannette", retrace le parcours du couple Thorez.

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Le 6 février 1934, Daladier, chef de file de la gauche du parti radical, présente le gouvernement qu’il a constitué devant la Chambre des députés pour en obtenir la confiance. Les ligues de droite et d’extrême-droite, qui battent le pavé depuis un mois, ont appelé à manifester pour dénoncer la corruption de la classe politique et protester contre la sanction qui frappe le préfet de police, Chiappe, dont les sympathies à leur égard sont notoires. Elles ne sont pas les seules. L’Union nationale des combattants (fortement marquée à droite), les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque (qualifiées, à tort selon tous les historiens, de "fascistes") et l’organisation communiste des anciens combattants, l’ARAC, ont aussi mobilisé, cette dernière au rond-point des Champs-Élysées.

Car, s’il n’a pas appelé en propre à la manifestation, le Parti communiste est hostile à l’investiture de Daladier, et Thorez doit le dire longuement à l’Assemblée. Il a préparé un interminable discours, prétendument interdit par "Daladier le fusilleur". De fait, la séance houleuse se tient dans des circonstances singulières qui exigent un nombre d’orateurs restreint et des interventions lapidaires. Il n’y a donc pas d’interdit particulier visant les députés communistes. Dans son texte jamais prononcé, mais publié sous le titre de "Sous le drapeau rouge du parti communiste", Thorez stigmatise un "régime pourri". "La guerre pour le partage du monde est à l’ordre du jour", prophétise-t-il, et les communistes 

« se tiennent résolument sur le terrain de l’internationalisme prolétarien. Ils disent comme le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels : “Les communistes n’ont pas de patrie.” Ils reprennent la formule de Karl Liebknecht : “L’ennemi est dans notre propre pays.” Nous sommes des léninistes, des défaitistes révolutionnaires ».

Thorez affirme la montée du mouvement révolutionnaire, la révolte, malgré la terreur, des populations indigènes dans les colonies, en Algérie, Tunisie et Indochine. Devant cette poussée révolutionnaire, explique-t-il, "gouvernants et parlementaires de droite et de gauche" conduisent le pays au fascisme dont ils sont les "fourriers", tout particulièrement la social-démocratie qui lui ouvre la voie. Le parti communiste n’a aucune confiance dans le Parlement. Il lutte "pour le pouvoir à la classe ouvrière, pour le pouvoir aux soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats", pour la "dictature du prolétariat". Il suit l’exemple de l’Union soviétique. De la tribune de l’Assemblée, Thorez souhaitait adresser "le salut ardent des prolétaires de France au XVIIe Congrès du parti bolchevique, au Comité central léniniste, état-major éprouvé de la révolution prolétarienne mondiale, à son dirigeant, le camarade Staline, chef de notre IIIe Internationale". Son discours se termine par un vibrant appel à la révolution :

"Comme les bolcheviks, afin d’atteindre un tel but, nous renforcerons notre combat impitoyable contre les agents de la bourgeoisie dans les rangs de la classe ouvrière. Nous appellerons les ouvriers socialistes au front unique de lutte sans cesser de dénoncer la trahison de leurs chefs et de leur parti (…). La classe ouvrière, à notre appel, luttera à la fois contre les fascistes et contre votre démocratie corrompue. L’expérience internationale prouve qu’il n’y a pas de différence entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Ce sont deux formes de la dictature du Capital. Le fascisme naît de la démocratie bourgeoise. Entre la peste et le choléra, on ne choisit pas. 

Seul contre tous les partis de la bourgeoisie, classe contre classe, notre Parti communiste poursuivra sa marche à la tête des travailleurs. Il ne me reste qu’à conclure avec le Manifeste du Parti communiste presque séculaire de Marx et Engels :

“Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement leurs buts, qui ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel. Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner.”

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous

Sous le drapeau du Parti communiste !"

Quatre mois plus tard, le ton et le contenu des discours ont changé. Le Thorez nouveau est né.

Vers le Front populaire

Thorez ouvre le 23 juin 1934 à Ivry la Conférence nationale du Parti, un parti dont le nombre d’adhérents est en augmentation (42 579 contre 28 825 l’année précédente, celle de son étiage). Son rapport d’ouverture (il compte 46 pages dans ses Oeuvres complètes), prononcé au nom du Comité central, est publié sous l’intitulé : "Par l’unité d’action, nous vaincrons le fascisme. Les travailleurs veulent l’unité !" Les mots "unité" et ceux qui s’y rattachent (uni, unique, unitaire) scandent l’introduction du discours et sa conclusion. Pourtant, le contenu de ce texte ne tranche que superficiellement sur celui du 6 février. La "démocratie bourgeoise" est toujours stigmatisée ; le Parti socialiste demeure l’obstacle à l’entente entre les ouvriers socialistes et communistes pour la lutte commune contre la bourgeoisie, même si "des ouvriers socialistes passant outre aux décisions antiunitaires de leurs dirigeants ont saisi la main fraternelle que nous leur tendions". Bref, l’unité se fait à la base, à l’initiative des communistes, hors accord avec les dirigeants.

Le 25 juin, en pleine conférence, l’IC envoie à Fried un "télégramme comminatoire" : il faut faire un pas de plus. La conférence est prolongée d’une journée. Thorez prononce un nouveau discours qui clôture le congrès. Il n’y aborde qu’une seule question, celle de "l’organisation du front unique de lutte antifasciste". Il lève toute ambiguïté sur la volonté d’unité et sur sa nature : "Nous voulons à tout prix réaliser l’unité d’action avec les ouvriers socialistes contre le fascisme ; nous voulons à tout prix aboutir à l’unité syndicale dans une seule CGT (…) ; nous voulons entraîner les classes moyennes en les arrachant à la démagogie du fascisme". L’intérêt des prolétaires est désormais de "ne pas méconnaître la défense des libertés démocratiques". L’internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire ont disparu de la rhétorique thorézienne, car, affirme Maurice, "nous aimons notre pays". Et, pour mettre les points sur les i et qu’il n’y ait aucune confusion avec les périodes précédentes, il précise : "Le front unique n’est pas une manoeuvre. Nous voulons sincèrement, loyalement, l’unité d’action. Pour Treint, pour l’homme qui considérait les socialistes comme de la “volaille à plumer”, chassé autrefois et pour cette raison, le front unique était une manoeuvre". Selon Thorez, il l’est aussi pour Doriot, accusé de vouloir à son tour "plumer la volaille" et dont l’exclusion est votée le 27 juin 1934 avec l’aval du Comité exécutif de l’Internationale. Et Thorez de répéter : "Nous ne sommes pas des Treint et des Doriot. Nous ne sommes pas le groupe Barbé". Désormais, il n’y a plus de peste ou de choléra. La démocratie est radicalement opposée, et la réunification syndicale est à l’ordre du jour.

Extrait de "Maurice et Jeannette", d'Annette Wieviorka, publié aux éditions Perrin, 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

>>>> Lire aussi : La glorification de Maurice Thorez façon Staline : un 50e anniversaire fêté avec affiches, cartes... et même un timbre à son effigie

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