Quand la Pologne fait un virage à 180 degrés sur l’immigration extra-européenne <!-- --> | Atlantico.fr
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Des réfugiés Ukrainiens arrivent en Pologne, Photo AFP
Des réfugiés Ukrainiens arrivent en Pologne, Photo AFP
©Louisa GOULIAMAKI / AFP

Nouvelle analyse

En matière d'immigration, la Pologne s'est toujours montrée stricte. Pourtant, le pouvoir en place réalise désormais certains problèmes engendrés par la politique à l'œuvre ces dernières années... et pourrait bien assouplir sa méthode. Pour certains arrivants, à tout le moins.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : La Pologne semble avoir une nouvelle stratégie en matière d'immigration non européenne et souhaite notamment faciliter l'obtention de visas pour les ressortissants de 20 pays. Quelle est exactement la nouvelle vision de la Pologne ? Dans quelle mesure rompt-elle avec les pratiques antérieures du pays ?

Michael Eric Lambert : Ce phénomène fait partie du paradoxe polonais, puisque le pays est aujourd'hui l'un des plus dynamiques économiquement en Europe, mais peine à attirer les candidats à l'immigration en raison d'un nationalisme exacerbé par les partis politiques au pouvoir depuis plusieurs années.

Dans ce contexte, la Pologne a un taux de chômage quasi inexistant (2.7%), les salaires ont augmenté régulièrement (1,500 euros par mois a ce jour) au cours des deux dernières décennies (y compris pendant la crise de 2008) et le cadre de vie est agréable, mais la diaspora polonaise choisit de rester à l'Ouest, ce qui pousse le gouvernement polonais à réfléchir à des solutions pour attirer de nouveaux actifs en adoptant une politique de visas plus souple.

Derrière la question de la pénurie de main-d'œuvre, il y a aussi les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022. La Pologne voisine, russophobe, a immédiatement compris la nécessité d'accueillir les réfugiés ukrainiens, qui se comptent aujourd'hui par millions dans les grandes villes polonaises.

La Pologne a compris que son aide militaire, bien que louable, ne serait pas son principal atout dans le conflit, mais sa capacité à absorber et à inclure les Ukrainiens, à leur donner un sentiment d'appartenance au pays et à les aider à trouver un nouveau foyer est son principal atout. 

Qu'est-ce qui a poussé la Pologne à changer de stratégie ?

La guerre en Ukraine reste le facteur principal, et la politique des visas a dû s'adapter à cette nouvelle dynamique et à l'arrivée de plusieurs millions de personnes en quelques mois.

Derrière ce changement se pose aussi la question du manque de main d'œuvre, et en attendant le retour de la diaspora polonaise, il faut trouver des ouvriers et des employés pour permettre à l'économie de poursuivre son développement, d'autant plus que le taux de natalité polonais reste faible avec 1,3 enfant par femme.

L'UE a-t-elle joué un rôle dans ce changement ?

Absolument pas. La question migratoire a toujours été un point de désaccord entre la Pologne et l'UE, la première souhaitant valoriser certains pays tandis que l'UE a une approche plus internationale et ne considère pas la religion comme un facteur essentiel pour les candidats à l'immigration.

En bref, la Pologne prône une politique migratoire à la carte, avec des critères précis, et n'hésite pas à prendre des pays comme la France et la Grande-Bretagne comme exemples d'une mauvaise gouvernance migratoire, voire à utiliser des événements comme les émeutes en France comme illustration de la nécessité de ne pas intégrer les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique.

Cette politique d'immigration aidera-t-elle la Pologne à relever ses défis économiques et démographiques actuels ?

Elle apportera une réponse rapide au besoin de main-d'œuvre, mais à long terme, la stratégie polonaise devra changer, car de nombreux pays voisins attirent davantage, ce qui accroît la concurrence pour les employés qualifiés.

Pour ne citer que quelques exemples, les salaires en République tchèque sont supérieurs à ceux de certains pays d'Europe occidentale, et Prague reste une destination privilégiée pour les Européens en raison de son cadre de vie. L'Estonie, quant à elle, est devenue une cyberpuissance, attirant des professionnels de l'informatique du monde entier et leur offrant des opportunités et des salaires conséquents. La Roumanie vient également d'annoncer qu'elle avait besoin de travailleurs dans le secteur du tourisme.

La liste est longue et nous assistons au revirement attendu, certains professionnels qualifiés préférant désormais travailler en République tchèque et en Pologne plutôt qu'au Royaume-Uni ou en Allemagne. Ce phénomène devrait s'intensifier au cours de la prochaine décennie, des pays comme l'Estonie ayant vocation à devenir plus prospères que la Suède d'ici 2035-2040, selon les estimations d'organisations internationales.

Quelles conséquences ce changement de stratégie peut-il avoir pour le reste de l'Europe ?

En termes géopolitiques, cela signifie qu'il y aura une Europe du Nord et une Europe centrale prospères, par opposition à une Europe du Sud moins florissante. Cela signifie également que les pays d'Europe centrale et orientale bénéficieront de plus de responsabilités et d'attention au sein des institutions européennes.

En ce qui concerne la guerre en Ukraine, l'accueil des réfugiés ukrainiens, dont certains enverront leur salaire aux familles et aux soldats, contribuera à l'effort de guerre.

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