Quand la médecine préventive conduit à une surmédication totalement inutile voire nuisible<!-- --> | Atlantico.fr
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Il ne faut pas abuser de la médecine préventive.
Il ne faut pas abuser de la médecine préventive.
©Reuters

Maladies imaginaires

Mieux vaut prévenir que guérir... mais pas à tous les coups ! En cherchant à éviter qu'un individu ne tombe malade, une partie de la médecine préventive a engendré une confusion nocive entre personnes atteintes d'une maladie et les bien portants.

Jean-Claude Salomon

Jean-Claude Salomon

Docteur en médecine et directeur de recherche honoraire au CNRS, Jean-Claude Salomon est par ailleurs membre du groupe PRINCEPS, un groupe de travail sur la surmédicalisation,les surdiagnostiques et les surtraitements. 

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Atlantico.fr : Il existe plusieurs types de médecine préventive. Laquelle selon vous a mené à une surmédicalisation ? Comment l'expliquer historiquement ?

Dr Jean-Claude Salomon : Il s’agit de ce qu’on appelle classiquement la prévention secondaire, c’est-à-dire la recherche de maladies à un stade précoce, avant la parution des signes cliniques de la maladie sur des gens qui pensent être bien portants. C’est l’objet de tous les examens de dépistage.

Historiquement, pour expliquer l’évolution de ce type de médecine préventive qui a mené à une surmédicalisation, il faut remonter au début du 20ème siècle. A l’époque, on a commencé à avoir, par exemple, des examens sanguins qui permettaient de savoir si les gens étaient séropositifs à la syphilis. Cela n’avait pas beaucoup de conséquence pour le traitement parce qu’il n’y en avait pas d’efficace mais cela permettait de dire qu’on allait avoir une vision de la fréquence de l’infection syphilitique sur la population. Et puis il y a eu la grande idée que si l’on dépistait tôt les cas de tuberculose pulmonaire, on pourrait éviter que la maladie n'évolue d’une façon défavorable pour les patients.On pourrait mettre ainsi ces derniers dans des sanatoriums et leur éviter une tuberculose évolutive. A postériori, la réflexion était que les gens qui ont une tuberculose, au début, ont intérêt à ralentir leur activité. Les mettre au repos n’est pas une mesure néfaste mais la guérison par le repos seul survenait souvent parce que beaucoup de tuberculoses dans les formes précoces guérissaient sans traitement. C’est ce que l’on appelait "virer sa cuti". Cette expression signifie que l’enfant faisait une petite tuberculose pulmonaire qui spontanément allait régresser et guérir, laissant une petite cicatrice pulmonaire qu’on pourrait voir ensuite sur les radios mais sans conséquence. Donc, dès les années 1920-1930, on se situait dans une période marquée par un début de confusion entre ce qu’est une maladie, avec les risques qu’elle évolue, et ce qu’est un diagnostic précoce qui identifie des gens qui ne se seraient jamais considérés comme malades et qu’on aurait toujours considéré comme des bien portants pour la majorité d’entre eux. A l’époque, on s’est dit qu’il fallait s’occuper de la majorité pour qu’une minorité en profite. Cela a sans doute été dans les pays occidentaux, les racines de l’attitude de cette médecine préventive dans la cadre du dépistage. La syphilis et la tuberculose ayant presque disparu de nos populations des pays développés, on retrouve dorénavant cette logique dans le cancer, l’hypertension ou encore l’hypercholestérol.

Alors dans quel cas parle-t-on de surmédicalisation ? Premièrement si c’est inutile ou rarement utile, c’est déjà de la surmédicalisation d’examiner des gens qui se portent bien. Il faut se demander si cela a un intérêt de médicaliser des choses qui ne sont pas pathologiques. En plus de cela, aujourd’hui, pour les médecins et les patients, quand une situation semble anormal ou même potentiellement anormal, il faut immédiatement agir. On ne reste pas là à rien faire. Mais en agissant, on peut faire du tort. Ce n’est pas, certes, toujours vrai. Je crois qu’il y a des dépistages utiles qui permettent de savoir tôt que les gens ont une lésion qui peut évoluer en une maladie grave. Mais on ne peut pas généraliser un tel constat. Or, en se basant sur des indices parfois très techniques (biochimiques, génétiques, d’imagerie, etc.), on peut être amené à prendre des décisions thérapeutiques qui peuvent se révéler non nécessaires voire néfastes. 

Quelles sont les conséquences néfastes pour la médecine ? En quoi peut-on parler d’une confusion entre la maladie et les facteurs de risque ?

Tout d’abord, les conséquences ne sont pas néfastes sur la médecine mais bien sur la santé des individus. En ce qui concerne la médecine, on a pu dire que cela avait un impact positif car cela pouvait créer des emplois ou permettre de vendre des appareils de dépistage et des nouveaux médicaments.Mais restons sur le plan sanitaire, la conséquence c’est que cela a transformé des gens en bonne santé en des personnes malades. La mise en œuvre du dicton célèbre que "tout homme bien portant est un malade qui s’ignore" devient de plus en plus vraie qu’on regarde avec des loupes de plus en plus grossissantes, à savoir avec des examens de plus en plus précis. Ce n’est pas une bonne chose que d’avoir une évaluation faussée par excès du nombre de personnes considérées comme malades. Tout d’abord parce qu’on prend parfois pour eux des décisions qu’il vaudrait mieux ne pas prendre avec la bonne conscience que l’on fait au moins quelque chose. Et puis deuxièmement, l’enveloppe n’est pas illimitée. Ce que l’on dépense pour traiter les bien portants devient une denrée rare et indisponible pour ceux qui ont des maladies réelles. L’affectation des moyens humains et financiers devient dans ce cas irrationnelle. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons.

En quoi la médecine préventive a fait évoluer la notion même de malade ?

Ce n’est pas la médecine préventive dans sa globalité mais bien une mauvaise conception de la prévention. La prévention reste une nécessité. Aujourd’hui l’investissement dans des actions de prévention bien conçues est une nécessité réelle. Alors comment en juger ? Si l’on considère qu’il y a deux manières d’aborder la médecine, à savoir curative et préventive, il faut bien distinguer les deux. En ce qui concerne la médecine curative, il s’agit de soigner, dans l’espoir d’une guérison, les gens qui sont réellement malades. Là, les médecins ne peuvent pas en garantir le succès mais ils ont des obligations de moyens. Pour un malade donné, le médecin n’a pas une obligation de guérison, il va faire du mieux qu’il peut et utiliser les moyens disponibles mais sans garantie de succès. Quand on fait de la prévention et qu’on s’adresse à une population qui se sent bien portante, on n’a pas d’obligation de moyens mais des obligations de résultats. Vous devez dire aux gens que l’on va agir à partir du moment où l’on a la conviction que l’on agit positivement. Il faut alors se baser sur les résultats d’une expérimentation sur un échantillon donné et observer les résultats au bout de dix ans. Si la mortalité n’a pas changé au cours de cette période alors cela ne sert à rien de généraliser l’examen. Le problème c’est qu’aujourd’hui, on n’arrive pas à s’arrêter et ce même lorsqu’on a de plus en plus de preuves que non seulement ça ne sert à rien mais que la mortalité comparée est un peu excessive dans le cas où l’on agit. Lorsqu’il n’y a pas de bénéfices à espérer, il ne reste alors que les risques et les inconvénients. Et dans ce cas, la médecine préventive amène à une surmédicalisation qui sera néfaste pour l’individu.

En quoi certains dépistages peuvent-ils entraîner une surmédicalisation néfaste ou contre-productives pour le patient ?

On peut prendre l’exemple du cancer de la prostate et du dépistage par dosage du PSA (antigène prostatique spécifique). Hier on dosait le PSA à tous les hommes de plus de cinquante ans. Or de cette façon on a transformé en quelques sortes des bien portants en malades. Les gens qui avaient des taux de PSA élevés étaient considérés comme des populations à risque pouvant développer des micro-cancers de la prostate. C’était vrai pour quelques-uns qui ont vraiment développé un cancer de la prostate. Et ce sont les rares bénéficiaires de ce diagnostic. Mais est-ce que ce dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA a changé la mortalité ? La réponse est non. Pour ceux qui n’auraient pas développé un cancer de la prostate, on sait depuis près de 60 ans que la fréquence chez les hommes bien portants d’avoir de petits modules de cellules cancéreuses dans la prostate, alors qu’ils se portent très bien et que leur destin sera de mourir d’une autre maladie, est très grande. On considère aujourd’hui que 80% des hommes de 80 ans ou plus ont de petits modules de cellules cancéreuses visibles au microscope mais qui dorment dans la prostate. Ceux-ci vont mourir d’une autre maladie des années plus tard. Le problème intervient si l’on se met à les traiter par chirurgie ou par radiothérapie. Dans ce cas, on observe deux conséquences fréquentes à savoir d’une part une impuissance sexuelle et des incontinences urinaires relativement fréquentes. On ne meurt pas d’impuissance ou d’incontinence, certes, mais si ce n’est pas nécessaire, qu’on leur fiche la paix !

Chez la femme, le traitement des cancers du sein se fait bien souvent par chimiothérapie. C’est un traitement très toxique et difficile à supporter et qui peut avoir des conséquences néfastes si ça s’adresse à des femmes encore assez jeunes. Celles-ci risquent d’avoir une vie abrégée par le fait que la chimiothérapie est, elle-même, une cause de cancers dans un nombre, non négligeable, de cas. Donc après avoir eu avoir un cancer du sein avéré, le risque est justifié, mais subir une chimiothérapie pour un cancer improbable et quelques années plus tard se retrouver avec une leucémie ce n’est pas une bonne chose. D’autre part, le traitement par les rayons sur les glandes mammaires est souvent un traitement qui détermine des lésions pulmonaires ou cardiaques. Car l’irradiation, même si elle est faite avec précaution, n’épargne pas toujours le poumon ou le cœur. Et, on le sait depuis une demi-dizaine d’année, l’apparition de lésions évolutives cardiaques ou pulmonaires est une conséquence assez fréquente pour des femmes qui ont été irradiées pour un cancer du sang. On fabrique alors une maladie pour ceux qui sont pourtant bien portants.  

Quand le risque lié au traitement est nettement plus faible que le risque lié à l’absence de traitement, alors il ne faut pas hésiter.On donne au patient une chance d’être guéri. Mais quand on a affaire à des gens qui se portent bien et qui vraisemblablement ne vont pas avoir la maladie qu’on prétend dépister alors là l’obligation de résultat s’impose. Le problème c’est qu’on s’est fait à l’idée que le dépistage c’est bien avec des propos généraux tels que "le plus tôt sera le mieux". Mais ce n’est pas vrai pour tous les cas. Mieux vaut prévenir que guérir à condition qu’au nom de la prévention on ne fasse pas n’importe quoi. Si vous vous sentez bien, c’est que probablement vous allez bien.George Camguilahem a écrit en 1943 sa thèse de doctorat en médecine intitulée "Le normal et le pathologique". Sa réflexion est toujours d’actualité. Il y a un terme anglais, "disease mongering", qui désigne la fabrication des maladies. C'est une grande entreprise associée à la fabrication des médicaments. Il s’agit d’inventer des maladies là où il n’y en avait pas. Ce qui induit la surmédicalisation. A titre d’exemple, la vieillesse ou encore la ménopause sont devenues des maladies qui entraînent une médicalisation excessive dans bien des cas. La ménopause peut être à l’origine de certains troubles mais en aucun cas il ne s’agit d’une maladie en soi. Il ne s’agit pas de pathologies contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, mais des passages obligés de la vie. Comment faire pour éviter que toutes les personnes âgées soient bourrées de médicaments ? Le mieux c’est de n’en donner qu’à ceux qui en ont vraiment besoin. On évitera que les autres souffrent des effets toxiques inutiles des médicaments et accessoirement ce sera aussi plus économique. 

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