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Quand la critique de la mode islamique se perd dans une confusion idéologique exaspérante
©REUTERS / Olivia Harris

Contre-productif

La critique de la mode islamique se présente comme un moyen d’échapper à des idéaux politiques multiculturels, mais en faisant preuve d’une confusion mentale exaspérante, cette position réactionnaire ruine en fait l’objectif affirmé par Manuel Valls d’affaiblir l’islamisme.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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A la surprise générale samedi dernier, Manuel Valls affirmait : " Le voile n’est pas un phénomène de mode, c’est un asservissement de la femme, la revendication d’un signe politique". Aucun homme politique en charge du gouvernement et de l’Etat, avant lui, n’avait osé s’exprimer aussi fermement sur le sujet.

En établissant un lien entre "voile islamique" et "politique", ce que pourtant la Mission parlementaire avait tenté de faire, en 2009, sans succès, Manuel Valls nous rappelle que seuls quatorze députés socialistes, avaient voté en 2010 "Pour, la loi interdisant le port du voile intégral dans l'espace public" qui, de fait se saisissait, avec justesse, via son expression la plus évidente, de la montée en puissance de l’intégrisme islamiste, en France.

Il aura donc fallu attendre le surgissement de deux fais concomitants : la récente prise de conscience, avec l’affaire Molenbeek, des dangers d’un islamisme interne aux sociétés européennes et, l’irruption d’une mode s’adressant aux femmes qui subissent le joug de sociétés archaïques, via les créations de couturiers ou de grandes marques (Dolce&Gabanna , HetM, Uniqlo etc…) pour qu’enfin, se manifeste la volonté de donner un sens à ce retour en force, à l’échelle mondiale du port du voile islamique.

Mais, faire de la mode le bouc émissaire d’une question aussi grave trahit la confusion mentale qui entoure le sujet. Pour l’éclairer, il faut en rechercher l’origine dans les fondements philosophiques d’une idéologie devenue dominante, car les positions réactionnaires du monde politique, intellectuel ou culturel à l’égard de la mode, ruinent, en réalité, l’objectif moral et politique qu’elles poursuivent.

Ce qu’on appelle aujourd’hui "mode islamique" ou "mode pudique" , qui s’adresse, par la création d’un nouveau marché, à celles qui en étaient privées, est selon moi, a contrario de ce qu’en disent ceux qui la condamnent, une excellente nouvelle pour toutes les femmes vivant sous le joug d’un pouvoir autoritaire, ou tyrannique, de nature théocratique, tirant sa légitimité d’une puissance supérieure et religieuse.

L’asservissement des femmes, tel que le vêtement traditionnel islamique en porte témoignage depuis des siècles, et l’exprime encore aujourd’hui dans le monde, n’a rien à voir avec l’expression d’une mode, au contraire.

Comme le rappelle en effet Paul Yonnet, dans son bel ouvrage Jeux, modes et masses, la mode est née de cette démarche propre au XIXème siècle français, où s’opère une séparation entre l’art et le politique, de sorte que tous les arts "qui refuseront la soumission substitutive aux idéologies collectives basculeront forcément dans le camp des tenants de l’art pour l’art, en peinture (Ingres) comme en littérature (Baudelaire, Flaubert)."

La mode, telle que nous la connaissons en Occident, via l’invention de la haute couture, sous Napoléon III, et telle que l’histoire du vêtement et les études sociologiques sérieuses le prouvent, marque donc l’avènement d’une libération des carcans culturels imposés jadis par le politique.

De sorte qu’en s’emparant du marché des pays islamiques, elle inaugure, en toute logique, par les voies culturelles et artistiques, la longue marche de leur libération mentale, passant, non pas par un chemin politique dont il convient, par ailleurs, de rappeler qu’il a échoué, pour l’instant, à répondre à l’immense espoir qu’il avait suscité chez les démocrates du monde entier lors des récentes révolutions de ce qu’on a appelé le Printemps Arabe.

La mode, où qu’elle se manifeste, crée, nous dit Paul Yonnet,  une "ère de la polémique civile des apparences (par opposition aux polémiques politiques ou idéologiques)".

Mais le génie du sociologue ne s’arrête pas là, qui consiste à comprendre, autant qu’à montrer, en quoi la mode est, par nature, une révolution, installant "un scandale durable" dans les sociétés qui adoptent cette expression : "Cette figure de la fracture fondamentale des apparences continuant de diviser bien après que l’avant garde eut entrainé une mode, ouvre un nouveau chapitre de l’histoire du vêtement". Et c’est bien ce qui est en passe d’advenir avec l’appropriation par la création de ces nouveaux marchés dans des sociétés musulmanes dominées par la dictature archaïque d’un système politico-religieux, qui y brisent jusqu’à la moindre velléité d’expression du libre-arbitre individuel.

Car la mode, étant indissociable de la recherche du "Beau pour le Beau" qui s’affirme à l’époque de "l’Art pour l’Art", comme je l’ai dit plus haut, nait de ce moment où l’individu, libéré des carcans de la tradition, invente dans une totale liberté, en parfaite autonomie, et puisant dans un dialogue avec lui-même, l’inspiration qui conduit sa main dans l’acte de créer.

Ainsi que le montre Paul Yonnet, la mode étant : "uniquement bornée par cette aptitude à un partage minimal (échange commercial), (…) ne peut se reconnaître de contrainte sociale a priori, ni de limites ethniques, ni de codes impératif, touchant notamment à la bienséance".

Loin de moi cependant l’idée de contester le fait, avéré aux plans historique, sociologique et philosophique, que le voile intégral soit une prison pour les femmes, et que son ersatz, le voile islamique ou le foulard ne demeure le symbole de l’infantilisation des femmes et leur maintien dans un apartheid physique, mental, intellectuel et moral, les plaçant par ailleurs, dans un état de servitude partiel ou total.

On sait du reste que dans la plupart des pays qui, depuis l’Afghanistan, ont fait le choix d’un retour à une forme de traditionalisme religieux réactionnaire, voir barbare, les femmes dès leur puberté, sont en position de subir les pires horreurs physiques et mentales.

Le voile est ainsi devenu, à l’aube du XXIème siècle, le symbole autant que la manifestation publique d’une réactivation totalitaire autant que mondialisée de la plus ancienne des servitudes, celle qui réduit les femmes à leur sexe.

Mais il n’en reste pas moins fort regrettable que certains se trompent de combat, et qu’on en vienne, au pays de l’humanisme universaliste, par suite d’une confusion mentale exaspérante à propos de questions politiques et idéologiques, à prendre la mode en otage.

La première marque de cette confusion dans les discours de Laurence Rossignol, Elisabeth Badinter ou Manuel Valls est de ne pas opérer de distinction entre, la vie des femmes qui choisissent en toute liberté de porter le voile en Europe, et celles qui y sont contraintes par un pouvoir d’Etat.

Ce faisant, on instrumentalise la mode pour mieux faire passer un message, parce qu’il était, avant la vague des attentas islamistes en Europe, inaudible dans une opinion publique qui vit, depuis la fin des années 80, sous la domination culturelle d’une idéologie gauchiste ou "de gauche" appelée aussi le "politiquement correct".

En allant jusqu’à parler d’ "islamo-gauchisme", établissant ainsi un parallèle avec le terme "islamo-fascisme" qu’emploie Bernard Henri Lévy pour désigner dans ses conférences les liens entre islamisme et anti-sémitisme, Elisabeth Badinter, soutenue par Manuel Valls, semble vouloir indiquer la voie que devrait prendre une critique idéologique interne au Parti Socialiste.

Lors de son interview, madame Rossignol faisait du reste allusion à ce que Nadia Remadna, fondatrice d’une Brigade des mères à Sevran, désigne comme "une idéologie victimaire contre la jeunesse des banlieues". Elle date des années 80 et fut portée par les jeunes élites trotskistes d’un vaste mouvement antiraciste qui s’était donné pour objectif de valoriser les origines ethniques et culturelles de l’immigration, au nom d’une diversité sociale idéalisée contre, la société bourgeoise et ses moyens capitalistes de reproduction.

Cet idéal multiculturaliste débouchait sur la légitimation du port du voile islamique tel qu’il était déjà l’expression d’une islamisation radicale des esprits.

Aujourd’hui, le foulard islamique porté dans les universités et imposé dans les banlieues, quelque forme qu’il prenne, intégral ou non, est devenu, le symbole d’un d’intégrisme religieux mondialisé mais aussi de cette nouvelle idéologie totalitaire qu’est l’islamisme.

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