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Quand l'OCDE s'alarme de la divergence économique franco-allemande dont les conséquences à long terme devraient pétrifier l'Europe toute entière
©Pixabay

A l'heure allemande

L'OCDE vient de rendre un rapport qui montre une fois de plus les grandes différences entre l'Allemagne et la France.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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L'historien Fernand Braudel (1902-1985) nous a appris à nous méfier de l'événement pour jeter un regard en profondeur sur l'histoire: au-delà de l'agitation des individus, il y a la conjoncture et les structures. Braudel a peu touché à l'histoire de son temps mais imaginons un de ses émules, dans une ou plusieurs générations, jetant un regard sur la France et l'Europe de 2017. Que retiendra-t-il? L'engouement des médias pour le très jeune président français ou bien le dur contraste du chômage entre pays membres de la zone euro? L'OCDE vient de publier l'édition 2017 de ses "Perspectives économiques" et les chiffres en sont glaçants:  en 2017 et 2018, le chômage ne devrait pas descendre beaucoup en-dessous de la barre des 10% de la population active en France; il sera plus élevé en Italie et en Espagne (11 et 16% respectivement). La croissance française ne dépassera pas 1,5%. Quel contraste avec l'Allemagne: moins de 4% de chômage, 3,5% de croissance! Les exportations françaises de biens et services resteront deux fois inférieures à celles de l'Allemagne (655 contre 1415 milliards).

Comment ne pas donner raison aux analystes de l'OCDE quand ils soulignent l'immense effort qu'il faudrait accomplir en matière de formation - en particulier pour l'acquisition des compétences de l'ère numérique? Mais une telle perspective est une perspective de moyen ou de long terme. Elle ne concerne pas seulement la France: il s'agit, pour nos pays, de s'adapter à la troisième révolution industrielle, dont l'un des moteurs est la transformation numérique. Et dans le cas de notre pays, comment ne pas souligner la quasi-impossiblilité à effectuer des investissements à la hauteur des besoins tant qu'il sera impossible de résorber les déficits publics. Nicolas Sarkozy avait choisi d'investir d'abord dans l'enseignement supérieur et laissé stagner le budget de l'enseignement scolaire; François Hollande a plutôt fait l'inverse. Macron voudra peut-être relever le défi d'un investissement éducatif généralisé mais il devra alors mettre en oeuvre d'autres restrictions pour respecter autant que possible le pacte de stabilité budgétaire sur lequel est fondé l'euro. Ce que nous livre l'OCDE comme perspective, c'est une France bénéficiant un peu d'une amélioration économique générale quand l'Allemagne en profite beaucoup. Avec les surplus commerciaux qu'elle accumule et un déficit budgétaire résorbé, il y a fort à parier que l'Allemagne fera, elle, les investissements éducatifs qui s'imposent et prendra de l'avance dans le passage à la troisième révolution industrielle.

Ce que nous disent ces quelques chiffres, c'est une divergence profonde et même accentuée entre les deux premières économies de la zone euro. Si l'euroland était animé par un sentiment de cohésion et de solidarité profond entre ses poipulations, il y aurait un moyen simple de résorber la crise et de permettre à la France ou l'Italie de réduire leur chômage: des transferts financiers massifs depuis l'Allemagne excédentaire. Ce ne serait pas de l'assistanat mais un juste retour des choses puisqu'aujourd'hui encore une grande partie des surplus allemands viennent des importations effectuées par les autres pays de la zone euro. Mais l'Allemagne n'est pas prête à faire pour l'Europe ce qu'elle a fait pour l'ancienne RDA: y transférer annuellement plusieurs pourcents de son PIB en sachant qu'elle y était gagnante sur le moyen ou le long terme. Dans l'ancienne RDA, l'Allemagne a principalement investi dans les infrastructures, l'éducation etc....; exactement ce que recommande l'OCDE.

L'unité allemande était de l'ordre du sentiment, elle ne se discutait pas. L'unification européenne est, pour l'Allemagne, de l'ordre de la raison; de la raison d'Etat. Ni le gouvernement ni la société allemande n'imaginent "payer pour la Grèce" ni même pour la France. Plus les années passent, plus la zone euro apparaît pour ce qu'elle est, une zone de profonde divergence entre les économies. L'euro est, pour l'Allemagne, un mark sous-évalué; il permet à la République de Berlin d'accumuler les surplus commerciaux, à commencer par la zone au sein de laquelle elle a tué la concurrence monétaire. L'euro est au contraire, pour la France ou l'Italie une monnaie surévaluée, qui accélère la désindustrialisation du pays.  Au bout de cette route, il y a l'inéluctable éclatement de la zone euro - vu qu'une Allemagne réinvestissant ses excédents au service d'une "nation européenne" est une chimère. Il ne s'agit pas de s'en réjouir ni d'en pleurer: mais de se demander combien de temps cela va prendre. Il s'agit en outre de se préparer, non seulement à atténuer le choc mais aussi à imaginer le monde d'après, celui d'une France redevenue une puissance monétaire libre dans le monde des changes flottants, capable d'investir dans son avenir à la hauteur des défis du XXiè siècle.

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