Quand l'Allemagne suit la pente de sa puissance : pourquoi l'Europe politique devrait méditer la parabole Volkswagen<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Dans le cadre du scandale Volkswagen, il faut savoir que ce qu'à fait l'entreprise allemande n'est pas particulièrement compliqué à reproduire.
Dans le cadre du scandale Volkswagen, il faut savoir que ce qu'à fait l'entreprise allemande n'est pas particulièrement compliqué à reproduire.
©Reuters

Recherche contre-pouvoir désespérément

Après la découverte du scandale Volkswagen, l'Allemagne est sous le choc. Elle avait fait du secteur industriel sa force et s'en trouve ainsi fragilisée, prouvant que le leader de l'Union européenne n'est pas à l'abri de la corruption et remettant ainsi toutes les élites économiques en Europe sur le même niveau.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : Au travers de la parabole Volkswagen, on voit bien que l'Allemagne possède un leadership assumé. Elle est donc livrée à elle-même. Qu'est-ce que cela traduit de l'état de l'Europe ?

Christophe Bouillaud : Depuis au moins la fin de la présidence Delors en 1995, l’Union européenne est devenue de plus en plus clairement dominée par son aspect intergouvernemental, plus que par son aspect communautaire ou supranational. Les Présidences Santer, Prodi et Barroso ont vu l’affaiblissement progressif du pouvoir d’initiative politique de la Commission européenne. La crise économique européenne de 2008-09, puis la crise des dettes souveraines de 2009-2013, ont été de l’avis général entièrement gérées par le Conseil européen (les chefs d’Etat et de gouvernement) ou par l’Eurogroupe (la réunion « informelle » des Ministres des finances des pays de la zone Euro). La crise des migrants n’échappe pas à cette règle nouvelle : c’est dans le collectif du Conseil européen que réside le pouvoir réel dans l’Union. Dans ce cadre de domination des exécutifs nationaux sur la décision européenne, cadre qui aurait d’ailleurs satisfait le général De Gaulle du fameux « Plan Fouchet » de 1961-62, il n’est guère surprenant que le pouvoir exécutif de l’Etat le plus puissant économiquement et le plus important démographiquement du moment finisse par avoir un poids majeur dans les décisions européennes, et par donner le ton à l’ensemble.

De fait, la situation actuelle commence à ressembler étrangement à celle de l’Empire allemand après 1871 lorsque la Prusse et leurs dirigeants donnaient le ton dans le nouvel ensemble créée par Bismarck, simplement parce que la Prusse  se trouvait être de loin le plus grand et le plus peuplé des Etats du nouvel Empire. Dans le cas présent, le déséquilibre entre Etats membres de l’Union européenne n’est pas aussi marqué, mais il s’est accentué en raison de l’incapacité nouvelle de la France à jouer de ses atouts géopolitiques traditionnels, du retrait progressif du Royaume-Uni empêtré dans le jeu des Conservateurs avec l’euroscepticisme, et aussi de la difficulté récurrente de l’Italie à assumer un rôle à la mesure de son importance réelle dans l’Union européenne – même si on remarquera que l’italien Mario Draghi,  en tant que Président de la BCE, joue sans doute l’un des rôles les plus importants actuellement dans la gouvernance de l’Union européenne. Revenir sur cette évolution qui a fait en pratique du Conseil européen la « présidence collective » de l’Union, disposant de fait sinon de droit, du monopole de l’initiative politique en Europe sera difficile, il faudrait pourtant revenir sérieusement à la méthode communautaire illustrée par un Delors, mais ce n’est pas avec un Juncker Président de la Commission que cela se fera.   

En 1715, 1815 et 1915, lorsque l'équilibre des pouvoirs a disparu, le modèle européen ainsi que la carte européenne ont, tour à tour, été perturbées. Comment expliquer de telles conséquences ?

Je ne crois pas beaucoup à cette approche « numérologique » de l’histoire européenne. Par contre, il ne fait guère de doute que notre continent est marqué sur la longue durée par le refus de toute hégémonie d’un seul pouvoir dynastique, puis de la domination d’une seule nation. Contrairement à l’autre bout de l’Eurasie, la Chine, il n’y a jamais eu depuis le bref épisode de Charlemagne et de ses héritiers directs d’unité politique de la majorité du continent. Les grandes périodes de paix ou simplement de stabilité, européennes, ont été des périodes de pouvoirs multipolaires. La plus illustrative reste celle qui court de 1815 à 1914, le siècle qui voit un large équilibre des puissances. C’est déjà alors la montée en puissance, économique, de l’Allemagne après 1870, qui va finir par rompre cet équilibre. 

Afin d'échapper à cette "malédiction des années en 15", quels enseignement l'Europe peut-elle tirer de son passé ?

Il me semble qu’aujourd’hui, la plupart des historiens diraient qu’on ne peut tirer aucune leçon du passé. Comme politiste, moins prudent sur ce point, j’aurais tendance à dire qu’on peut tirer deux leçons. Soit on peut voir l’attitude de l’Allemagne actuelle comme jouant un rôle équivalent à celui de la Prusse dans l’Allemagne d’avant 1870 ou à celui du Royaume de Piémont-Sardaigne dans l’Italie d’avant 1860. Ces deux Etats au nom d’une identité politique plus grande qu’eux ont fait l’unité d’un pays autour d’eux. Lorsqu’A. Merkel défend les « valeurs européennes » en déclarant qu’il faut accueillir les réfugiés de guerre du Moyen-Orient, elle joue ce rôle, en défendant une certaine idée de l’Europe.  Elle le fait aussi de son point de vue quand elle défend les règles de la monnaie commune. C’est là la vision optimiste, si l’on se situe d’un point de vue fédéraliste et si l’on se résigne  à l’idée que l’Europe fédérale sera d’abord allemande ou ne sera pas.  Et, inversement, c’est sans doute là le cauchemar des souverainistes et des germanophobes. Soit, plus banalement, on s’inquiètera de la domination d’un pays sur l’ensemble européen. Il ne s’agit pas d’une inquiétude liée au fait que le pays dominant soit l’Allemagne, mais au simple fait de l’apparente domination d’un seul pays. Ces situations n’ont en effet jamais très bien fini en Europe : le pays dominant a fini par être la cible d’une coalition de tous les autres contre lui. La France de 1814-15 a connu cette situation, et elle a été surveillée par presque tous les autres Européens au moins jusqu’en 1860. L’idée même de construction européenne, d’intégration européenne, voulait absolument éviter cette situation, et sur le papier, tout est prévu pour assurer l’égale dignité des Etats souverains qui fondent entre eux l’Union européenne. De ce second point de vue, il serait urgent que les Européens entendent parler  bien plus souvent de  « Bruxelles », de la Commission européenne et du Parlement européen, et un peu moins de Berlin, Paris, Rome, ou Londres.

Doit-on craindre une situation similaire ou au contraire l'ébranlement de la suprématie Allemande pourrait-elle être bénéfique à l'Union européenne ?

De fait, l’affaire Volkswagen peut être une vraie chance pour l’Europe, contrairement à ce qu’affirmait hier l’éditorial du Monde.  En effet, l’automobile fait partie des industries que la plupart des gens dans le monde et en Europe lient spontanément à l’image de l’Allemagne. Savoir que « das Auto » pour reprendre le thème d’une publicité récente de cette firme dans notre pays  est complètement bidonnée pour ce qui concerne son niveau de pollution quand elle est diesel me parait profondément réjouissant. Eh oui, même des hauts cadres allemands savent tricher avec les règles écologiques quand il s’agit de s’assurer ainsi des marchés lucratifs.  En fait, ce n’est pas un scoop : les grandes entreprises allemandes sont aussi susceptibles de commettre des actes délictueux quand de gros profits sont en jeu que les italiennes, les américaines, les françaises, les japonaises, etc.  Pour qui suit d’un peu près les actualités allemandes, cette affaire de logiciels anti-contrôle de niveau de pollution n’est pas si étonnante. L’ADAC (l’automobile-club allemand) a d’ailleurs avoué en 2014 avoir triché pour bien mettre en valeur la Golf comme voiture préférée des Allemands.

Outre-Rhin aussi, les élites sont parfois fort corrompues : sans elles, le Luxembourg et la Suisse ne seraient pas les paradis fiscaux que l’on connait. Cette affaire Volkswagen peut donc remettre toutes les élites économiques en Europe sur le même niveau : aucune n’est faite exclusivement d’anges intelligents et intègres. Grâce à cette affaire, on pourra peut-être éviter désormais que les autres Européens, en particulier une bonne part des dirigeants français, prennent pour argent comptant la présentation de soi des élites allemandes, qui seraient meilleures gestionnaires et plus morales que les autres. Ce n’est pas le cas, et l’on pourrait faire une liste de scandales et de manquements édifiants. Je rappelle à vos lecteurs que le nouvel aéroport international de Berlin, la capitale de ce pays soi-disant si efficace, aurait dû ouvrir en 2012, qu’une liste presque infinie de défauts de construction et de conception a été découverte peu avant par les experts chargés de réceptionner l’ouvrage, et qu’en ce mois de septembre 2015, les travaux de finition ont été suspendus rien moins que sine die parce que les experts ont (enfin ?) découvert que le toit de l’aérogare était trop fin pour supporter le poids prévu – c’est vraiment bien bête, car en plus, comme chacun sait, à Berlin, en hiver, il peut neiger beaucoup…

Si tout le monde en Europe pouvait saisir cette affaire Volkswagen au bond pour arrêter d’idéaliser ou de craindre bêtement l’Allemagne, cela serait vraiment une bonne nouvelle pour tout le monde en Europe.  L’égalité et la bonne entente entre nations européennes passe d’abord par une meilleure connaissance mutuelle. Ni idéalisation ni diabolisation, simplement la banale réalité. Vive donc « das Auto » qui pollue !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !