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Quand Jacques Anquetil et Raymond Poulidor se livraient la plus difficile des batailles, celle pour le coeur des Français
©STAFF / AFP

Bonnes feuilles

Il n’y a jamais eu de « sondages publics » sur les popularités respectives d’Anquetil et de Poulidor – ce genre d’enquête étant alors, à ses débuts, réservé aux hommes politiques. Mais, en janvier 1973, un sondage de l’I.F.O.P. commandé par le secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports révèlera que Raymond Poulidor avait été désigné, par 48 % des Français, comme le « champion sportif français le plus connu et le plus apprécié »… ce qui décidera le gouvernement à lui attribuer la Légion d’honneur ! Extrait du livre Le Duel Anquetil - Poulidor : Histoire d'une confrontation", écrit par Didier Béoutis et publié chez Mareuil éditions (2/2)

Didier Béoutis

Didier Béoutis

Didier Béoutis est historien et écrivain passioné de cyclisme. Il est énarque, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris.

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Deux France : celle d’Anquetil et celle de Poulidor ?

Parmi les manifestations publiques, les compétitions sportives sont parmi celles qui suscitent de plus de passion de la part des spectateurs. On aime les explications simples et classer les coureurs dans des catégories quelque peu manichéistes. Souvent même, journalistes et caricaturistes participent à ces exagérations. Le cyclisme français avait déjà connu les confrontations entre Eugène Christophe et Henri Pélissier, puis entre Jean Robic et Louison Bobet.

Très rapidement s’est ainsi dessinée, aux yeux du public, une opposition entre Anquetil et Poulidor, entre « Maître Jacques » et « Poupou » (c’était déjà un signe !). D’une part, le blond Normand à la peau claire et aux yeux bleus, né dans une région riche, proche de la capitale, vite reconnu pour ses talents, ayant bénéficié d’un service militaire en métropole lui ayant permis de préparer le record du monde de l’heure ; d’autre part, le Limousin aux cheveux noirs et à la peau mate, fils de métayers, issu d’une région pauvre, dont les débuts cyclistes avaient été retardés par un service militaire effectué en Allemagne puis en Algérie. D’une part, l’amateur de plaisirs raffinés dans son style de vie (bridge, bateau, automobiles) et ses goûts gastronomiques (langouste, whisky), qui, le moment venu, fera l’acquisition d’un château construit par la famille de Maupassant ; d’autre part, l’homme des plaisirs et des plats simples et robustes, joueur de tarot, fidèle à son Limousin natal, faisant construire une maison dans son village de Saint-Léonard-de-Noblat. D’une part, l’homme à l’aspect distingué – aussi bien à la ville que sur sa bicyclette – et un peu froid ; d’autre part, l’homme chaleureux et populaire, se battant, de façon un peu désordonnée, sur sa machine. D’une part, le coureur vivant sur un grand pied, échafaudant, avec ses directeurs sportifs et équipiers, des stratégies tortueuses pour faire perdre l’adversaire, bénéficiant de circonstances heureuses ou se tirant rapidement de mauvais pas ; d’autre part un coureur au matériel chichement attribué, ennemi des combinaisons, plus timide (du moins à ses débuts) avec la presse, partageant la devise de son sage directeur sportif : « La gloire n’est jamais où la vertu n’est pas », et poursuivi par la malchance, victimes de chutes ou d’incidents mécaniques aux conséquences dramatiques !

La réalité n’était pas aussi manichéenne  ! Comme Poulidor, Anquetil était un terrien, fils d’un cultivateur de fraises, issu d’une famille peu aisée, qui n’a d’autre diplôme qu’un certificat d’aptitude professionnelle d’ajusteur-fraiseur ! Si, dans les premières années, Poulidor a pu paraître étourdi, attaquant aux moments où il ne fallait pas et n’attaquant pas aux moments où il le fallait (« C’est un bœuf placide qu’il faut sans cesse aiguillonner ! », avait un jour dit de lui Antonin Magne), il a acquis au fil du temps un véritable sens de la course qui lui a permis de porter ses offensives à bon escient… et de remporter des courses « à la manière de Jacques Anquetil » ! Et, si Anquetil a paru manquer de chaleur vis-à-vis du public, c’était davantage du fait de sa timidité naturelle que d’un éventuel sentiment de supériorité.

Mais, ce qui compte, quand on est un champion, c’est la manière dont on est perçu par le public ! Dans les cours de récréation, dans les usines et dans les champs, à l’heure de l’apéritif dans les cafés et brasseries, on était totalement soit « anquetiliste », soit « poulidorien », et, il faut bien le reconnaître, bien plus souvent « poulidorien » qu’« anquetiliste ». La France entière était d’ailleurs à majorité « poulidorienne »… à l’exception du peloton des professionnels, résolument « anquetiliste », le Normand et ses directeurs sportifs ayant toujours eu soin de de concilier des amitiés dans les formations adverses, alors que la popularité de Poulidor suscitait des jalousies.

À cette époque où les moyens de communications électroniques n’existaient pas encore, il n’y avait évidemment pas de « blogs » Anquetil ou Poulidor, ni même d’associations de « supporters » réellement organisées. Les « supporters » se manifestaient toutefois, soit par des courriers aux intéressés, soit par des présences aux départs, aux arrivées et tout au long des courses, par des applaudissements, des demandes d’autographes, des marquages sur le sol et des panneaux à la gloire des champions, destinés à être vus par eux au moment de leurs passages : « Poulidor, tu es le plus fort ! » 

La popularité (pour le Limousin, la « poupoularité », selon le mot heureux d’Antoine Blondin) variait, bien entendu, au fil des résultats de chacun des coureurs. Anquetil a acquis le sommet de sa popularité au lendemain de son doublé victorieux Dauphiné/Bordeaux-Paris, en mai 1965. Dix mois plus tard, en mars 1966, son succès acquis au détriment de Poulidor dans Paris-Nice, lors de la dernière étape, lui valut une chute drastique de popularité, par la réception de lettres de menaces de mort qui, par prudence, conduisirent le Normand à s’abstenir de participer au Critérium national de la route, à Revel, quelques jours plus tard. Anquetil connut un regain de popularité après sa tentative réussie contre le record du monde de l’heure en septembre 1967, mais qui disparut vite à l’annonce de la non-homologation de la performance. Quant à Poulidor, ses échecs n’entamèrent jamais sa popularité, et même l’accrurent à certains moments, comme après son assistance à Roger Pingeon dans le Tour de France 1967 et son abandon à la suite de sa chute, l’année suivante.

Il n’y a jamais eu de « sondages publics » sur les popularités respectives d’Anquetil et de Poulidor – ce genre d’enquête étant alors, à ses débuts, réservé aux hommes politiques. Mais, en janvier 1973, un sondage de l’I.F.O.P. commandé par le secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports révèlera que Raymond Poulidor avait été désigné, par 48 % des Français, comme le « champion sportif français le plus connu et le plus apprécié »… ce qui décidera le gouvernement à lui attribuer la Légion d’honneur !

Extrait du livre "Le Duel Anquetil - Poulidor : Histoire d'une confrontation", écrit par Didier Béoutis et publié chez Mareuil éditions

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