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Quand Facebook courtise la Chine, tous les moyens sont bons (même la censure...)
©Reuters

Business first

Le développement d'un outil de censure par Facebook montre son ambition de pénétrer le marché chinois. Mais la firme californienne devra franchir beaucoup d'obstacles si elle veut éviter le sinistre destin de Google en Chine.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Le New York Times a annoncé que Facebook travaillait sur un outil de censure pour pénétrer le marché chinois. Pourquoi est-ce que Facebook est prêt à prendre ce risque de voir son image associée à la censure ? En a-t-il vraiment les moyens ?

François-Bernard Huyghe : Premièrement, Facebook prépare cet outil pour une raison assez simple : la Chine est la plus grande population d'internautes du monde. Et cela ne va pas diminuer. C'est l'Eldorado chinois. 

Il est intéressant de constater que l'histoire se répète. A la fin des années 2000, il y avait eu un scandale contre Google, Yahoo et quelques autres qui, afin de pénétrer le marché chinois, avaient accepté de censurer les recherches. C'est la façon la plus habile de censurer : les gens recherchent par exemple "secte Falun Gong", et ils ne trouvent pas de résultat. Ces grandes entreprises avaient pris quelques années pour obtenir leur licence et soumettre leur permis aux autorités chinoises. Elles avaient alors accepté les censures draconiennes imposées par les lois chinoises. Ce n'est pas une chose nouvelle : cela se passe en Turquie, en Arabie Saoudite, et même en France où l'on demande le retrait de comptes.

Cette affaire avait eu un impact important : en 2010, Google s'était indigné à l'issue d'une attaque informatique provenant de Chine et avait menacé la Chine de se retirer de Chine. C'est alors qu'ils cessèrent d'utiliser le moteur de recherche google.cn pour le remplacer par google.hk, à Hong Kong. L'effet le plus connu était que quand vous cherchiez place Tien An Men sur le modèle hongkongais, vous voyiez apparaitre des images de jeunes protestant contre le pouvoir, les bras en croix devant les tanks.

Mais cela n'a pas duré longtemps, car les Chinois avaient un coup d'avance. Ils disposaient de moteurs nationaux, de réseaux nationaux, d'Amazon nationaux. La Chine était le seul pays au monde où Google était très minoritaire, et ils ont montré qu'ils pouvaient se passer d'eux.

Pour ce qui est de Facebook, il faut savoir que les Chinois ont déjà leur propre réseau social, WeChat ! Si Facebook doit conquérir ce marché, il va commencer comme un petit, et non en situation de monopole comme il en a l'habitude.

Ce genre de projet ne montre-t-il pas de plus la limite du réseau social comme instrument de libération, ou modèle de l'information des peuples ?

En 2011, on avait cru que les tyrans et les régimes autoritaires ne pourraient jamais contrôler internet et que seuls les démocrates et les pro-Occidentaux s'exprimeraient. On a constaté ces dernières années que c'était totalement faux. La Chine en est la plus belle preuve. Bachar el-Assad a parfaitement su manipuler ses réseaux nationaux ces dernières années, à l'inverse de Moubarak par exemple. 

On a aussi beaucoup défendu l'idée selon laquelle les utilisateurs des réseaux sociaux étaient nécessairement de sympathiques démocrates qui s'exprimaient. Aujourd'hui on réclame que la Silicon Valley lutte contre les comptes djihadistes radicalisés. Google a créé un outil, Jigsaw, qui permet d'envoyer les requêtes à connotation djihadiste vers de bons contenus. On commence à s'inquiéter de la puissance de la propagande poutinienne sur les réseaux sociaux. Le Parlement européen a déposé une motion sur les déclarations d'Angela Merkel. En France on s'indigne de la montée de la fachosphère. C'est un virage à 180 degrés ! Ce qui forme une sorte de paradoxe. On tombe aujourd'hui dans une technophobie progressiste : ce sont les mêmes qui parlent de droits des peuples à s'exprimer qui chassent les mensonges populistes, djihadistes et trumpistes et demandent aux gens de revenir au JT et à la presse papier !

Ce filtre n'est pourtant pas suffisant pour valider le retour de la firme californienne en Chine. Il reste la question épineuse de la localisation géographique des données. Facebook peut-il s'aligner sur les desiderata de Pékin aujourd'hui ? Pékin a-t-il vraiment intérêt à laisser Facebook s'installer en Chine si Facebook se pliait à toutes ses demandes ?

C'est une bonne question. Je ne peux répondre à la question, mais peux dorénavant vous prédire que les Chinois seront intransigeants. C'est aussi le privilège d'être une superpuissance d'un milliard d'habitants. Si le Bahreïn essayait de faire la même chose, ce ne serait pas pareil. 

Et il faut savoir que les Chinois ont pris à bras le corps cette question, et très en amont. Cela fait des années qu'ils réfléchissent à la question de la localisation des données, à la plateforme à utiliser, à la technologie appropriée… On est face à un acteur qui a pensé le problème depuis les années 1990 avec la publication par deux colonels chinois de La Guerre hors limites (Payot, 1999) dans lequel il s'agissait déjà de contrôler et lutter dans le domaine du cyber. Ils ont une vision stratégique sur le long terme. 

Google qui se trouve dans la même situation que Facebook semble avoir fait définitivement l'impasse sur le marché chinois. Pourquoi cette différence d'approche ?

Google, à l'époque, a joué au plus fin. Pendant 15 jours, ils ont menacé des cadres du Parti. Et on posait des fleurs devant le bâtiment de Google, héros de la liberté qui, juste avant, censurait allégrement à la demande du même gouvernement chinois. Hillary Clinton en janvier 2010 parlait de défense de la liberté des entreprises américaines. A la fin, Google a fini par être vidé : le rapport de force n'était pas en sa faveur.

Mais Mark Zuckerberg n'est pas stupide : s'il agit ainsi, c'est qu'il a une stratégie, et il est certain qu'il a bien l'exemple de son prédécesseur en tête. Sa façon de négocier avec les autorités chinoises le montre tout à fait. 

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