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Qu'est-ce qui peut bien rapprocher les jeunes djihadistes des jeunes sympathisants du Front national ?
©Reuters

Bonnes feuilles

La montée du radicalisme, religieux et politique, a nettement marqué l’Europe ces derniers mois. Engagement djihadiste, vote d’extrême-droite… La séduction croissante qu’exercent « les extrêmes » sur une fraction de la jeunesse en colère, en proie à l’inquiétude ou désabusée, interroge. Cette jeunesse serait-elle sacrifiée ? Et le serait-elle, seule ? Extrait de "Radicalisation de la jeunesse", de Michel Fize, aux Editions Eyrolles (1/2).

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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De prime abord, rien ne semble rapprocher jeunes sympathisants, militants ou adhérents du Front national, que nous avons appelés «jeunes frontistes», et jeunes djihadistes ou candidats djihadistes. Et, comme les «sociologues officiels de la jeunesse » continuent de nous dire que la jeunesse ne constitue pas un bloc homogène dans ses attitudes comme dans ses comportements, il semble que tout paraisse bel et bien devoir définitivement opposer les deux jeunesses radicalisées, comme sont traditionnellement opposées jeunesse bourgeoise et jeunesse populaire, jeunesse scolarisée et jeunesse non scolarisée. Ce qui les rapproche pourtant, c’est d’abord des similitudes de situation. Jeunes frontistes et jeunes djihadistes appartiennent, pour la majeure partie d’entre eux, aux milieux populaires. Ils sont les uns et les autres peu ou pas diplômés. Ils sont dans une même quête d’autorité et de sécurité, ont le même besoin d’appartenir à un groupe soudé qui porte des valeurs simples (jusqu’à la caricature, on le sait). Ils portent les mêmes valeurs d’intolérance. Ce qui rapproche encore ces deux jeunesses radicalisées, c’est un sentiment commun d’exclusion, un sentiment dont nous savons qu’il est fondé(1) . On connaît les exclusions de toutes sortes qui frappent les jeunes Français, et plus encore ceux issus de l’immigration (nous y reviendrons en détail dans la dernière partie).

On sait qu’à défaut de toujours créer ou de rendre inévitables les actes de violences, ces exclusions les rendent possibles. Nombre de mouvements radicaux sont issus de ces exclusions. Frustrés, les jeunes expriment leur mécontentement, de différentes façons : le découragement, le dégoût, la colère. L’humiliation surtout est vivement ressentie, l’injustice d’une société où la redistribution des richesses est si mal faite, où les uns finalement s’enrichissent à pousser un ballon tandis que les autres pourrissent au «ballon» (la taule). Le sentiment d’humiliation bloque tout processus de valorisation de soi et de ses proches et conduit aux affirmations les plus violentes. Le mécanisme est simple au final : les jeunes se sentent humiliés par tant d’accablements dans leur vie, alors ils se mettent en colère. Le djihadisme, en ce sens, exprime d’abord cette colère. C’est une manière de se venger d’une société qui ne veut pas les accueillir.

«J’suis rien, j’sers à rien, j’ai rien »

La conséquence est que tous ces jeunes, et plus encore ceux des quartiers «sensibles», souffrent d’un grave déficit de reconnaissance sociale. Ils se sentent inutiles, esseulés… Et ils le sont très souvent. Et de clamer bientôt : «C’est pas une vie !» Ce besoin de reconnaissance dépasse le seul besoin, très élémentaire, de «se faire remarquer», ce que l’on peut faire de toutes sortes de façons : en riant bruyamment dans une réunion d’amis, en invectivant violemment un adversaire dans une assemblée politique, besoin dont la satisfaction ne suffit pas à vous faire exister pleinement. À cet égard, Jacqueline Costa-Lascoux(2) rapporte l’anecdote intéressante de cet adolescent en pleine crise de violence contre les autorités qui expliquait aux journalistes le sens de son comportement : «Je veux juste exister, vous entendez e-x-i-s-t-e-r !» Or, pour exister et donc être socialement re-connu, il faut être vu, dans quelque chose qui attire l’attention des médias, et va faire que vous allez devenir «quelqu’un», quelqu’un d’important, donc d’enviable. Ce sont en effet toujours les autres qui nous font exister. Une action terroriste est de nature à capter l’attention, à grande échelle – celle du monde – de surcroît. Mais, être reconnu, ce peut être plus simplement devenir acteur politique. Se voyant confier des responsabilités publiques, le jeune frontiste accède enfin à une reconnaissance, à une identité positive. Le sentiment d’abandon, que l’on trouve dans ces deux jeunesses, mais souvent aussi dans toutes les autres, nourrit les sentiments les plus négatifs, notamment de haine. Ainsi les jeunes djihadistes développent-ils leur haine envers tout ce qui n’est pas eux, rejettent-ils tout ce qui caractérise l’Occident : la mixité, les Droits de l’homme, les distractions.

De la même manière, les jeunes frontistes expriment (au moins une partie d’entre eux) la haine de l’autre, l’immigré d’hier, le migrant d’aujourd’hui. Les uns et les autres assument – c’est particulièrement évident chez les jeunes djihadistes – une haine des juifs, jusqu’à vouloir leur mort quelquefois. L’Histoire nous enseigne qu’une jeunesse désespérée se laisse aisément séduire par celui qui lui propose espoir, meilleure vie. Le fascisme dans l’entre-deux-guerres, pour  prendre cet exemple extrême, a toujours procédé de cette manière rassurante. Georges Dimitrov dirigeant communiste bulgare, en 1935, l’exprime clairement : «Faute de perspectives d’avenir, des couches considérables de jeunes se sont avérées particulièrement sensibles à la démagogie fasciste, qui leur dessinait un avenir tentant lors de la victoire du fascisme(3) .» Sans comparer jeunes frontistes d’aujourd’hui et jeunes fascistes d’hier (les premiers sont, pour la grande majorité, loin de l’idéologie mussolinienne ou nazie), force est de reconnaître que le parti de Marine Le Pen use des mêmes arguments pour séduire une jeunesse en grande difficulté. S’agissant du djihadisme, il faut bien aussi comprendre que, comme naguère l’engouement de certaines jeunes filles à porter le voile, l’engouement actuel pour aller faire le djihad, peut être, au moins en partie, un phénomène de mimétisme. Mimétisme et convictions sont souvent liés en fait.

Considérons l’affaire de ces deux adolescentes de 15  et 17  ans interpellées le 11  mars 2016  par la police et aujourd’hui poursuivies pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ces deux jeunes filles s’étaient répandues en menaces sur un réseau social, promettant de commettre un attentat contre une salle de concert, en l’espèce le Casino de Paris. Info ou intox ? Si aucun armement, aucun explosif n’a été retrouvé chez elles, les experts criant alors à la velléité, au simple désir de se faire connaître, de «faire les malines», selon l’expression des enfants, l’enquête a montré que l’une d’entre elles cherchait à se procurer des armes en Belgique. Une chose est sûre, la répétition par les médias, sous forme de reportages, de jeunes filles fascinées par le djihad, peut donner des idées à nombre d’adolescentes aujourd’hui, peut les conduire à une conversion. Simple mimétisme au départ, l’engagement deviendra conviction radicale.

1. Michel Fize, Jeunesses à l’abandon, Turin, Mimésis, 2016.
2. Jacqueline Costa-Lascoux, L’Humiliation, Les jeunes dans la crise politique, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008, p. 167.
3. Rapport du VIIe Congrès mondial de l’Internationale communiste, 2 août 1935

Extrait de "Radicalisation de la jeunesse", de Michel Fize, édité chez Eyrolles 

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