Projet de loi immigration : reprendre la maîtrise de notre destin face au « Gouvernement des juges »<!-- --> | Atlantico.fr
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Gérald Darmanin après un conseil des ministres à l'Elysée, le 7 septembre 2022
Gérald Darmanin après un conseil des ministres à l'Elysée, le 7 septembre 2022
©LUDOVIC MARIN / AFP

Perte de pouvoir

Conscient que l’effondrement de juin 1940 et de la IVème République en 1958 était d’abord dû à un Etat faible, sans boussole, miné par le « régime des partis », le général de Gaulle avait fait adopter comme préalable au redressement national une nouvelle Constitution, la Vème République, caractérisée par la prééminence d’un exécutif fort, d’un Président de la République qui dispose « de la confiance profonde de la nation, prend la barre du navire et réussit à la mener à bon port ».

Grégoire Daubigny

Grégoire Daubigny

Délégué LR de la 3ème circonscription du Loiret, Grégoire Daubigny a exercé la profession d'avocat et de collaborateur parlementaire.

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Dans ce cadre, le Conseil Constitutionnel était initialement mis en place comme une simple « arme contre la déviation du régime parlementaire », selon les mots de Michel Debré, afin que le Parlement n’empiète plus sur le Gouvernement, et ne le condamne plus à l’impuissance. Le général de Gaulle lui-même refusait expressément que le Conseil Constitutionnel devienne une Cour suprême à l’américaine, c'est-à-dire un « gouvernement des juges » propre aux pays anglo-saxons, où le droit est davantage dicté par le juge que par le législateur. « La Cour suprême, c’est le peuple » !

Malheureusement, la crainte du fondateur de la Vème République est progressivement devenue réalité, non seulement au fil des révisions successives de la Constitution, qui ont sans cesse élargi les pouvoirs du Conseil Constitutionnel, mais également au fil d’une jurisprudence de plus en plus extensive du Conseil Constitutionnel, qui a accru de lui-même ses propres pouvoirs.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le Conseil Constitutionnel, et à sa suite le Conseil d’Etat, ne se contentent même plus d’être les garants du respect de la Constitution française, mais qu’ils élargissent sans cesse les textes sur lesquels ils fondent leur contrôle, au-delà de la Constitution même, qu’ils se livrent à toutes sortes d’interprétations, qu’ils «découvrent» des principes juridiques, qui eux-mêmes s’imposent aux responsables politiques.

Par exemple, pour annuler un décret visant à suspendre le regroupement familial, le Conseil d’Etat a « découvert » en 1978 un « principe général du droit », qui est le « le droit de mener une vie familiale normale » dans le préambule de la Constitution de 1946 (c’est à dire celle de la IVème République ...). Ce principe à valeur constitutionnelle empêche désormais toute limitation drastique ou remise en cause du regroupement familial par la loi, et facilite grandement les recours contre une décision d’éloignement ou un refus de délivrance d’un titre de séjour. Surtout, la rupture majeure, c’est que c’est désormais le pouvoir judiciaire, et non plus le pouvoir législatif, qui décide dans les faits de la politique d’immigration.

Tout pouvoir tend à accroître son pouvoir ; le pouvoir judiciaire ne fait pas exception à la règle. Cette tentation n’est d’ailleurs pas nouvelle dans notre Histoire ; elle a déjà abouti à la Révolution française.

Ce « gouvernement des juges » est malheureusement aggravé par la construction européenne et les engagements internationaux de la France, puisque l’article 55 de la Constitution confère aux traités internationaux une autorité supérieure à celle de nos lois, pour le plus grand bonheur des juges de la Cour de Justice de l’Union Européenne et de la Cour européenne des Droits de l’Homme, dont les décisions s’imposent ou influencent notre droit.

A ceux qui entretiennent volontairement une confusion dans l’opinion publique, il faut le marteler : ceci n’est ni la démocratie, ni l’Etat de droit. La démocratie, c’est le « gouvernement du peuple par le peuple », pas le « gouvernement des juges ». L’Etat de droit, c’est la prééminence du droit sur le pouvoir politique, mais ce n’est pas la création du droit par le pouvoir judiciaire. C’est cette nuance qui permettait à la fois au général de Gaulle d’être le sauveur de la République et d’affirmer « Je ne laisserai pas la France mourir par respect du juridisme ».

Seuls les dirigeants politiques, élus par le peuple au suffrage universel, bénéficient de la légitimité démocratique : l’émoi suscité par la récente décision de la Cour suprême des Etats-Unis, qui a révoqué son arrêt « Roe vs Wade » garantissant le droit des Américaines à l’avortement, en est la plus éclatante preuve. Les juges ont un rôle à jouer pour empêcher l’arbitraire du pouvoir politique et de l’administration, mais ce rôle ne doit pas lui-même être arbitraire, hors de tout contrôle démocratique. Enfin, beaucoup oublient de le rappeler, mais l’Etat de droit, c’est aussi et surtout l’application du droit !

Or, l’impuissance de l’Etat régalien choque régulièrement l’opinion publique et humilie toujours plus notre nation : un clandestin rwandais, sous le coup d’une obligation à quitter le territoire français (OQTF) en 2019, peut incendier la cathédrale de Nantes en 2020 et assassiner un prêtre en 2021 ; une djihadiste peut, aussitôt rapatriée de Syrie, porter plainte contre ses conditions de détention en France ; un prédicateur islamiste, dont le titre de séjour est arrivé à expiration, peut voir son expulsion suspendue par un juge administratif au motif que celle-ci porterait une «atteinte disproportionnée » à sa « vie privée et familiale », quand ce n’est pas au nom du risque de « mauvais traitements » dans son pays d’origine. Plus généralement, à peine 8% des OQTF ont été exécutées en 2020, d’autant que celles-ci deviennent caduques au bout d’un an, tandis que 96% des déboutés du droit d’asile resteraient sur le territoire national.

En réalité, les responsables politiques français se sont donc eux-mêmes dépouillés du pouvoir, ont eux-mêmes organisé leur propre impuissance, ont enchevêtré et ligoté l’Etat, lequel est désormais incapable d’assumer ses missions régaliennes essentielles. A tel point qu’en l’état actuel du droit, au nom d’une fausse interprétation des droits fondamentaux, aucune limitation sérieuse de l’immigration n’est envisageable : de même que les procédures d’éloignement du territoire sont devenues quasiment impossible, toute loi restreignant drastiquement les entrées serait immédiatement censurée par le Conseil Constitutionnel ou attaquée par les hautes juridictions européennes.

L’impuissance de l’Etat régalien est la cause de l’explosion des flux migratoires et de la montée de l’insécurité. Elle provoque l’abstention massive et fait souffler un vent de colère qui gonfle les scores des plus radicaux. Pourquoi voter pour les « partis de gouvernement » quand le pouvoir n’a plus le pouvoir ? Bien pire, elle remet en question la légitimité même de l’Etat, sape le « contrat social », favorise la désaffiliation nationale; de là les replis communautaires, le chacun pour soi, les revendications autonomistes et indépendantistes. Pourquoi compter sur un Etat faible qui ne remplit plus ses missions ? Ce déni de démocratie, quand 71% des Français se disent favorables à une « forte réduction de l’immigration sur le territoire », dont près de la moitié des électeurs de gauche, est porteur de grands dangers pour la cohésion nationale.

Et pourtant, des démocraties irréprochables, comme le Danemark, nous démontrent qu’il n’y a pas de fatalité : oui, quand le courage politique est au rendez-vous, il est parfaitement possible de reprendre en main la politique migratoire, de combiner Etat de droit et Etat régalien fort !

Le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a annoncé un débat national et un projet de loi sur l’immigration ; seule une révision de la Constitution, par la voie référendaire ou parlementaire, peut permettre de contourner ces obstacles juridiques, de retrouver l’esprit de notre Constitution, de rendre le pouvoir aux dirigeants politiques et de reprendre la maîtrise de notre destin. Toutes autres mesures seraient vouées à l’échec, ne seraient que vains symboles et artifices de communicants. 

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