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Projet de loi asile et immigration : fermeté, le grand bluff ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Que de l'esbroufe ?

Attendu pour février, le projet de loi "asile et immigration" a été présenté ce jeudi aux associations d'aide aux migrants. Un texte controversé qui a été souvent qualifié de plus "rigoureux" que des lois adoptées par la droite entre 2003 et 2012. Mais est-ce bien le cas ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Maurice Lachaize

Maurice Lachaize

Maurice Lachaize est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire.

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Atlantico : Ce jeudi 11 janvier, Edouard Philippe présentait aux associations le projet de Loi asile- immigration du gouvernement. Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes indique à ce sujet : "Gérard Collomb est sur une ligne plus dure que Nicolas Sarkozy qui prétendait équilibrer ses textes". Qu'en est-il réellement ? Quels sont les changements concrets à attendre d'un tel projet de loi ?

Maurice Lachaize : De ce que l'on connaît des grandes orientations du texte, l'idée qu'il serait plus rigoureux que les lois adoptées sous les gouvernements de droite de 2003 à 2012 me paraît des plus trompeuses. En fait le projet actuel comporte quelques ajustement techniques, sans doute nécessaires, par exemple la retenue administrative, dans les locaux de la police, portée de 16 à 24 heures, ou le délai de recours devant la CNDA réduit d'un mois à 15 jours. Ces aménagements techniques ne sont pas de nature à régler la question générale de la maîtrise de l'immigration. Le projet de loi relève d'une logique de fausse fermeté. Ainsi, il prolonge de 45 jours à 90 jours la durée de la rétention administrative permettant au préfet de maintenir un étranger dans des locaux fermés pour organiser son retour. Or, cette mesure d'apparence spectaculaire ne sera d'aucun effet concret. En effet, la véritable rétention administrative par décision du préfet, n'est que de 48 heures, un délai insuffisant pour organiser le rapatriement d'une personne. Ensuite, après 48 heures, il appartient au seul juge des libertés de prolonger la rétention. Or, les juges des libertés, réticents à accomplir cette mission, refusent souvent la prolongation demandée par le préfet. D'où l'impossibilité de procéder à l'éloignement effectif. Et ce point crucial est inchangé dans le nouveau texte. Une loi de 2011, sous le gouvernement Fillon, avait en partie réglé ce problème en portant la durée de la rétention décidée par le préfet à 5 jours, hors contrôle du juge des libertés. L'effet avait été une hausse spectaculaire des reconduites à la frontière.

La loi Valls/Cazeneuve de 2016 avait abrogé la loi de 2011, revenant aux 48 heures de rétention par le préfet et replaçant le juge des libertés au centre du système d'éloignement. Résultat, les reconduites à la frontière se sont effondrées: moins d’une décision d'éloignement sur 5 est aujourd’hui appliquée. Or, le système voulu sous le gouvernement Fillon avait été validé autant par le Conseil d'Etat que par le Conseil constitutionnel, donc parfaitement respectueux des droits de l’homme en confiant le contrôle de légalité de l’éloignement, dans les cinq premiers jours, au seul juge administratif. Le projet d'Edouard Philippe, par-delà les coups de menton, en reste au système Cazeneuve et refuse de rétablir le dispositif de 2011. Il ne servira donc strictement à rien. D'ailleurs, la moyenne du maintien des migrants illégaux en rétention est de 10 jours. Que la durée maximale théorique soit de 45 ou de 90 jours n'aura absolument aucun impact. Et le projet se garde bien de rétablir la rétention de 5 jours par le préfet, seul moyen efficace d'appliquer les éloignements.

Guylain Chevrier : La comparaison est bien mal venue car nous ne sommes plus du tout au temps de Sarkozy président, avec une immigration dont les limites ont explosé depuis. Quelques chiffres : sur la question de l'asile, on est passé de 25.000 demandes en 2007 à 100.000 aujourd'hui, avec environ un tiers de réponses favorables proportionnellement à ces chiffres. C'est une exponentielle. Ce mouvement des migrants vers l'Europe, et spécialement la France, est d'autant plus significatif qu'il est aussi le reflet d'un phénomène migratoire marqué par une immigration économique clandestine massive, que l'on ne mesure même pas. Mais il faut aussi noter qu'il s'agit de migrants venant de plus en plus loin, dans l'ordre : Soudan, Afghanistan, Haïti, Albanie, Syrie...et aussi éloignés de notre culture. Le fait que plus de la moitié des quelques 200.000 SDF soient "sans-papiers" donne seulement une idée du nombre de ceux qui viennent de façon irrégulière sur notre sol. Ce que l'on connait bien aussi, c'est le fait qu'en 10 ans, on ait plus que doublé le nombre d'arrivées régulières pour être aujourd'hui à plus de 200.00 par an. Par ailleurs, si on regarde les chiffres des retours, c'est absolument ridicule. Nous sommes passés de 13.908 retours forcés en 2009 à 12.961 en 2016... Une situation concernant l'immigration qui est devenue folle, explosive, incontrôlable en l'état.

On dira, mais comment cela a-t-il été rendu possible? Nous avons assisté après Sarkozy, à un accueil inconditionnel  des migrants en Europe impulsé par les Allemands sur fond de tradition chrétienne, ce qui les a amenés à accueillir massivement mais après les 800.000 de l'an passé, cette année ils n'entendent plus accueillir que 200.000 demandeurs d'asile. L'Allemagne qui se croyait à l'abri des attentats avec son multiculturalisme a été le théâtre de nombreuses attaques terroristes. Des dizaines de centres de migrants ont été incendiés. Une délinquance et des violences sexuelles faites aux femmes par des migrants sont venues rappeler que l'accueil de demandeurs d'asile ne signifie pas mécaniquement intégration et respect du pays d'accueil, de ses mœurs.

Les déclarations de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, présentant les frontières comme "la pire invention de l'histoire" dans le débat sur la répartition des migrants dans l'UE a fait aussi son effet d'appel d'air. Autre problème, en  choisissant de désigner Bachar al-Assad comme l'ennemi numéro 1, c'était créer un formidable argument pour que notre pays devienne la destination d'accueil par excellence des migrants et un prétexte pour cela bien au-delà du problème du djihadisme et de la guerre. C'était donc se créer une obligation d'accueil à la mesure de la diabolisation du personnage, d'autant plus caricaturé que la Russie était son alliée et était visé indirectement à travers le président syrien. Ce qui d'ailleurs a amené les médias français comme France info à parler systématiquement de "rebelles" ou de "résistants" face au régime syrien, lorsque l'on savait parfaitement qu'il s'agissait essentiellement de djihadiste d'Al-Qaida ou d'autres factions, et en aucun cas de grands démocrates. Ce qui a donné aux migrants une tournure de persécutés pouvant justifier moralement l'inconditionnalité de l'accueil. Une orientation qui a poussé dans le sens de donner l'initiative totale à des associations caritatives et humanitaires n'ayant qu'une lecture à sens unique de l'accueil, loin de toute stratégie politique globale, à quoi aucun Etat ne peut imaginer pouvoir se soustraire. C'est ainsi qu'un responsable de Médecins sans frontières, interviewé sur France info, peut se permettre de suggérer qu'il faudrait exfiltrer aujourd’hui de façon organisée avec le gouvernement français les migrants qui sont en Libye, sous le prétexte qu'ils y seraient en danger, du fait de leur parcours migratoire, du rôle des passeurs voire des risques qu'ils tombent en esclavage... Mais c'est inverser totalement la vision politique et créer les conditions de justifier une immigration qui se met elle-même, bien malheureusement, en danger, pour être en permanence pris en otage par cet état de fait. L'ONU a une responsabilité ici qui n'est nullement évoquée à tort. Le côté humanitaire on le voit bien n'est qu'un aspect du problème, qui relève d'une toute autre vision d'ensemble, d'une géopolitique mondiale et de stratégie des Etats, de leur capacité à tous points de vue, à accueillir ou pas. Il en va aussi de l'aide au développement des pays d'origine des migrants mais pas sans prévoir des sanctions contre les pays qui sont souvent complices des départs de leurs ressortissants. 

La politique d'accueil de l'Europe visait aussi à pousser dans le sens d'une unité européenne passant outre les frontières des Etats invités à s'effacer derrière la logique libérale d'une Europe succursale de la mondialisation, dans laquelle l'immigration constitue aussi une variable économique d'ajustement, voire pour l'Allemagne, d'ajustement démographique.

Le projet de loi pour la refonte de la politique migratoire comprend bien des aspects contradictoires, même si dans ses grandes lignes il s'agit de ramener à des conditions de traitement des demandes d'accueil et de reconduite des déboutés de façon plus efficace, pour éviter la situation de pourrissement actuelle. Cinq axes viennent définir ce projet :mieux maîtriser les flux migratoires, améliorer les traitement des demandes et les conditions d'accueil, lutter plus efficacement contre l'immigration irrégulière et d'éloignement, refondre la politique d'intégration, et le cas échéant attirer davantage les "talents et des compétences"
Alors que le demandeur d'asile disposait jusqu’à présent de 120 jours pour déposer  son dossier, désormais il n’aura plus que 90 jours pour le faire. De plus, un demandeur débouté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ne disposera ensuite que de deux semaines, au lieu d’un mois, pour déposer son recours. Le ministère a prévu 150 postes de plus au budget 2018 pour mettre en œuvre ces dispositions. Le gouvernement a annoncé aussi la création de 7.500 nouvelles places d'hébergement pour les demandeurs d'asile, ainsi que 5.000 places pour les réfugiés dans des centres provisoires d'hébergement. 

Il y a le doublement de la durée maximale de maintien en centre de rétention administrative des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, de 45 à 90 jours, ce qui est la moyenne en Europe. Une autre mesure de ce texte prévoit le durcissement de la "retenue" "pour vérification du droit du séjour", qui passerait de 16 à 24 heures. Les délais de recours pour les déboutés du droit d'asile seront également réduits de 1 mois à 15 jours. On dit vouloir favoriser des retours vers les pays d'origine ou ceux où les migrants ont déjà été évalué comme ne pouvant bénéficier du droit d'asile, mais qu'en sera-t-il réellement? Pour y parvenir, il faudrait mettre en œuvre une nouvelle politique avec des moyens adéquats considérables et une vraie volonté politique qui parait bien relative au regard de l'écoute qui est celle des associations pro-migrants ou/et humanitaires, qui se rebellent dès que l'on touche à cette question. Des associations prépondérantes, parce qu'on leur laisse jouer un rôle considérable dans le débat public, bien qu'elles ne représentent en réalité qu'une faible partie de l'opinion. 

Mais il faut aussi retenir que, comme gage donné à ces associations pour faire passer le reste, en termes d'accueil, le texte se montre plus généreux sur les titres de séjour pour les demandeurs d'asile : ils bénéficieront d'une carte de séjour dont la durée sera fixée à 4 ans dès la première admission au séjour, au lieu d'un an jusqu'à présent. Le gouvernement souhaite également réduire les délais de traitement des demandes d'asile à 6 mois. Il entend aussi faciliter la réunification familiale pour les réfugiés mineurs, qui va être étendue aux ascendants directs au premier degré ainsi qu'aux frères et sœurs, ce qui est une nouvelle extension du droit à émigrer qui promet des arrivées massives. Sur ce point particulièrement, nous sommes passés de 4000 réfugiés mineurs en 2010, dits "mineurs isolés étrangers" et "mineurs non-accompagnés" depuis peu, à 25.000 officiellement aujourd'hui. Il faut tout de même savoir qu'il existe une pression constante des associations pro-migrants et de syndicats qui les suivent, pour demander leur accueil inconditionnel à partir du moment où ils se déclarent mineurs. Se déclarer mineur sans autorité parentale sur le territoire français pour un migrant, c'est la certitude en France d'être pris totalement en charge par l'Aide sociale à l'enfance jusqu'à 18 ans au moins. Si une large partie de ces demandeurs sont reconnus majeurs après entretien d'évaluation, ce qui est déjà un dispositif bien incertain géré essentiellement par France terre d'asile, il suffit qu'ils fassent appel de la décision administrative de non-reconnaissance de leur prétendue minorité auprès d'un Juge des enfants, pour être placé et pris en charge, avec la quasi-certitude d'y rester. C'est devenu un véritable trafic qui ici va justifier une nouvelle voie d'eau à l'immigration familiale!  

On parle de "refonte de la politique d'intégration", vaste sujet. On annonce surtout que son amélioration passerait par un effort accru en matière d’enseignement de la langue française ou encore d’insertion professionnelle. En rester là serait peu sérieux, lorsque l'on sait  les graves problèmes d'intégration que nous connaissons, alors que de nombreux jeunes Français d'origine immigrée des quartiers rejettent la nationalité de leur pays d'adoption, comme le reportage de France 2, "Les Français, c'est les autres" (3 mars 2016) l'a montré sans ambiguïté de façon inquiétante. Et ce, alors que nous assistons à une montée en puissance des affirmations identitaires avec un communautarisme de plus en plus aigu, un militantisme en faveur du multiculturalisme sur fond de haine anti-blanc accusé de reproduire une domination postcoloniale sans aucun fondement, comme le propage le Parti des indigènes de la République qui trouve des relais nombreux dans des syndicats, des universités, des associations, des quartiers... Avec un islam qui n'a pas encore trouvé sa place en France, où le salafisme s'étend, avec officiellement plus de 20.000 radicalisés dont le nombre ne cesse d'augmenter avec pour terreau principal le communautarisme, et ce, alors que les migrants dont nous parlons sont très majoritairement, sinon essentiellement, musulmans, venant de pays où religion et pouvoir politique ne font qu'un.

Au-delà d'un positionnement politique, d'une ligne plus "dure que Nicolas Sarkozy", ce qui pourrait servir Emmanuel Macron dans sa quête de séduction des électeurs de droite, que peut-on penser de l'efficacité de ce projet de loi sur le fond ? S'agit-il plus de servir un intérêt politique que d'une réforme efficace, visant à produire des résultats concrets?

Maurice Lachaize : Ce projet de loi est étrange. Il est vendu comme un texte de fermeté et vécu comme tel par la classe politique, le monde associatif, la presse qui s’enflamment. Mais il ne comporte aucune mesure susceptible de renforcer la maîtrise de l'immigration. En revanche, de ce que l’on croit en comprendre, il présente des dispositions dont l'effet est bien loin d’avoir été évalué. Alors que notre pays a atteint pour la première fois les 100 000 demandeurs d’asile en 2017, le projet renforce son attractivité pour les demandeurs d'asile, avec le titre de 4 ans pour les bénéficiaires de l’asile subsidiaire, et l'octroi automatique de la protection de la France accordée, non seulement aux parents, mais aussi aux frères et sœur des mineurs réfugiés. Quel peut être l’impact d’une telle mesure? Nul n’en a vraiment idée. Enfin, le projet semble a priori prévoir la mise en place d’une obligation d’informer les demandeurs d’asile qu’ils ont la possibilité de présenter un dossier de régularisation en préfecture, par anticipation d’un éventuel rejet de leur demande d’asile. Comment, avec cela, prétendre qu’il vise à lutter contre l’immigration illégale ? Oui, on peut dire que ce projet de loi est avant tout à des fins politiques. Il repose sur une ambiguïté fondamentale: d'une part, donner l'illusion de la fermeté pour gagner les faveurs de l'opinion de droite et d'extrême droite en provoquant un tollé largement artificiel à gauche; d'autre part, du fait de l'inconsistance du projet ou de son ambigüité, éviter une véritable crise politique avec la gauche et le monde associatif. Le bruit de la polémique est recherché pour faire croire à l’action. Nous nageons une fois de plus dans le grand spectacle hypocrite.

Guylain Chevrier : Il y a une obligation de réussite à ce sujet, car nous sommes entrés dans l'ère du réalisme, qui est implacable, car chacun sait au fond de lui dans les milieux politiques avisés, que l'on ne pourra pas continuer comme si l'immigration coulait de source. Aujourd'hui, c'est à la fois le désordre et une situation que plus personne ne maitrise.

L'immigration fait voies d'eau de toutes parts, sous toutes sortes de formes, comme je viens de le montrer, avec des contradictions épineuses. Et au regard du retard pris à décider des mesures nécessaires de restriction et de contrôle, il risque de n'y avoir que des mesures mal ficelées, qui ne contentent personnes. 
Il existe un affrontement de plus en plus marqué entre une gauche extrême victimaire d'un côté, très urbaine fréquemment aisée, minoritaire mais organisée et au discours moraliste à caractère humanitaire relayé massivement par les médias, qui est  en conflit avec l'idée de nation et de frontières et voit à travers l'immigré et son accueil inconditionnel le moteur de son idéologie, et de l'autre, une large population plus périphérique et moins aisée, qui vit dans le quotidien les dégradations de la crise et des valeurs collectives, des repères communs, à quoi la présence de plus en plus massive d'une immigration mal intégrée de l'école à la cité, apporte sa pierre non négligeable, qui la voit comme le problème sinon, un fléau. Cela est d'autant plus aiguisé que les premiers ne cessent de faire la morale à coups de bons sentiments aux seconds, accusés pour leurs réticences légitimes à une immigration sans compter, d'être des racistes. On sait que les Français sont très majoritairement dans les enquêtes d'opinion, à 70%, favorables à une politique rigoureuse dans ce domaine. Il y a là un potentiel d'électeurs de droite, voire d'électeurs inquiets politiquement indécis, mais il faudra sans doute plus pour les convaincre.

Ceci étant, nous ne sommes effectivement plus du tout dans l'ère Sarkozy où on pouvait plus facilement de l'Elysée ou de Matignon, utiliser les espaces qui étaient encore modulables sur ce sujet pour flatter une majorité selon ses attentes. Il ne s'agit plus du tout de cela, il en va à présent d'une situation critique.

On sait combien aujourd'hui interdire, contrôler, encadrer, a mauvaise presse en ces temps où l'individualisme est roi qui trouve sa bonne conscience dans des grandes causes où les bons sentiments servent de système de pensée. Mais il faut retrouver ici du sens commun plus élevé, sinon nous courrons à la catastrophe. Nous avons omis que nous sommes une Nation, c'est cela qui doit revenir à notre mémoire. Le fait que seuls les Etats donnent des droits à ceux qui vivent sur leurs sols, et que les frontières en sont donc essentielles pour délimiter l'espace sur lequel ces droits s'exercent, qu'ils sont fragiles, et que l'on ne joue pas non plus sans danger avec la faculté à produire de la conscience commune, de la cohésion sociale, à faire peuple. Cet enjeu-là de l'immigration qui fait enjeu de société doit revenir au coeur du débat, en allant si nécessaire à l'affrontement politique, sinon, rien n'avancera réellement.

Quels sont les conséquences politiques prévisibles d'un tel projet de loi, entre risques de fractures chez LREM, et "triangulation" sur une thématique de droite ?

Maurice Lachaize : En instrumentalisant le thème de l'immigration à des fins politiciennes, le pouvoir macronien et LREM reproduisent une vieille tactique qui hante la vie politique française de l’extrême droite à l’extrême gauche. Sur un sujet aussi technique, voire aussi abscond que le droit des étrangers, il est tellement facile de manipuler l'opinion publique, avec, il faut bien le dire, la complicité de la presse, des médias, du monde associatif, d'une partie de la classe politique. Pour l’instant, l’opération fonctionne à merveille. Peut-être que le pouvoir actuel en tirera un profit électoral en séduisant l'opinion de droite ou d'extrême droite. Peut-être même que dans un climat de sidération générale qui domine la France actuelle, cette opération lui permettra de gagner les prochaines élections.

En revanche, ces petits arrangements sont sans aucun rapport avec la politique de l'immigration dont la France a besoin, fondée sur un accueil adapté aux capacités d'accueil du pays (travail, logement), le refus de l'immigration irrégulière et la relance de l'aide au développement. Tout ceci ne changera rien aux arrivées sauvages sur les côtes méditerranéennes, à l'engorgement du système d'asile, au règne des filières esclavagistes, aux bidonvilles et squats qui prolifèrent, aux malaises des cités urbaines où s'entassent les personnes issues de l'immigration dans des conditions indignes du XXIe siècle, au chaos qui se répand en Europe et favorise les replis nationalistes. Le gouvernement Fillon des années 2007-2012, tant critiqué, au moins avait essayé de faire quelque chose à travers une vingtaine d'accords d'immigration, signés avec les pays d'origine, visant à faciliter la circulation temporaire, à favoriser le codéveloppement et à lutter contre l'immigration illégale. Oui, la grande manipulation en cours servira sans doute, à court terme, les intérêts du pouvoir macronien et de LREM, mais ne manquera pas de desservir, à long terme, ceux d’une immigration maîtrisée dont la France a besoin.

Guylain Chevrier : On voit bien ici le défaut d’une gouvernance ni de droite ni de gauche ou de droite et de gauche, au-delà de gagner une élection, elle a bien du mal à rassembler une réelle majorité d’idées lorsque des questions aussi graves que l’immigration sont convoquées. La droite et la gauche peuvent très bien, a priori, se sentir concernée de la même façon  sur ce fond, car le sujet est transversal et en termes de responsabilité interpelle l'ensemble de la classe politique. Mais chacun est tenté de jouer sa carte, au regard des cercles d’influences respectifs, ainsi que d’une recomposition politique en marche qui est censée rapporter gros à ceux qui espèrent la réussir, où il faut marquer sa différence. Le Président compte aussi trop sur sa communication à travers laquelle il entend se prolonger, pour jouer avec l'influence d'autres acteurs comme le milieu associatif, qu'il ne veut pas se mettre à dos. Quant à l'opinion, elle n'est pas prête à coïncider avec une force politique, fut-ce LREM, elle est dispersée et en crise de confiance dans sa représentation politique. Au regard des moyens à réunir, il y a donc là fort à faire et peu d'espoir, malgré les déclarations d'intention, que sérieusement, on prenne ce sujet essentiel à bras le corps.

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