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Professeurs dépassés par les évènements : comment l’Education Nationale est dans la dénégation
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Patrice Romain, principal dans un collège, côtoie des professeurs depuis plus de vingt ans. Avec humour, dans "Un principal ne devrait pas dire ça" (City éditions), il nous dévoile les travers de ses enseignants en livrant des anecdotes assez surréalistes... Extrait 1/2.

Patrice Romain

Patrice Romain

Instituteur, directeur d'école puis principal de collège, Patrice Romain a pris sa retraite fin 2020, désabusé par la gouvernance de "son" école publique. Il est l'auteur d'une dizaine de livres sur l'Éducation nationale, dont le best-seller Mots d'excuse. Son dernier ouvrage est  "Requiem pour l'Education nationale - Un chef d'établissement dénonce : parents et professeurs doivent savoir !" (2021) aux éditions du Cherche Midi.

Voir la bio »

Veille de la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918. Je demande de faire pavoiser le collège. Ce même jour, pour acheter la paix « der des ders » dans sa classe, Madame Theresa, oubliant qu’elle n’a qu’un salaire de fonctionnaire, adopte une stratégie innovante : rémunérer en espèces sonnantes et trébuchantes les meneurs qui daignent observer une attitude correcte avec elle.

Isabelle lui a attribué une salle située tout au fond du couloir afin que les décibels – et les élèves – qui s’en échappent ne perturbent pas trop les cours des autres professeurs. À la fin de la journée, la pièce ressemble à un champ de bataille : des chaises renversées gisent par terre, la poubelle est retournée, plusieurs tables sont décorées de nouveaux tags, les murs portent des traces de semelles et le sol est jonché de détritus divers et variées. Madame Theresa passe alors une demi-heure à rendre son antre présentable pour le personnel chargé du ménage.

J’admire son flegme. Monsieur Duvent, lui, est stupéfait

 — Quelque part au niveau de mon vécu, c’est la première fois que je vois des élèves traiter de la sorte une professeure qui applique à la lettre les consignes de bienveillance !

Madame Tapaleuil, qui s’est fait dépuceler insulter pour la première fois il y a peu, la sollicite pour un conseil sur l’attitude à observer. Tous les collègues s’interrogent

 — Comment fait-elle pour tenir le coup ?

Madame Theresa, fataliste, excuse ses bourreaux et philosophe :

— Y’a pire comme métier !

Difficile de dire pourquoi un professeur est chahuté. Tant de critères, tous plus subjectifs les uns que les autres, entrent en ligne de compte : sexe, look vestimentaire, véhicule, corpulence, charisme, don personnel, élocution, détail physique, tic, toc, tactique…

Paradoxalement, dans la plupart des cas, l’enseignant chahuté est d’un calme olympien en salle des professeurs. Inconscience ? Cécité ? Fatalisme ? Traitement médical ? Bouddhisme ?

L’administration, elle, ne s’en pose guère, des questions. Elle part du principe que, si un pédagogue est chahuté, c’est non pas qu’il y a un problème, mais qu’il a un problème, lui, le professeur. Cherche-t-elle à savoir pourquoi et comment un enseignant – qu’elle a elle-même recruté – se retrouve dans cette situation ? S’interroge-t-elle sur le terme exact à employer, « professeur chahuté » ou « élèves perturbateurs » ? Se demande-t-elle si tous les enseignants – y compris les titulaires – ont leur place au collège ?

Ce n’est pas à moi d’apporter une réponse, j’ai déjà suffisamment à faire avec Madame Saint-Diktat. Peut-être en hommage au courage et à l’abnégation des Poilus de 14-18, elle s’est en effet découvert un nouveau combat. La Don Quichotte de la revendication ferraille désormais contre la promotion d’un enseignant de l’académie qui, très bien noté par son inspecteur, a grimpé un échelon plus rapidement que ses collègues. Quel dommage de se fourvoyer ainsi !

Madame Saint-Diktat et ses camarades de lutte sont, comme on le dit, « insupportables mais indispensables ». Indispensables car ils jouent un rôle de garde-fou contre certains petits roitelets – chefs d’établissement, inspecteurs, etc. – qui confondent « autorité » et « autoritarisme ». Mais hélas insupportables car ils se décrédibilisent trop souvent à défendre l’indéfendable.

Je côtoie les cadres de l’Éducation nationale depuis plus de vingt ans. Je n’en ai pas entendu un seul dire du bien des syndicats. Pourtant, on laisse ces derniers user et abuser de leur position. Il y a là un mystère que je ne m’explique pas. Mon hypothèse : une fois terminé le cirque médiatique – déclarations tonitruantes, grèves, manifs, etc. –, chacun doit au final y trouver son compte. Mais lequel ?

Car, tout le monde le sait, l’Éducation nationale est cogérée par les syndicats d’enseignants. Lesquels réclament toujours plus de moyens pour les professeurs, alors que beaucoup de leurs représentants sont des professeurs moyens. Et que, s’il ne s’agissait que d’une question de moyens, la crise actuelle de l’enseignement serait résolue depuis belle lurette. Une chose est sûre : vu le nombre élevé de ces officines spécialisées dans la revendication professionnelle systématique, la soupe doit être bonne…

Extrait de "Un principal ne devrait pas dire ça", de Patrice Romain, publié par City éditions

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