L’Éducation nationale devrait se questionner sur la fuite de ses "usagers" vers le privé<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Éducation nationale est aujourd’hui dans cette situation : en quasi-monopole, à l’efficience douteuse, elle connait une fuite de ses usagers vers le privé.
L’Éducation nationale est aujourd’hui dans cette situation : en quasi-monopole, à l’efficience douteuse, elle connait une fuite de ses usagers vers le privé.
©Reuters

Crise de l'école

Grève des syndicats d'enseignants ce mardi. Fait rare, public et privé défileront sous la même bannière. Reste que les mauvais résultats de l'Éducation nationale publique conduisent de plus en plus de Français à se tourner vers le privé. Explications.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Lorsqu’une entreprise n’offre plus à ses consommateurs des services de qualité, ils la fuient. Dans une économie concurrentielle, cela conduit l’entité en question à se réformer, ou à disparaitre. Lorsqu’elle détient en outre un quasi-monopole, des concurrents apparaissent, pour la contester et lui prendre des parts de marché. Et si les clients sont captifs, il y a fort à parier qu’un marché noir, autour de l’activité monopolisée, se développera, pour compenser ses déficiences.  L’Éducation nationale est aujourd’hui dans cette situation : en quasi-monopole, à l’efficience douteuse, elle connait une fuite de ses usagers vers le privé.

La course vers le privé

Dire que les performances de l’Éducation Nationale sont mauvaises, par rapport à nos partenaires européens ou de l’OCDE, ce n’est que répéter une vérité assénée par les rapports PISA de l’OCDE, la Cour des comptes et l’Institut Montaigne.

Ces mauvais résultats expliquent probablement le succès des établissements privés. Chaque année, des familles s’y pressent, certaines essuyant parfois des refus, faute de place. Ainsi, les effectifs du secondaire catholique ne cessent de croitre, notamment dans les académies franciliennes. Ce que les parents recherchent, à en croire un sondage CSA de 2009, c’est la qualité, la prise en charge individualisée, la dimension éducative … à tel point que 56 % des Français souhaiteraient y inscrire leurs enfants. Au total, presque 9 Français sur 10 plébiscitent l’existence d’un secteur privé d’enseignement ! Tous les élèves qui y entrent ne sont d’ailleurs pas chrétiens : l’an dernier, l’enseignement catholique a même publié un guide, « musulmans en école catholiques ». La demande est si forte que, dans certains endroits, des établissements catholiques ou musulmans hors contrat se multiplient [1].

A côté de cela, les sociétés de cours particuliers font fortune – y compris, et c’est nouveau, sur Internet. Leurs effectifs croissent (+25 % chez Acadomia en cette rentrée 2011), pour un marché total qui représente de 1 à 2,2 milliards d’euros selon les estimations – et dont 80 % relèverait du marché noir[2]. Dans le même secteur, il faudrait aussi citer les nombreuses associations qui viennent pallier les défaillances de l’État.

Un mouvement qui s’accélèrera faute de réformes

Des voix dénoncent le désengagement de l’État. Pourtant, le budget de l’Éducation nationale est son premier poste de dépense ! Quand bien même ce ministère manquerait réellement de moyens, la crise de la dette actuelle devrait obliger à trouver les ressources ailleurs dans les dépenses publiques existantes… or personne n’en a le courage. Le socialiste Didier Migaud – qu’on ne soupçonnera pas d’être un « ultra-libéral » vendu au forces capitalistes - l’a dit assez clairement : « la solution aux difficultés du système scolaire ne se trouve pas selon la Cour dans un accroissement des moyens financiers et humains qui lui sont consacrés ».

La réalité est que ce que montrent les études citées plus haut, ce n’est pas que la France ne fait pas assez, c’est qu’elle fait mal. Didier Migaud, toujours, l’a fort bien résumé : « nos difficultés ne viennent donc pas des moyens financiers disponibles, mais bien de l’inadaptation du système éducatif ».

Les libéraux ou les ennemis de « la laïque » se réjouiraient peut être si cette situation n’était pas profondément scandaleuse. Car, en plus d’être inefficace, le système actuel est profondément inégalitaire : évidemment, ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui peuvent fuir vers le privé, ou y faire appel pour des cours de soutien. Le modèle scolaire français, rigide et figé, fabrique des inégalités à la pelle. Par ce qu’elle est incapable de changer pour permettre la réussite de tous, l’Éducation nationale ne permet qu’aux plus favorisés de s’en sortir : elle reproduit des castes d’élites, de génération en génération, loin de l’idéal républicain qu’elle est sensée incarner.

Il y a fort à parier qu’en l’absence de réformes d’ampleur, les parents continueront, par réalisme résigné ou par choix, à fuir un système qui compromet l’avenir de leurs enfants. Le secteur privé a donc de beaux jours devant lui...



[1]  Voir cet article de Nord Eclair sur des écoles primaires catholiques dans le Pas de Calais ou cet article du Parisien sur une école musulmane à Creil.

[2]  Les Echos, 19 août 2011 ; AFP, 3 septembre 2001 ; L’Humanité, 5 septembre 2011.

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