Primaire à gauche : pourquoi les frondeurs (et Christiane T.) se trompent sur la nature de l’impopularité de François Hollande et du gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Christian Paul, le chef de file des frondeurs du PS.
Christian Paul, le chef de file des frondeurs du PS.
©francetvinfo.fr

Décalage

Les frondeurs de l'aile gauche du Parti socialiste se réunissent ce samedi 30 janvier pour se positionner en faveur ou non d'une primaire des gauches et des écologistes, à la veille d'une réunion des secrétaires de section du PS.

Fabien Escalona

Fabien Escalona

Fabien Escalona est enseignant en science politique à Sciences Po Grenoble, collaborateur scientifique au Cevipol (Bruxelles).  Il est co-directeur du Palgrave Handbook of Social Democracy(Palgrave Macmillan, 2013) et auteur de La social-démocratie, entre crises et mutations (Fondation Jean Jaurès, 2011).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Quels courants de la gauche les frondeurs peuvent-ils vouloir porter concrètement ? En quoi le rejet de François Hollande par une partie de la gauche, dont l'absence de résultat est une réelle déception à gauche, ne suffit-t-il pas à apporter un large soutien aux frondeurs ?

Jean Petaux : Il faut clairement distinguer entre les sympathisants et électeurs qui ont voté pour François Hollande en 2012 d’une part et cadres ou adhérents du PS de l’autre. En l’espèce votre question concerne plutôt le niveau partisan et militant. La situation actuelle semble effectivement paradoxale. L’impopularité de François Hollande dans son propre parti apparait bien réelle et, en tout état de cause, d’un niveau jusqu’alors inconnu, aussi bien à gauche qu’à droite. Malgré ce contexte les frondeurs ne semblent pas à même, pour l’instant, de "coaguler" ce mécontentement intra-partisan en leur faveur et à leur profit. Comme si le désaveu partiel dont souffre le président de la République dans une fraction de son propre camp ne trouvait pas de "réceptacle" dans une autre fraction de ce même camp. C’est donc une situation très inquiétante non seulement pour François Hollande mais aussi pour le PS en tant que parti et, au final, pour les frondeurs eux-mêmes qui se révèlent incapables de jouer ce rôle de "récupérateurs". De fait il manque un élément stratégique aux frondeurs. Tant qu’ils n’auront pas trouvé lequel (programme alternatif crédible, leadership clair et non partagé, capacité à fédérer des mécontentements et déceptions par nature composites, etc.) les frondeurs ne décolleront pas d’une simple position "tribunitienne", destinée à amuser les journalistes en quête de "petites phrases" dans la salle des "Quatre colonnes" et les plateaux des chaines d’infos en continu, friandes de "bons clients" qui font et refont jusqu’à l’usure des débats sans intérêt.

Dans un contexte de crise économique, les électeurs de gauche se sont d'ailleurs prononcés en faveur d'un assouplissement des 35 heures, dans un sondage Odoxa pour les Echos (voir ici). Quelle est la part de recherche d'efficacité ou de "droitisation" des idées des électeurs de gauche dans ce type de résultats pour le moins étonnant ?

Jean Petaux : Pas certain que le clivage "droite – gauche" soit pertinent ici. On le voit bien dans le sondage Odoxa publié le 20 janvier 2016 dans le journal "Les Echos". 69% des Français sont favorables à une dérogation à la loi sur les 35 heures dont 80% des sympathisants de droite et 58% de gauche. La priorité désormais est la lutte contre le chômage, au prix de "n’importe quel totem" qui soit, y compris "la vache sacrée" des "35 heures". Il semble bien désormais que seuls les "gardiens du temple" socialiste (ou de la gauche en général) s’accrochent au symbole des 35 heures, comme aux reliques de "la vraie Croix". Les électeurs de gauche sont désormais disposés dans leur majorité à sacrifier un des symboles forts du "quinquennat Jospin" entre 1997 et 2002, celui de la réduction du temps de travail, sur l’autel de la lutte contre le chômage. C’est donc plus l’efficacité qui est ici recherchée qu’une droitisation générale. La meilleure preuve de cela est contenue dans la réponse à une autre question du sondage Odoxa sur la question des retraites. 72% des sondés se montrent hostiles à un allongement de la durée du travail. Cette attitude montre qu’il n’y a pas du tout adhésion majoritaire à une mesure phare préconisée par la droite : travailler plus longtemps. On le constate clairement à travers ces deux "variables" : augmentation du temps de travail hebdomadaire et recul de l’âge de départ en retraite, la première totem de la gauche, la seconde marqueur de la droite. Dans l’un et l’autre cas ce qui compte pour les électeurs de gauche désormais c’est le pragmatisme et l’efficacité, le principe de la réalité, loin des dogmes, d’une doxa de gauche et des symboles qu’elle porte. Comme les électeurs de droite raisonnent de plus en plus sur le même modèle, le clivage droite – gauche devient de plus en plus difficile à réifier au niveau de la société française. Il existe toujours en revanche à "l’étage" des appareils partisans. Ce n’est pas la moindre des explications du décalage croissant entre "citoyens" et "partis". C’est certainement ce qu’a perçu un Macron dont les antennes et les vibrisses captent une réalité différente que celle que perçoivent les "purs politiques".

Fabien Escalona : D'abord il faut voir que l'orientation actuelle du gouvernement lui a fait perdre les élections intermédiaires dans les grandes largeurs et ne sont pas de bonne augure pour 2017. Imaginons ensuite que les primaires de toute la gauche aient lieu, ce qui est déjà une gageure. Forcément dans une consultation comme celle-ci, les partis comme EELV ou le FDG seraient probablement minoritaires. On imagine plutôt que celui qui l'emporterait proviendrait du Parti socialiste, pour autant on ne peut pas écarter l'idée que quelqu'un qui incarnerait une ligne différente de celle de Hollande puisse aussi l'emporter. Si les électeurs de gauche adhèrent pour une majorité à l'économie de marché et refusent une économie administrée, il existe plusieurs nuances possibles, qui pourraient inclure beaucoup des réformes que François Hollande avait annoncées et n'a pas mises en oeuvre (la fameuse "révolution fiscale").

L'état d'urgence a été voté par la plupart de la gauche. Il est clair que concernant le terrorisme, ceux qui veulent une sortie de l'état d'urgence sont très minoritaires.

Depuis le début du quinquennat, si certaines enquêtes enregistrent une évolution plus à droite sur les questions de sécurité, et même économiques de l'électorat de gauche, ce phénomène s'explique en partie par les événments et par un réflexe de polarisation de l'opinion contre la ligne politique portée par le gouvernement. C'est par exemple ce à quoi nous avons assisté lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Tenant d'une politique d'inspiration libérale, il a fait face à une opinion de l'époque qui n'était pas en retrait sur l'interventionnisme économique, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

En définitive je pense que c'est surtout l'efficacité des propositions qui importe vraiment aux électeurs de gauche, et ce aussi bien pour les enjeux sécuritaires que pour les questions économiques. Quelle que soit l'étiquette des politiques menées, ils chercheront à se défaire du personnel politique qui les a portées, s'ils estiment que leur situation se dégrade à cause d'elles, surtout en période de crise économique. Le vrai défi pour les promoteurs de la primaire aujourd'hui, c'est donc de convaincre que leurs solutions marcheront mieux, pas qu'elles sont plus à gauche !

Le courant porté par les frondeurs, entre absence de scission réelle et tentative de défiance vis-à-vis du chef de l’Etat, est-il ainsi voué à l’échec dans sa tentative d’imposer une primaire à gauche ? Quels sont les points de blocage principaux qui empêchent une réelle dynamique électorale pour ce courant ?

Jean Petaux : La primaire à gauche est un leurre et une vaste fumisterie. Les différents obstacles précédemment évoqués s’ajoutent à une véritable aporie pour les frondeurs. On peut la résumer dans cette question centrale : quelle alternative proposer à la politique proposée depuis janvier 2014 par le chef de l’Etat, le premier ministre et le ministre de l’Economie ? Comment rendre crédible et présentable une ligne qui, non seulement, ne recueille pas du tout l’adhésion d’une majorité de Français, même pas à gauche, mais dont on peut aussi considérer qu’elle serait également inefficace pour sortir la France du chômage structurel et d’une croissance molle. En d’autres termes entre la politique gouvernementale actuelle dont les effets positifs tardent à se faire sentir sur la conjoncture économique française et celle proposée par les frondeurs, apparemment différente, les Français ne perçoivent pas une véritable rupture et un changement profond. Cette dé-différenciation entre ces deux lignes, au PS, explique qu’aucune dynamique électorale n’apparaisse en faveur des frondeurs. Ils sont "mis dans le même sac" que ceux dont ils critiquent la ligne économique à savoir les soutiens à la ligne "Hollande-Valls-Macron" et entrainés dans les mêmes abysses d’impopularité. Et c’est ce qui rend parfaitement illusoire leur entreprise. Vouée à l’échec pour l’instant en tous les cas.

Cette opposition, apparemment vaine, entre la sociale démocratie et les frondeurs, laisse-t-elle vraiment la place à un courant alternatif à gauche ? Quels seraient les éléments permettant, à gauche, de créer une réelle dynamique électorale ?

Jean Petaux : Aucun. Les exemples étrangers récents permettent de répondre à cette question. "Coqueluche" de la gauche de la gauche française, Syriza en Grèce, encore adulé il y a 18 mois (qu’on se souvienne des trémolos enamourés d’un Mélenchon place Syntagma à Athènes lors de la victoire législative du parti de Tsipras), Syriza est maintenant totalement oublié par les leaders de la gauche "orthodoxe" française, bien obligés d’avaler leur chapeau rouge face à la volte-face de Tsipras. Désormais le nouveau chouchou de la gauche "alternative" est en Espagne. C’est le leader de Podemos, Pablo Iglesias Turrion. L’universitaire au catogan, séduisant et beau parleur, semble représenter ce que la "vraie" gauche pourrait proposer. Mais il a déjà commencé à renier ses positions pures et dures sur le référendum prévu pour l’indépendance de la Catalogne : première entorse à la ligne inflexible de Podemos. Il y en aura d’autres et Podemos connaitra le destin de Syriza : s’adapter ou dépérir, trahir pour gouverner ou s’enfermer dans une opposition de principe. 

Cette situation, encore une fois inconfortable et quasi-impossible, est celle d’une voie sans issue. Elle permet de dire qu’il n’y aura pas de dynamique électorale en faveur de la gauche de la gauche dans un avenir proche. Non pas par défaut d’imagination ou de proposition de cette partie du champ politique. Non pas parce que les propositions de la "gauche social-démocrate" ou de toutes les sensibilités actuelles de la droite républicaine sont plus appréciées par les Français que celles de la "gauche de la gauche". Tout simplement parce que la grande majorité des électeurs considère qu’aucune formation politique n’a véritablement la solution aux problèmes politiques actuels. C’est aussi ce qui explique la montée régulière du Front national. Le programme de cette formation politique est absurde, irréaliste, économiquement inepte, financièrement suicidaire et socialement dangereux. Sans parler de sa substance politique totalement vide. Peu importe, c’est le seul parti qui n’a pas encore été essayé par les Français. Cela suffit à la rendre crédible pour 6,8 millions d’électeurs aux dernières élections régionales. C’est ce que l’on appelle un soutien par défaut, mais c’est bien là, au FN, que se situe désormais la véritable dynamique électorale.

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