Prévisions de croissance : ce que va nous coûter l’entêtement de François Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
François Hollande se veut persistant ; hélas, il n’est qu’entêté.
François Hollande se veut persistant ; hélas, il n’est qu’entêté.
©Reuters

Nan, nan, nan !

A force de vouloir tout faire, il ne se passe rien. Et pourtant, c'est le credo de François Hollande. Malgré les mauvaises prévisions : le gouvernement maintient ses objectifs de croissance et de baisse du chômage. Le déficit, lui, sera réduit l'année prochaine aux fameux 3% du PIB espérés. Un mélange bancal qui emmène la France droit dans le mur.

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

Voir la bio »

Le Président de la République a, lors de sa visite du 23 février au Salon de l’agriculture, pris acte des nouvelles prévisions de croissance et de déficit pour 2013. Il a cependant maintenu les objectifs qu’il avait fixés à l’automne dernier. Dans la conférence de presse qu’il a faite, il a alors déclaré : « La trajectoire est bien celle d’arriver à un équilibre des finances publiques à la fin du quinquennat (…) Pour y parvenir, il n’est pas besoin d’ajouter de l’austérité en 2013 simplement tenir nos engagements ». Puis, revenant sur le propos : « Mais nous avons à donner des gages de sérieux budgétaire en 2014 et notamment des économies qui devront être faites dans tous les budgets, de l’État, des collectivités locales de la sécurité sociale pour que nous puissions continuer à réduire nos déficits publics ». Il a aussi maintenu son objectif d’inverser la courbe du chômage, en d’autres termes d’arrêter la montée continue que nous connaissons et de commencer un mouvement de réduction, dès 2014 : « 2013 sera marquée par une progression du chômage. En 2014 nous serons sur une reprise.  À partir de là, nous pouvons commencer à créer de l’emploi ». Tout montre que le Président et le gouvernement  entendent continuer la même politique, et ce en dépit d’une évolution de la situation toujours plus défavorable, mais qui était prévisible (et avait été prévu) depuis la rentrée 2013.

La persistance dans l’adversité est une qualité. Elle est importante pour tout responsable. L’obstination peut même être en temps de crise une grande qualité. Mais l’entêtement infantile, celui qui vous fait vous crisper sur un objectif que vous savez inatteignable mais qui n’en est que plus désiré, qui vous fait perdre toute mesure et tout sens des réalités, est l’un des pires défauts que l’on puisse imaginer chez un gouvernant. François Hollande se veut persistant ; hélas, il n’est qu’entêté.

Les prévisions de croissance, qui déterminent largement la trajectoire de réduction des déficits et de la dette, étaient connues dès le mois de septembre. Aux 0,8% de croissance qui, à l’époque, constituaient le credo du gouvernement et de ses représentants, les économistes pouvaient déjà rétorquer des chiffres bien plus faibles, compris en 0 et -0,5%. La raison en était, et en est toujours, fort simple. Pour réduire le déficit au-dessous de la valeur de la croissance nominale, ce qui est la condition d’une réduction du poids de la dette en pourcentage du PIB, un gouvernement peut augmenter les impôts ou diminuer les dépenses ; le gouvernement français a choisi de faire les deux. Or, ces deux politiques ont un impact négatif de la croissance. En fait, celle-ci est liée à la pression fiscale comme au montant des dépenses par ce que l’on appelle le « multiplicateur des dépenses publiques », qui est et sera la grande vedette de l’année 2013. Or, on sait depuis l’hiver 2010-2011 que la valeur de ce multiplicateur varie fortement suivant qu’un pays est en expansion ou en stagnation. Quand tout va bien, des valeurs inférieures à 1 sont la règle, en général autour de 0,5 à 0,6. Mais, quand on est face à des difficultés économiques importantes, la valeur de ce multiplicateur augmente fortement, pour atteindre de 1,5 à 2,5. En fait, il a été calculé à 1,7 en Espagne et à 2,1 en Italie. Un taux de croissance de 0,8% en 2013, compte tenu des augmentations d’impôts et  des réductions de dépenses publiques qui étaient engagées, était compatible avec une valeur de 0,5, mais pas avec des valeurs supérieures à 1. Un calcul réalisé à partir d’une valeur de 1,4, soit un chiffre inférieur aux chiffres Espagnols et Italiens, et se situant à la limite basse des études économétriques, donnait une croissance à 0%. C’est ce qui fut publié sur ce carnet dès octobre 2012.

Par ailleurs, les prévisions pour 2014 n’étaient pas bonnes à cette époque, et n’ont pas connu d’amélioration depuis. L’économie française, et européenne, ne peut être tracté que par l’économie américaine, et marginalement l’économie chinoise. Or, la croissance aux États-Unis est décevante (guère plus de 2% et sans doute moins en 2013-2014) tandis que les chiffres chinois incitent eux aussi au pessimisme. La conjoncture étant déprimée en Europe du fait même des politiques d’austérité qui sont largement soutenues par les pays d’Europe du Nord, l’estimation la plus optimiste que l’on puisse faire pour 2014 est d’une croissance de 0,5%. Il est cependant plus probable qu’elle sera inférieure à ce chiffre, et ceci d’autant plus que le gouvernement français envisage dès aujourd’hui de nouvelles coupes dans les dépenses publiques. Rappelons que si l’on réduit les dépenses de 10 milliards d’euros en 2013-2014, soit 0,5% du PIB, on diminuera la croissance de 0,7% à 0,9% (suivant que le multiplicateur sera de 1,4 à 1,8). La Commission Européenne prévoit d’ailleurs que le déficit du budget de la France pour 2014 sera de 3,9% si rien n’est fait. C’est un pousse-au-crime, une incitation à mettre en œuvre des mesures d’austérité supplémentaires. Considérer que la croissance est simplement « reportée » d’une année est une caractéristique de l’entêtement, une lubie qui ne s’appuie sur aucune base sérieuse. Et c’est l’un des raisons pour lesquelles on peut affirmer que François Hollande n’est pas persistant mais entêté.

Les implications de ces chiffres en ce qui concerne le chômage sont immédiates. À l’été 2012 on pouvait prévoir un accroissement de 500 000 chômeurs de juin 2012 à juin 2013. Cette prévision va très probablement se réaliser. Compte tenu de la situation économique, il faut s’attendre au minimum à 150 000 chômeurs de plus pour la seconde moitié de 2013. La hausse du chômage sera donc de 650 000 chômeurs depuis l’élection de François Hollande. Mais, hélas, on n’en restera pas là. Même avec un taux de croissance de 0,5% en 2014, comme expliqué plus haut, il faut s’attendre à un accroissement du nombre des chômeurs de 100 000 à 200 000 car l’économie française ne crée des postes de travail qu’à partir d’une croissance de 1,2-1,5%. Ainsi, au minimum, nous aurions 3,7 millions de chômeurs au sens « France métropolitaine – catégorie A » comme défini par la DARES. Si nous prenons en compte maintenant les catégories A, B et C, toujours en France Métropolitaine, nous atteindrions 5,575 millions de chômeurs à la fin de 2014.

Le chiffre total (avec les Départements et Territoires d’Outre-Mer) atteignant alors environ 6 millions. L’accroissement de plus de 20% du nombre des chômeurs en France métropolitaine entraînera une hausse du déficit de l’UNEDIC de 8 milliards (0,4% du PIB), sauf si l’on réduit dans la même proportion (20%) les allocations. Mais, si on réduit les allocations, la consommation diminuera et la croissance en sera directement affectée. Ce « choc » pourrait être suffisant pour faire passer la croissance prévisible de 0,5% à 0,1%-0,0%. Quand François Hollande maintient que le chômage devrait cesser d’augmenter et même se réduire en 2014, il fait à nouveau preuve d’un entêtement qu’il nous faut bien qualifier d’enfantin.

On mesure alors qu’il n’y a pas de solutions en dehors d’un retour rapide à une croissance robuste et d’une hausse de l’inflation. Le poids de la dette en pourcentage du PIB (Dette/PIB) est une notion statique. La notion dynamique est la dérivée de ce rapport soit déficit budgétaire / croissance du PIB nominal. L’inflation est actuellement très faible, autour de 1,2% par an. Si la croissance réelle du PIB est nulle, cela implique qu’il ne faudrait pas dépasser le chiffre de 1,2% du PIB comme montant du déficit budgétaire. Par contre, si nous pouvions atteindre une croissance réelle de 2% associée à un taux d’inflation de 3%, la croissance nominale serait de 5,06%. Même avec un déficit de 3,7% du PIB, nous devrions connaître une baisse du poids de la dette. L’entêtement de François Hollande se mesure enfin dans son refus à prendre en compte cette réalité. Car le taux d’inflation structurel, celui qui assure un taux de croissance effectif le plus proche possible de la « croissance potentielle »,  nécessaire à l’économie française, n’est pas celui de l’Allemagne. Il en est ainsi pour de nombreuses raisons, qui vont de la démographie aux structures mêmes de notre appareil productif. Nous avons donc besoin d’une politique différente de celle de l’Allemagne, tant en politique budgétaire qu’en politique monétaire. Nous ne pouvons pas avoir la même monnaie que l’Allemagne, sauf si cette dernière acceptait de subventionner la France tout comme nous subventionnons un certain nombre de régions de la France métropolitaine comme de la France d’Outre-mer. On peut certes rêver d’un grand budget fédéral, à hauteur de 12% à 15% du PIB de la zone Euro, mais la réalité est que l’on n’augmentera pas le budget actuel de l’UE, qui est d’à peine 1%. S’accrocher à des rêves contre les réalités, c’est aussi cela une marque de l’entêtement infantile.

François Hollande semble ainsi n’être sorti du déni des réalités que pour entrer dans un autre déni. Il continue de poursuivre une chimère qui, bien entendu, se refusera à lui. Mais, là ou l’entêtement de l’enfant n’a que des conséquences limitées, il en va bien différemment quand il s’agit du Président de la République. Il sera ainsi le premier surpris par l’ampleur de l’explosion sociale dont la France est grosse et qu’il aura, par son entêtement même, fortement contribué à provoquer.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !