Présidentielle américaine : 2016 l’année de la colère<!-- --> | Atlantico.fr
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A l’évidence, non ! Si Trump est toujours en course malgré tous ses défauts et faux-pas, c’est qu’il y a autre chose. Une autre raison. Cette raison c’est la colère des électeurs.
A l’évidence, non ! Si Trump est toujours en course malgré tous ses défauts et  faux-pas, c’est qu’il y a autre chose. Une autre raison. Cette raison c’est la colère des électeurs.
©Reuters

Trans-amérique Express

La campagne présidentielle 2016 n’est décidément pas comme les autres. Selon tous les critères classiques Donald Trump devrait être dans les choux ! Au lieu de cela il talonne sa rivale. Parce que les critères classiques sont dépassés. Les clés du scrutin en 2016 sont la colère de l’électorat américain et la capacité des candidats à capitaliser sur cette colère.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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La campagne présidentielle 2016 aux Etats-Unis n’est décidément pas une campagne comme les autres. Les deux candidats à la vice-présidence sur les tickets républicain et démocrate, viennent de gentiment s’étriper lors d’un débat que l'on annonçait terne et qui fut tout sauf cela. Tim Kaine, colistier d’Hillary Clinton, crut nécessaire de jouer les bulldogs, face à un Mike Spence qui ne s’en laissa pas compter.

S’il fallait désigner un vainqueur, le colistier de Donald Trump serait d’ailleurs celui-là. Mais ce n’est pas nécessaire. Car l’élection ne s’est pas jouée hier, pas plus qu’elle ne se jouera lors des deux prochains débats entre Trump et Clinton. Les clés du scrutin sont à chercher ailleurs. 

Pour le comprendre il suffit de passer en revue les faits les plus saillants de la campagne. Le candidat démocrate possède trente ans d’expérience politique, au plus haut niveau. C’est une femme et sa candidature est historique. Elle est l’héritière de la coalition victorieuse rassemblée par Barack Obama au cours des deux derniers scrutins : les jeunes diplômés, les minorités ethniques et sexuelles, la bourgeoisie urbaine progressive, les syndicats, les médias, les universitaires et le monde du spectacle. Face à elle, le candidat républicain est un novice qui n’a jamais occupé aucun poste électif ; il est détesté par une large partie de l’électorat et pratiquement tout l’establishment intellectuel, économique et politique du pays ; il commet régulièrement des impairs qui auraient dû ruiner sa candidature depuis longtemps ; il a une méconnaissance troublante des dossiers, voire des lacunes inquiétantes compte tenu des responsabilités qu’il convoite ; il est impulsif et très facilement déstabilisé ! Et pourtant il fait jeu égal dans les sondages avec sa rivale démocrate. Certains observateurs lui donnent même de très sérieuses chances de l’emporter !

Certes Donald Trump a une personnalité hors du commun, mais cela peut-il suffire à expliquer sa popularité persistante ? A l’évidence, non ! Si Trump est toujours en course malgré tous ses défauts et faux-pas, c’est qu’il y a autre chose. Une autre raison. Cette raison, c’est la colère des électeurs. Le mot colère n’est d’ailleurs peut-être pas assez fort. Il faudrait parler plutôt d’exaspération, d’un ras le bol, virant au cynisme, qui débouche sur un rejet des personnes et des idées en place.

L’issue du scrutin dépendra de la capacité des candidats à attiser ou contenir cette colère. Le prochain président des Etats-Unis sera déterminé beaucoup moins par les arguments avancés lors des meetings de campagne ou lors des débats, mais beaucoup plus par l’humeur des électeurs. Si Donald Trump parvient à mobiliser les millions d’électeurs déçus et rejetés par le système, alors il l’emportera. Si, au contraire, Hillary Clinton parvient à calmer les angoisses économiques, et rassembler son propre camp autour de l’idée que Donald Trump est dangereux pour la démocratie, alors c’est elle qui sera élue.

Voilà plus d’un an que Donald Trump capitalise sur la colère des Américains contre l’establishment. Elle a été son meilleur atout dans la conquête de la nomination républicaine. De même qu’elle fut le meilleur atout de Bernie Sanders pendant les primaires démocrates.

Car cette colère n’est pas idéologique, ni partisane. C’est le sentiment diffus que "trop c’est trop", que l’Amérique dans son ensemble, et les Américains individuellement ont perdu le contrôle de leur destinée, qu’ils sont menacés et bafoués à l’intérieur même de leur frontière, qu’ils ne dominent plus les affaires du monde et ne sont plus appréciés, ou même respectés, là où ils interviennent, que l’avenir économique est dans les mains d’autres nations adversaires. Face à ce monde qui leur échappe, ils ont l’impression que leur propre establishment leur cache la vérité et se soucie plus de sa préservation et de ses intérêts que de leur bien-être. Donc ces électeurs n’ont qu’une idée en tête, rejeter l’establishment en se tournant vers des candidatures radicales ou hors normes.

Dans une récente interview télévisée le cinéaste Michael Moore (Palme d’Or très politiquement correcte pour son Fahrenheit 911 en 2004), peu enclin à de la sympathie pour Donald Trump reconnaissait l’étendue de ce ressentiment : "Les gens rêvent de faire exploser le système et pour eux voter Donald Trump c’est comme lancer un cocktail molotov au milieu de l’arène politique".

Moore habite le Michigan, l’un des Etats du Midwest touché par la désindustrialisation. Il côtoie donc cette Amérique des perdants de la mondialisation. Une Amérique dont il accuse les politiques, et le parti démocrate en particulier, de s’être détournés. D’où sa conviction qu’une "victoire de Trump est possible".

Cette colère n’est pas récente, ni accidentelle, mais trouve au contraire sa source dans une longue régression économique. En dépit d’un chômage bas (5% en moyenne nationale) et d’une croissance honnête (+ 2% en 2015) de nombreux ménages américains ont vu leurs revenus stagner et leur pouvoir d’achat réel reculer. En cause, vingt ans d’une mutation économique qui a vu le pays abandonner sa base industrielle et manufacturière pour se tourner vers les services, et le choc de la "Grande Récession" qui a suivi le crash immobilier et financier de 2007-2008.

Dans leur tout récent Géopolitique des Etats-Unis, aux Presses Universitaires de France, Thomas Snégaroff et Alexandre Andorra (par ailleurs très cléments avec la politique de Barack Obama) égrènent les statistiques illustrant le décrochage américain. Tombé à 11% en 2000, le taux de pauvreté n’a cessé de remonter depuis pour se situer à présent autour de 18%, le même niveau qu’en 1980. Le chômage recule depuis son pic de 2009, mais les statistiques ne tiennent pas compte des chômeurs de longue durée (22% de l’ensemble) sortis du marché du travail par le bas, c’est-à-dire parce qu’ils ont cessé de chercher. Pas plus qu’elles ne soulignent l’importance nouvelle du temps partiel, des emplois précaires et des activités multiples. La proportion des Américains propriétaires de leur logement est à son niveau le plus bas depuis 50 ans, 64%. Conclusion des deux chercheurs : "Les Etats-Unis sont passés d’une société en losange à une société en sablier, qui casse les classes moyennes et gonfle les extrémités.". Cette évolution a fait apparaitre une nouvelle minorité économique "les travailleurs pauvres". Et c’est principalement les cols bleu, autrefois piliers de la classe moyenne, qui en ont le plus pâti. En même temps la mobilité sociale, élément capital du "rêve américain", est tombée en panne.

Or, le "rêve américain" est une composante essentielle de l’identité américaine. Ce qui a permis, jusqu’à présent, à des immigrants d’horizons et de cultures diverses de s’intégrer était la foi dans un système où les efforts personnels étaient justement récompensés. Le rêve américain exprimait une foi dans des lendemains meilleurs, mais également une foi dans un système récompensant chacun en fonction de ses mérites et de ses ambitions. Le rêve américain n’est pas que matériel, comme le rappellent Snégaroff et Andorra, "c’est une forme d’ordre social".

Mais certains Américains ont cessé de croire à ce rêve. Depuis 2010 un bouleversement fondamental s’est produit dans l’opinion. Désormais une majorité d’Américains (55%) estime que la prochaine génération aura une vie moins bonne que la leur. Les lendemains ne seront donc plus automatiquement meilleurs. Jamais jusqu’à présent ce sentiment n’avait été majoritaire. Et pour accompagner ce nouveau pessimisme une majorité encore plus forte d’Américains (70%) a cessé de faire confiance au système politique. Pour eux les élus sont plus soucieux de "se servir" que de "servir le public"…

Paradoxalement ce rejet du système explique aussi la venue de centaines de milliers de nouveaux électeurs dans les isoloirs au printemps. La notoriété personnelle de Donald Trump et le coté flamboyant du personnage ont généré un intérêt inhabituel pour les primaires du parti républicain. Les débats télévisés ont atteint des niveaux d’audience habituellement réservés aux grands évènements sportifs… Et cet enthousiasme s’est reflété par une participation électorale beaucoup plus forte que d’habitude et des inscriptions nouvelles sur les listes électorales. Des Américains qui s’étaient détournés de la politique et des élections y sont revenus en 2016. Le paradoxe est qu’ils y reviennent pour renverser l’establishment et mettre à bas le système…

La clé de l’élection tient donc au nombre exact de ces nouveaux votants ? Régulièrement Donald Trump parle de "majorité silencieuse", en évoquant les électeurs qu’il a su rallier. Lors de l’élection présidentielle de 2012, 126 millions d’Américains ont voté, sur 146 millions d’Américains inscrits sur les listes électorales. Mais ce sont près de 219 millions d’Américains qui sont en droit de voter. Donc 73 millions d’électeurs supplémentaires. Soit plus que le nombre d’Américains ayant voté pour Barack Obama en 2012, 65 millions. 

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