Présidentielle 2022 : décomposition politique acte II ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron célèbre après sa victoire à l'élection présidentielle française au Champ de Mars à Paris, le 24 avril 2022.
Emmanuel Macron célèbre après sa victoire à l'élection présidentielle française au Champ de Mars à Paris, le 24 avril 2022.
©THOMAS COEX / AFP

Nouveau paysage politique

Le résultat de ces élections présidentielles confirme une recomposition politique déjà amorcée en 2017. Alors que les Républicains et le Parti Socialiste, qui ont incarné l'alternance pendant toute la cinquième République, ne sont pas parvenus à trouver un second souffle, la France se dirige vers une tripartition de sa vie politique

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Dans quelle mesure les résultats de la présidentielle, premier et deuxième tour actent-ils un deuxième acte de la recomposition voire de décomposition de la vie politique ?

Jean Petaux : Je ne me risquerai pas à employer le terme de « décomposition » au sujet de la vie politique mais bien plutôt celui de « recomposition », car si décomposition il pourrait y avoir cela correspondrait bien à la fin d’un cycle et non pas à un effondrement complet et définitif de la sphère politique. Il n’est pas du tout question par exemple de fin de la Cinquième République qui est en passe de  battre, en longévité, désormais, en 2025, la Troisième. Sauf si le fameux « troisième tour » (la consultation législative de juin 2022) devait se traduire par une victoire de La France Insoumise. Mais même dans cette hypothèse, on voit mal comment, même victorieux ce mouvement, qui devrait gouverner en coalition, parviendrait à fonder une Sixième République…

Vous évoquez à juste titre un deuxième acte qui se traduit donc par une recomposition. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer, dans mes réponses aux questions d’Atlantico, ce que je nomme le « Cirque Barnum de la vie politique française » avec ses trois « pistes ». La piste « nationale », qu’il serait plus précis de nommer « présidentielle » est la piste centrale, celle sur laquelle ont lieu les « numéros » les plus spectaculaires et donc aussi les plus dangereux. Telle écuyère qui s’est produit avec succès sur la piste « territoriale », celle des Régions, a pu obtenir à plusieurs reprises des succès dans un exercice limité à l’Ile-de-France. Elle s’est spectaculairement écrasée sur le sol de la piste présidentielle, chutant de cheval sévèrement. Une autre artiste, trapéziste parisienne, n’est même pas parvenu à saisir les anneaux  de ses agrès. Dans les deux cas, « on » les a aussi « aimablement » aidé à « planter » leurs prestations. Dans le premier, le cheval s’est effondré par une paralysie totale de son côté droit et comme il était déjà borgne de l’œil gauche, l’accident était fatal. On s’apercevra en autopsiant l’animal (et, heureusement pour elle, pas la cavalière) que plusieurs palefreniers venus du sud-est de la France et de la région Auvergne-Rhône-Alpes n’ont pas ménagé leurs traits contre le flanc droit de l’équidé. La trapéziste parisienne manquait quant à elle d’entrainement et de ressort. Quand bien même aurait-elle « accroché » son engin, qu’elle n’avait de toute manière aucune figure à proposer. Là encore on constata que le tremplin avait été saboté, que le filet de sécurité était distendu et que celui qui aurait dû servir d’agent de sécurité, le premier secrétaire du club qui embauchait l’artiste, avait débranché son téléphone portable depuis cinq ans. Depuis qu’il avait vendu le siège pour aménager en banlieue-sud en un lieu dont il ne parvenait pas à retrouver les coordonnées GPS. Encore ne parle-t-on ici que des deux principales battues de la piste « présidentielle ».

D’autres n’ont guère fait mieux. L’homme en vert, sympathique d’ailleurs, beaucoup moins « original » que celle qui voulait se produire à sa place, aurait pu recueillir plus d’applaudissements (et de voix) : il est venu taper, une fois encore, le plafond des 5% des suffrages exprimés, obtenant 52.000 voix de moins que « l’amazone » championne d’Ile-de-France. Ce n’est pas elle qui lui fera crédit pour rembourser sa campagne… Le candidat des « Jours heureux » a fait mieux que sa prédécesseur qui s’était présentée aux spectateurs du cirque en 2007…  Pas beaucoup plus, mais mieux : 95.000 voix de plus, autrement dit 802.000 soit 0,3% par rapport aux suffrages exprimés. C’est peu mais c’est sans doute très bien quand on voit comment cela a rendu fou furieux l’autre artiste qui ne comprend pas pourquoi il ne peut jamais rentrer en finale… « L’Insoumis permanent » qui considère, parce qu’il sait compter, qu’il suffit d’additionner les carottes des autres et ses propres navets pour passer devant ses concurrents et voir ainsi son nom « en haut de l’affiche ».

Et puis il y a eu un clown triste, un ventriloque qui a voulu faire du de Gaulle en lançant son « appel »… à candidature en utilisant des images qui ne lui appartenaient pas pour illustrer son discours mais surtout en s’imaginant qu’une majorité du public avalerait, « crédulement », son texte et sa bande son. Les mots étaient de Pétain, les conséquences potentielles nous ramenaient à Laval puisque le bruit de fond résonnait comme du Maurras et le contenu raisonnait comme un tambour. Celui-là fit une entrée tonitruante sur la sciure de la piste. Il croyait, par habitude télévisuelle, que les spectateurs « n’iraient pas se coucher » et applaudiraient à tout rompre son numéro de clown forcément blanc. Sauf que n’est pas Fratellini qui veut. Encore moins Buster Keaton. Le public a compris que celui-là était un mauvais pitre et, qu’à tout prendre, l’original lepéniste valait mieux que sa copie jaunie dont l’encre rappelait celle utilisée pour un type de missives nombreuses, écrites aux heures sombres de notre siècle passé.

Voilà donc les défaits du premier tour sur la piste présidentielle. Est-ce à dire pour autant que leurs écuries ou qu’eux-mêmes ont quitté le cirque ? Non, bien entendu.


Cette élection présidentielle enterre-t-elle définitivement Les Républicains de la même manière qu’elle avait fait presque disparaître le PS il y a cinq ans ? Est-ce la mort des deux partis qui ont incarné l'alternance pendant toute la cinquième République ? 

C’est là que s’opère la tripartition de la vie politique français. Les « vedettes » de la piste « présidentielle » n’ont pas forcément acquis un statut hégémonique. Plusieurs hypothèses peuvent être formulées pour la prochaine représentation, la prochaine « tournée » du Barnum politique français dont les séances vont se jouer dans les semaines à venir avec deux grands shows : les 12 et 19 juin prochains. 

La première est celle formulée par le président de la République remarquablement réélu le 24 avril. Remarquablement parce qu’il s’agit d’une première depuis 1965 : un président candidat à un second mandat, non passé par la case « cohabitation » avant cette échéance électorale n’avait jamais réussi à se faire réélire jusqu’alors : Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy en ont fait l’amère expérience… Ne parlons même pas ici de François Hollande qui n’a pas réussi, lui, à être même candidat. Donc Emmanuel Macron formule l’hypothèse suivante : le mode de scrutin législatif favorisant les « blocs électoraux » ; l’abstention considérable qui va faire que, dans la plupart des circonscriptions, seuls deux candidats vont pouvoir figurer au second tour (règle des 12,5% des inscrits pour se maintenir, règle doublée d’une autre : le deuxième du premier tour, même s’il a obtenu moins de 12,5% des inscrits est « repêché »  d’office et qualifié pour le second tour) : « tout va concourir à ce que je retrouve une majorité présidentielle sur les bancs de l’Assemblée nationale au soir du 19 juin » peut se dire Emmanuel Macron. Certes LREM, le parti du président, ne sera peut-être pas majoritaire à lui seul, mais ce n’était déjà plus le cas depuis deux ans au Palais-Bourbon. 

Deuxième hypothèse : celle de Jean-Luc Mélenchon. Contrairement à 2017, le « vieux lion » a eu l’intelligence de ne pas s’enfermer dans une bouderie inutile. Il obtient moins de 2% des suffrages exprimés en plus (20,01 % en 2017, 21,95 % en 2022), certes cela lui apporte quand même plus de 650.000 voix, mais fort de sa troisième place et surtout de la dégringolade de ses concurrents à gauche, puisque son premier « poursuivant » de ce côté-ci de l’échiquier politique est à plus de 15 points derrière lui (Yannick Jadot), le chef de la France Insoumise a un boulevard pour s’autoproclamer « lider maximo » de la gauche et revendiquer, à bon droit, le statut de potentiel chef de gouvernement en cas de victoire du « bloc de gauche » lors du fameux « troisième tour » qu’il appelle de toutes ses forces militantes. Et elles sont grandes.

Troisième hypothèse : celle d’une résistance des deux grands traumatisés de la présidentielle : Les Républicains et le Parti Socialiste. Résistance qui viendrait de leur ancrage territorial. Du fait que la « piste » législative du « Barnum politique » est mixte. Un mélange de « national » et de « territorial ». Or, dans ce domaine LR et le PS ont montré qu’ils ont encore des réserves, aussi bien aux municipales de 2020 qu’aux régionales et départementales de 2021. Tout va se jouer dans la dialectique : « enjeux politiques nationaux vs facteurs locaux de la politique ». On sait d’expérience (législatives de 1981, législatives de 2007 et de 2012 et surtout celles de 2017) que lorsqu’un « tsunami » électoral se profil, il emporte tout sur son passage. Mais les législatives de 1988 ont montré qu’une majorité relative peut aussi sortir des urnes, un mois après la réélection triomphale d’un président sortant. Celles de 2002 ont montré que, passé le « front républicain » anti-Le Pen (père) consécutif au « 21 avril », les législatives « recalent » une scène politique « normale »… Autrement dit : rien n’est vraiment joué en juin et si, selon toute probabilité, le président Macron (ré)-élu aura « sa » majorité, elle n’aura peut-être pas le caractère hégémonique que l’on a connu… En 1967, dans un tout autre contexte, 18 mois après le renouvellement du mandat présidentiel du général de Gaulle, la majorité parlementaire ne tenait qu’à quelques voix … sans l’apport des « giscardiens », les gaullo-pompidoliens étaient minoritaires…

Faut-il s’attendre à l’installation d’une tripartition avec un grand parti central et des extrêmes à droite et à gauche ? Avec quels risques démocratiques ?

Les risques démocratiques qui existent sont ceux d’un mode de scrutin qui n’est absolument pas représentatif du pays réel. C’est une double menace. D’une part l’existence d’une opposition « extra-parlementaire » qui s’autorise toutes les outrances, toutes les colères, toutes les violences au motif qu’elle se dit « victime » et qu’elle n’est pas canalisée par des parlementaires qui devraient être les porte-paroles de ces revendications. D’autre part l’accentuation d’une fracture entre les « élites » « élues » et le « peuple » des « non-élus ». La démocratie c’est, avant tout, la « domestication » de la vie politique avec une majorité et des minorités qui peuvent et doivent se remplacer régulièrement. Pour cela il faut aussi que le mode de scrutin compense les processus de présidentialisation ou de technocratisation de l’exercice du pouvoir en faisant du Parlement un vrai lieu de contre-pouvoir. Certes sans paralyser les institutions mais en garantissant une libre expression des débats. Ce n’est donc pas la tripartition dont vous parlez qui peut être un risque démocratique. Ce serait plutôt son absence de traduction dans les travées de l’Assemblée nationale. Car disons-le clairement : un bloc central de 370 députés et deux autres partis (extrêmes ou pas d’ailleurs) qui se partageraient les 207 sièges restant : ce ne serait pas du tout représentatif de la scène politique présidentielle qui a plutôt consacré un « ménage à trois » entre les trois premiers du premier tour qui représentent ensemble 52,58 % des 48,7 millions d’électeurs inscrits. Ce qui signifie quand même aussi, n’en déplaise à Messieurs Macron et Mélenchon et à Madame Le Pen, que 47,42 % des électeurs inscrits n’ont pas voté  pour eux ou n’ont pas voté du tout… Ceux-là aussi mériteraient d’être mieux représentés à l’Assemblée nationale qu’ils ne risquent de l’être le 19 juin au soir…

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